30e anniversaire du génocide rwandais : Emmanuel Macron ajoute la lucidité à la mémoire
« Je me félicite qu’[Emmanuel Macron] donne de la France cette image positive d’un pays qui reconnaît ses torts et qui grandit en reconnaissant son histoire. » (Marcel Kabanda, le 4 avril 2024 à l'AFP).
Marcel Kabanda est le président d'Ibuka France, la principale organisation de mémoire, de justice et de soutien aux rescapés du génocide des Tutsis. Il venait de se réjouir du contenu annoncé du message que le Président de la République Emmanuel Macron allait adresser aux Rwandais ce dimanche 7 avril 2024.
Cela fait en effet trente ans que le génocide rwandais a démarré, au lendemain de l'assassinat des deux Présidents (du Rwanda, Juvénal Habyarimana, et du Burundi, Cyprien Ntaryamira). De nombreux Hutus se sont mis à massacrer les Tutsis par une sorte de fièvre folle et collective qui a entraîné la mort d'environ un million de personnes (entre 800 000 et 1,2 million selon diverses estimations). La France était aux premières loges. Aurait-elle pu éviter ou réduire l'étendue du massacre ?
À l'occasion de ce trentième anniversaire, le chef de l'État a enregistré une vidéo qui est diffusée ce dimanche. C'est par ce moyen technique qu'il est en quelque sorte présent à la commémoration organisée à Kigali, tandis que deux membres du gouvernement sont physiquement présent auprès du Président rwandais Paul Kagamé, le Ministre de l'Europe et des Affaires étrangères Stéphane Séjourné et le jeune Secrétaire d'État chargé de la Mer et de la Biodiversité, Hervé Berville, élu député LREM des Côtes-d'Armor en juin 2017 (et réélu en juin 2022). Hervé Berville a une particularité : il est né au Rwanda et a été évacué par l'armée française dans les premiers jours du génocide pour échapper à la mort (il avait alors 4 ans ; orphelin, il a été adopté par une famille bretonne).
Dans son message, Emmanuel Macron va beaucoup plus loin que sa déclaration du 27 mai 2021 à Kigali, où il reconnaissait une part de responsabilité de la France dans ce génocide : « Au Rwanda, on dit que les oiseaux ne chantent pas le 7 avril. (…) La France n’a pas compris que, en voulant faire obstacle à un conflit régional ou une guerre civile, elle restait de fait aux côtés d’un régime génocidaire. En ignorant les alertes des plus lucides observateurs, la France endossait alors une responsabilité accablante dans un engrenage qui a abouti au pire, alors même qu’elle cherchait précisément à l’éviter. (…) Nous avons, tous [communauté internationale], abandonné des centaines de milliers de victimes à cet infernal huis clos. » (il y a trois ans).
Aujourd'hui, il assure en effet : « La France, qui aurait pu arrêter le génocide (…), n'en a pas eu la volonté. ». Une phrase très forte en signification, avec le bémol qu'Emmanuel Macron met dans le même sac la France « avec ses alliés occidentaux et africains » dont la passivité, le silence et surtout, l'absence de réaction ont été terrifiants pendant la centaine de jours qu'a duré le génocide (l'armée française n'a fait qu'évacuer des ressortissants européens et quelques Rwandais).
La journaliste de "Libération" Maria Malagardis, qui s'est réjouie, le 5 avril 2024, de cette nouvelle déclaration présidentielle en titrant carrément son article par : « Génocide au Rwanda : Emmanuel Macron sauve l'honneur de la France », en a profité pour associer cette prise de conscience à un proverbe rwandais : « La vérité traverse le feu sans se brûler. ». Espérons ainsi qu'Emmanuel Macron ne se brûlera pas les ailes, car ce genre de propos est souvent décrié par ses contemporains.
Dès le 4 avril 2024, l'Élysée avait apporté quelques précisions sur ce message présidentiel de dimanche : « Ce 7 avril 2024, le chef de l'État réaffirmera que la France est aux côtés du Rwanda, du peuple rwandais, en souvenir d'un million d'enfants, de femmes et d'hommes martyrisés parce que nés Tutsis (…). Il redira l'importance du devoir de mémoire mais aussi du développement des savoirs de référence et de leur diffusion, en particulier par l'éducation des jeunes générations en France. ».
Mais la partie la plus importante du communiqué du 4 avril 2024 est celle-ci : « Le chef de l’État rappellera notamment que, quand la phase d’extermination totale contre les Tutsis a commencé, la communauté internationale avait les moyens de savoir et d’agir, par sa connaissance des génocides que nous avaient révélée les survivants des Arméniens et de la Shoah, et que la France, qui aurait pu arrêter le génocide avec ses alliés occidentaux et africains, n’en a pas eu la volonté. ».
Cette vidéo, qui sera visible sur les réseaux sociaux à partir du 7 avril 2024, est une nouvelle étape dans la reconnaissance de la France de ses propres errements, principalement dus à la conviction très forte de François Mitterrand de soutenir le régime hutu sans jamais réviser la position française à partir de la réalité du terrain. Il ne s'agit, dans ce cas présent, ni de repentance, ni d'excuse, mais de reconnaître simplement et lucidement ses torts et de pouvoir éviter de renouveler ce type d'aveuglément qui a coûté très cher en vies humaines.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (06 avril 2024)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
30e anniversaire du génocide rwandais : Emmanuel Macron ajoute la lucidité à la mémoire.
Emmanuel Macron au Rwanda : pas de repentance mais des responsabilités.
Discours du Président Emmanuel Macron le 27 mai 2021 à Kigali, au Rwanda (texte intégral et vidéo).
Rapport de Vincent Duclert sur le rôle de la France lors du génocide rwandais remis le 26 mars 2021 (à télécharger).
Rapport Quilès sur le rôle de la France lors du génocide rwandais, déposé le 15 décembre 1998 (à télécharger).
Rwanda 1994 : Bagatelles pour un massacre (1).
Rwanda 1994 : Bagatelles pour un massacre (2).
Génocide rwandais : la France est-elle toute blanche ?
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