33e édition du G8 : conflits et influences
Alors qu’en dehors des limites imposées par le « rideau de fer » voulu par Angela Merkel, s’enchaînent manifestations et combats censés empêcher ce 33e G8 de se dérouler, les « huit » eux-mêmes trainent la patte pour se rencontrer. Petit survol des raisons d’Etats.
Les Etats-Unis, la Russie, le Japon, le Canada, le Royaume-Unis, l’Italie, la France et l’Allemagne qui accueille et préside cette 33e réunion des grandes puissances mondiales, se réuniront demain, mercredi 6 juin, à Heiligendamm dans le Kempiski Grand Hotel, barricadé pour l’occasion derriere un "rideau de fer" ("der Zaun", en allemand) le ceinturant sur 12 km d’acier et de barbelés tranchants. En marge des conflits générés par les manifestants du contre-sommet qui défrayent l’actualité depuis une semaine (cf. article précédent : "La 33e édition du G8 va t-elle dégénérer ?"), l’actualité internationale vacille face aux rapports compliqués qu’entretiennent entre eux les chefs d’Etats attendus par le sommet. Ainsi faisant suite à un vieux rêve reaganien, les Etats-Unis ont-ils exprimé le souhait d’installer un bouclier antimissile au coeur de l’Europe, en République tchèque, proposition qui a également recueilli l’écho favorable de la Pologne. Ainsi qu’en témoigne Niall Green, déjà auteur sur internet de nombreux articles concernant la géopolitique d’Europe de l’Est, les autorités tchèques et polonaises semblent accueillir favorablement la proposition américaine de construction d’un bouclier antimissile sur chacun de leurs territoires. (Le Grand Soir, 8 février 2007). Les deux gouvernements sont bien décidés à "aller de l’avant" même si les sondages indiquent que deux tiers des Polonais et des Tchèques s’opposent à une participation au bouclier antimissile et malgré le fait qu’il faille dès lors accepter une enclave américaine sur leur territoire.
"Le Pentagone a insisté pour dire que les deux bases deviendraient des territoires américains souverains et que les quelque 500 Américains qui y travailleraient ne seraient pas soumis aux lois polonaises ou tchèques".
Cette volonté affichée des anciens pays du bloc soviétique de s’émanciper définitivement de la Russie et de se rapprocher de l’OTAN accompagne les déclarations ministérielles formulées sur un tout autre sujet, le 15 mai 2007, par le porte-parole du ministère polonais des Affaires étrangères Robert Szaniawski, selon lequel la Pologne aurait décidé de poser une seconde condition à l’ouverture de négociations prévues dans le cadre d’un accord économique entre l’Union européenne et la Russie, demandant à ses partenaires de l’UE de statuer sur "la solidarité de tous ses membres en matière d’approvisionnement énergétique" ; une problématique vitale pour s’arracher à la dépendance russe en matière d’énergie. Cette décision suit la demande de lever l’embargo russe imposé depuis un an et demi sur la viande et les fruits et légumes polonais, dont la Russie prétend qu’il serait d’origine sanitaire mais que le gouvernement polonais voit plutôt comme une sorte de vengeance "politique", indique le site promethee.fr. Un porte-parole de la diplomatie russe, Mikhaïl Kamynine, juge cette situation "inadmissible" et déclare qu’on ne peut "admettre que les relations entre la Russie et l’UE (...) deviennent l’otage de la position d’un des Etats membres de l’UE (...) ".
La Russie, franchement abandonnée par ses anciennes "dépendances", ne voit donc pas du tout d’un bon oeil se constituer à ses portes une alliance européano-américaine sous la forme d’un "bouclier antimissile américain (...) conçu pour donner un avantage nucléaire décisif à Washington." C’est-à-dire comme le rappelle Niall Green pour le site internet mondialisation.ca, "le développement d’un réseau très performant de radars, de satellites et d’intercepteurs de missiles intercontinentaux balistiques [qui] pourra à terme réduire à néant toute tentative d’une puissance nucléaire rivale de lancer une contre-offensive en réponse à une frappe nucléaire américaine". De ce fait, Vladimir Poutine a dénoncé, le 31 mai 2007 au Kremlin à Moscou, "le diktat" et l’impérialisme" dont font preuve les Etats-Unis, dans un contexte de plus en plus tendu, souligne l’AFP. Se voulant conciliants, "les Etats-Unis ont annoncé, vendredi 4 mai, que des rencontres avec des hauts responsables russes sont d’ores et déjà prévues pour le mois de septembre" révèle le Monde. La République tchèque s’organise également dans ce sens. Mais Vladimir Poutine, y voyant le début "d’une nouvelle course à l’armement" souligne à l’AFP "que l’essai mardi d’un nouveau missile intercontinental russe à têtes multiples était une réponse aux actions unilatérales de certains pays". Face à la menace envisagée, le ministre de la Défense russe Sergei Ivanov ajoute : « Cela n’inquiète pas la Russie. Ses forces nucléaires stratégiques peuvent assurer sa sécurité en toutes circonstances. (...) Ce dispositif ne sert qu’à démontrer à quel point Prague et Varsovie veulent prouver leur loyauté envers Washington. » (Le Grand Soir). Ivanov s’est également interrogé publiquement, à Varsovie, en présence du Figaro « car ni les missiles nord-coréens ni les missiles iraniens ne peuvent atteindre cette région » a-t-il dit, alors "quelle sera la cible de ce système antimissile ?".
"Le président américain George W. Bush a déclaré que le projet de bouclier antimissile en Europe centrale est destiné à protéger les alliés des Etats-Unis au sein de l’OTAN contre un tir de missile iranien, voire nord-coréen." indique latribune.fr.
Une information aussitôt démentie par l’Iran sur le ton de l’ironie : "Les affirmations de responsables américains selon lesquelles installer un système de défense antimissile en Europe vise à confronter les missiles iraniens et protéger l’Europe contre l’Iran sont la blague de l’année", a déclaré M. Larijani, secrétaire du Conseil suprême de la sécurité nationale iranienne, à l’agence de presse officielle IRNA. L’Iran toujours sur la sellette internationale, a déclarée le 4 juin, dans un discours prononcé à l’occasion de l’anniversaire de la mort de l’ayatollah Ruhollah Khomenei, fondateur de la République islamique d’Iran, décédé en 1989 : "Pensez-vous que la nation iranienne va mendier pour obtenir ses droits nucléaires afin que les puissances agressives l’acceptent ? (...) Non, tel n’est pas l’état d’esprit d’une nation libre et indépendante". L’Iran dément toujours formellement les accusations des Occidentaux "de vouloir se doter d’un arsenal nucléaire" et "affirme vouloir uniquement produire de l’électricité". Face à la menace des Etats-Unis et de leurs alliés qui comptent profiter du G8 pour proposer de nouvelles sanctions, Khamenei réplique : "Ces prochaines élections législatives seront une nouvelle occasion (de prouver) la dignité et la vigueur de la nation". Auquel la foule a répondu : "Mort à l’Amérique".
La Corée du Nord, quant à elle, vient de tirer vendredi des missiles à courte portée en direction de la mer du Japon, sans toutefois mettre directement en danger l’archipel, rapporte l’agence de presse japonaise Kyodo. L’état-major sud-coréen tempère l’information en précisant que "ces tirs de missile de courte portée semblent entrer dans le cadre d’exercices de routine effectués tous les ans par le Nord sur ses côtes est et ouest". Le site belge lalibre.be insiste néanmoins sur le fait que "ces tirs surviennent en période de tension entre la Corée du Nord et le Japon", et rappelle qu’il y a des précédents, notamment "l’essai nucléaire nord-coréen du 9 octobre 2006". Sans omettre le tir d"août 1998 : la Corée du Nord avait alors lancé au-dessus du Japon un missile qui avait fini sa course dans l’océan Pacifique. Le Japon soutient donc les Etats-Unis dans leur projet de bouclier antimissiles en Europe.
Une Europe qui, à l’instar de la France et de l’Allemagne, espère, par-delà les questions géopolitiques, réunir les nations sous le thème de l’écologie.
Mais une fois de plus les Etats-Unis ne l’entendent pas de cette oreille : "A dix jours du sommet du G8 en Allemagne, les Etats-Unis sont plus que jamais décidés à ne pas parler réchauffement climatique" rapporte Libération, précisant que "les deux pays (l’Allemagne et les Etats-Unis, ndlr) se disputent chaque mot d’un projet de déclaration commune à l’ensemble des pays du G8, qui aurait fixé comme objectif la réduction de moitié de leurs émissions de gaz à effet de serre en 2050, comparé à 1990".
Angela Merkel se trouve aujourd’hui dans une situation délicate : d’un côté le contre-sommet qui, malgré la quantité d’hommes et d’argent déployée, fait rage, blessant à la volée manifestants et policiers. Mais elle doit également peser de tout son poids pour faire pencher les débats vers l’écologie et la réduction des gaz à effet de serre. "Elle s’appuie sur sa double présidence de l’Union européenne et du G8 et s’adosse à des conclusions de scientifiques pour faire reconnaître qu’un réchauffement supérieur à 2 °C (par rapport à 1990) deviendrait rapidement insoutenable", indique Le Monde. Mais "les commentaires américains évoquent des propositions totalement incompatibles avec l’approche du président George Bush", rapporte France24.com.
"Les efforts de Tony Blair pour convaincre George Bush de l’importance de la lutte contre le changement climatique ont tout simplement échoué, bien qu’il proteste du contraire", a déclaré le directeur de l’association Greenpeace, John Sauven.
En France le nouveau président Nicolas Sarkosy qui se prépare "à sa première grande sortie internationale" (lesechos.fr), apportera sans doute un soutien non négligeable à la chancelière allemande. Il déclarait ce matin qu’il souhaitait mettre en place "des objectifs chiffrés" avec les autres membres en matière d’écologie. Il a également déclaré qu’il aborderait le sujet Ingrid Betancourt, toujours retenue par les FARC en Colombie. Il devra également s’adapter à certaines tensions avec la Russie. "Si le président américain George W. Bush voit à coup sûr arriver le nouveau président français avec soulagement, Vladimir Poutine a perdu en Jacques Chirac son meilleur allié" explique l’AFP. "Vladimir Poutine n’a guère apprécié ses critiques sur la guerre en Tchétchénie et a manifesté son irritation en tardant à le féliciter après son élection ".
Un G8 aussi tendu à l’extérieur qu’à l’intérieur, profondément marqué par une volonté américaine intransigeante, tant du côté de l’écologie que de celui de la défense, cristallisant avec eux les plus vives inquiétudes pour la situation internationale menaçant de dégénérer, au mieux, en schéma orwellien, au pire en chaos atomique.
11 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON