75 ans de l’OTAN : retour sur les relations tumultueuses avec la France
« Cette expression [mort cérébrale] avait pour but essentiellement que je ne passe pas ce troisième sommet, pour ce qui me concerne, à discuter uniquement des contributions budgétaires des États membres, ce qui fut le cas des deux précédents, de manière quasi-exclusive. Et plutôt de s’interroger, ce qui est, me semble-t-il, notre devoir à l’égard de nos soldats et de nos concitoyens, sur les finalités stratégiques de l’Alliance. Et j’assume d’avoir lancé ce débat. » (Emmanuel Macron, le 4 décembre 2019 à Londres).
L'OTAN (Organisation du Traité de l'Atlantique Nord, NATO en anglais) a été fondée il y a 75 ans, le 4 avril 1949. Un certain nombre de pays européens et nord-américains ont signé en effet un traité d'alliance militaire défensive contre toute atteinte à l'intégrité territoriale de l'un d'eux. L'agression militaire contre l'un des membres a pour conséquence la solidarité de ses membres face à cette agression.
Ce type d'alliance n'est pas nouvelle et pendant toute la première moitié du XXe siècle, elle a régi certaines relations entre les pays, même si, finalement, les Accords de Munich ont trahi certaines alliances défensives ( par le lâchage de la Tchécoslovaquie au nom de la supposée "paix"). La guerre de Corée a conduit l'Alliance à créer également un commandement militaire intégré le 19 décembre 1950 (à l'origine, dirigé par le général Dwight Eisenhower), une organisation permanente, assurant ainsi des capacités militaires propres à l'OTAN, ce qui distingue cette alliance des autres alliances défensives dans l'histoire géopolitique, car ce commandement intégré est unique au monde.
Les douze membres fondateurs de l'OTAN sont : les États-Unis, la France, le Royaume-Uni, l'Italie, le Canada, la Belgique, les Pays-Bas, le Danemark, le Luxembourg, le Portugal, la Norvège et l'Islande. L'OTAN s'est ensuite élargie dix fois : le 18 février 1952 avec la Grèce et la Turquie ; le 9 mai 1955 avec l'Allemagne ; le 30 mai 1982 avec l'Espagne ; le 3 octobre 1990 en intégrant l'Allemagne de l'Est lors de la Réunification de l'Allemagne ; le 12 mars 1999 avec la Pologne, la Hongrie et la République tchèque ; le 29 mars 2004 avec la Roumanie, la Bulgarie, la Slovénie, la Slovaquie, la Lituanie, la Lettonie et l'Estonie ; le 1er avril 2009 avec la Croatie et l'Albanie ; le 5 juin 2017 avec le Monténégro ; le 27 mars 2020 avec la Macédoine du Nord ; le 4 avril 2023 avec la Finlande et enfin, le 7 mars 2024, avec la Suède, malgré les réticences de la Turquie et de la Hongrie (les deux derniers élargissements ont été provoqués par la tentative d'invasion des troupes russes en Ukraine).
Depuis 1950, des troupes américaines stationnent en Europe avec l'accord, évidemment, des pays qui les accueillent, pour assurer la défense de leur territoire. Il y a eu jusqu'à 413 000 soldats américains en 1955, mais depuis la chute de l'URSS, les États-Unis se sont progressivement désengagés du territoire européen, y laissant environ 100 000 soldats en 1995.
Il faut être clair : pendant ces plus de soixante-dix ans de fonctionnement, la plupart des pays européens, et en particulier l'Allemagne, ont sous-traité la défense militaire de leur territoire aux États-Unis. Cet accord tacite permettait aux Américains d'être les gendarmes du monde tout en ayant une influence politique déterminante en Europe de l'Ouest, à l'époque de la guerre froide et du Pacte de Varsovie. Il faut cependant rappeler deux exceptions, le Royaume-Uni et surtout la France qui ont, tous les deux, pris la décision de leur indépendance militaire en développement une force de dissuasion nucléaire indépendante de celle des États-Unis, sans pour autant en faire profiter d'autres pays européens.
La chute de l'URSS a naturellement provoqué l'élargissement de l'OTAN à l'Est, non pas par une volonté hégémonique d'un supposé Occident mythifié, mais en raison de la demande des pays de l'Europe centrale et orientale, très compréhensible car anciennement sous le joug soviétique, qui ont vu leur indépendance avec la Russie et leur sécurité se concrétiser par l'appartenance à cette alliance défensive.
Les rapports entre la France et l'OTAN ont toujours été assez passionnels, du genre : je t'aime, moi non plus. Fiers de leur indépendance, les Français voient d'un œil toujours suspicieux la présence de troupes américaines en Europe, d'autant plus que l'antiaméricanisme, renforcé avec l'arrivée au pouvoir de Vladimir Poutine, mais déjà très présent depuis la Libération, notamment par deux motivations plus ou moins complémentaires, l'anticapitalisme (extrême gauche) et l'antisémitisme (plutôt d'extrême droite mais l'extrême gauche y excelle aussi), fait oublier tout ce que les Européens doivent aux troupes américaines aux deux dernières guerres (des cimetières militaires américains rappellent cette histoire).
Le premier moment de désaccord entre la France et l'OTAN concerne la remilitarisation de l'Allemagne. Au début des années 1950, le gouvernement français la refusait absolument pour éviter de recréer une Allemagne militairement puissante, échaudé par les deux précédentes guerres mondiales. Toutefois, les États-Unis voulaient cette remilitarisation, car l'Allemagne, grande puissance économique de l'Europe, devant contribuer elle aussi à la défense européenne (cette exigence a été exprimée dès janvier 1948 par le général Matthew Ridgway qui considérait que sans contribution allemande, l'Europe de l'Ouest ne pourrait pas repousser une agression soviétique).
C'est à cette époque que la tentative de la Communauté Européenne de Défense (CED) a ouvert des perspectives intéressantes : il s'agissait de créer une union de défense principalement autour de la France et de l'Allemagne, permettant d'éviter une militarisation de l'Allemagne. C'était le compromis qu'ont trouvé Robert Schuman (Ministre des Affaires étrangères pendant la moitié de la durée de la Quatrième République) et Jean Monnet avec les États-Unis le 16 septembre 1950. Le projet a abouti à un texte de traité publié le 1er février 1952 approuvé par le Conseil de l'OTAN de Lisbonne et par les six pays européens membres de la CECA. Le Chancelier allemand Konrad Adenauer a accepté ce principe sous la condition que l'Allemagne fédérale retrouvât son entière souveraineté (elle était encore occupée par les États-Unis, le Royaume-Uni et la France ; ce furent les Accords de Bonn du 26 mai 1952).
Le Traité de la CED fut finalisé le 27 mai 1952 à Paris, signé notamment par Antoine Pinay, Konrad Adenauer et Alcide De Gasperi, selon les grandes lignes du plan présenté par René Pleven le 8 octobre 1950. Ce projet, qui mettait mal à l'aise toute la classe politique française, a finalement échoué à cause des parlementaires français, sans débat de fond, par l'adoption d'un rejet préalable le 30 août 1954 (par 319 voix contre 264). Le principal argument de la menace communiste avait été réduit par la mort de Staline et la fin de la guerre en Corée. On a reproché à Pierre Mendès France, pas très chaud mais partisan de la CED, d'avoir précipité l'examen de la ratification et de l'avoir involontairement sabordée. Il faut bien se rendre compte que la CED était la première tentative d'union européenne politique bien avant le Traité de Rome, et que c'est Emmanuel Macron qui tente aujourd'hui de reprendre l'initiative sur ce sujet pour faire face au désengagement progressif des États-Unis.
L'échec de la CED a entraîné l'adhésion de l'Allemagne fédérale à l'OTAN le 9 mai 1955 (conformément aux Accords de Paris signés le 23 octobre 1954), ce qui a entraîné la formation du Pacte de Varsovie (mené par l'Union Soviétique) dès le 14 mai 1955. Si la Quatrième République n'a pas su construire une défense européenne (pour l'instant, la Cinquième République non plus), elle a su néanmoins mettre la France sur les rails de l'indépendance nucléaire en amorçant le développement de la force de frappe (par la politique de Félix Gaillard).
Un autre moment important entre la France et l'OTAN fut en 1966. Le Général De Gaulle, soucieux de l'indépendance de la France et de sa souveraineté, bien qu'elle ait toujours fait partie du camp atlantiste, a annoncé le retrait de la France du commandement intégré de l'OTAN lors de sa conférence de presse du 21 février 1966 (il en a averti le Président américain par une lettre du 7 mars 1966).
De Gaulle avait soutenu sans faille les États-Unis lors de la crise des missiles à Cuba. Au conseil des ministres du 14 octobre 1962, il avait en effet déclaré : « Les répercussions [de la crise de Cuba] sur la sécurité européennes sont évidentes. Si les Américains cédaient sur Cuba, il faudrait céder sur Berlin. Là, ce serait une décision à prendre entre alliés. Si les intérêts de la France sont respectés en Europe comme nous aurons respecté ceux des États-Unis en Amérique, nous ne sortirons pas de l'OTAN. (…) Nous n'avons pas à participer au blocus de Cuba. Mais si la sécurité de l'Europe est en cause, ce qui est probable, nous agirons aux côtés de nos alliés. Si c'est la guerre, nous la ferons aux côtés des Américains. ».
Mais revenons à la sortie du commandement intégré de l'OTAN. À mon humble avis, cette demi-mesure fut une erreur : soit il voulait montrer une indépendance totale et il aurait dû quitter l'OTAN elle-même, soit il trouvait d'autres voies diplomatiques pour exprimer ses réserves de souveraineté. C'était d'autant une erreur que la France bénéficiait d'accueillir le siège de ce commandement intégré, à Paris, et qu'il a dû donc être transféré à Bruxelles. De plus, la France, par la suite, a participé à de nombreuses interventions militaires de l'OTAN (notamment dans l'ex-Yougoslavie, en Afghanistan et en Afrique) mais n'avait pas accès au commandement intégré, ce qui réduisait beaucoup plus sa souveraineté que si elle avait eu droit de participer aux décisions opérationnelles. Le Président Nicolas Sarkozy a annoncé la réintégration de la France dans le commandement intégré de l'OTAN le 7 novembre 2007 au Congrès américain à Washington, effective au Sommet de l'OTAN à Strasbourg-Kehl le 3 et 4 avril 2009 (après un vote par les députés français le 17 mars 2009) : « La France reprend donc toute sa place dans l'Alliance parce que la position de la France n'était plus comprise. Nous sommes de la famille, nous sommes dans la famille. Nous sommes des alliés, nous sommes des amis. Nous avons nos convictions, nous voulons être des alliés et des amis debout. ».
Il faut rappeler le premier argument de De Gaulle pour quitter le commandement intégré : « En raison de l'évolution intérieure et extérieure des pays de l'Est, le monde occidental n'est plus aujourd'hui menacé comme il l'était à l'époque où le protectorat américain fut organisé en Europe sous le couvert de l'OTAN. ». De Gaulle en a exposé cinq, en tout, dont deux en rapport avec le développement de l'arme nucléaire. La plupart de ses arguments étaient avant tout des arguments pragmatiques et si les conditions venaient à changer, De Gaulle aurait probablement changer aussi d'avis. Seul, le dernier avait valeur idéologique : « La volonté qu'a la France de disposer d'elle-même, volonté sans laquelle elle cesserait bientôt de croire en son propre rôle et de pouvoir être utile aux autres, est incompatible avec une organisation de défense où elle se trouve subordonnée. (…) Au total, il s'agit de rétablir une situation normale de souveraineté, dans laquelle ce qui est français, en fait de sol, de ciel, de mer et de forces, et tout élément étranger qui se trouverait en France, ne relèveront plus que des seules autorités françaises. C'est dire qu'il s'agit là, non point du tout d'une rupture, mais d'une nécessaire adaptation. ». Plus tard, le 13 octobre 1965, De Gaulle a confié à Alain Peyrefitte : « L'Alliance est souhaitable tant qu'une menace subsiste à l'Est ! L'Alliance, oui, mais pas l'OTAN, pas l'organisation militaire intégrée aux ordres des Américains. ».
Dans une tribune publiée dans "Le Monde" du 19 avril 1991, le gaulliste François Fillon, qui était déjà un bon connaisseur des affaires de défense comme président de la commission de la défense à l'Assemblée Nationale entre 1986 et 1988, a évoqué l'OTAN ainsi : « La France aurait intérêt à placer ses alliés au pied du mur en proposant une véritable européanisation de l'alliance atlantique, en concurrence avec l'actuel projet de simple replâtrage de l'OTAN sous leadership stratégique américain. Le plan mis en avant poserait clairement les conditions dans lesquelles nous serions prêts à participer pleinement à une OTAN repensée : retour à l'esprit du traité de 1949, prééminence des organes de décision politiques sur la structure militaire, européanisation de tous les commandements, y compris le poste suprême, adoption d'une stratégie nucléaire clairement dissuasive rejetant tout concept de bataille, même conventionnelle, enfin coopération et interopérabilité des forces plutôt que leur fusion. ».
Nicolas Sarkozy, quant à lui, a développé une réflexion plutôt de simple retour. Pendant sa campagne présidentielle, le 7 mars 2007 à La Défense, il a déclaré : « Ce serait enfin une erreur d'opposer la politique européenne de défense à l'Alliance atlantique, alors même que l'Union Européenne et l'OTAN sont deux organisations plus complémentaires que concurrentes. En revanche, nous devons veiller avec nos partenaires européens à ce que l'OTAN n'évolue pas, comme sembleraient le souhaiter les États-Unis, vers une organisation mondiale effectuant des missions aux confins de l'humanitaire, du militaire et des activités de police internationale. L'OTAN n'a pas vocation à se substituer à l'ONU. Elle doit conserver un ancrage géopolitique clair en Europe et une vocation strictement militaire. ».
Une fois élu Président de la République, il a répété cette doctrine devant les ambassadeurs de France le 19 août 2007 : « Opposer l’Union à l’Otan n’a pas de sens : nous avons besoin des deux. Mieux : je suis convaincu qu’il est dans l’intérêt bien compris des États-Unis que l’Union Européenne rassemble ses forces, rationalise ses capacités, bref organise sa défense. Nous devons progresser avec pragmatisme, avec ambition, sans a priori idéologique, avec pour principal souci la sécurité du monde occidental. Parce que les deux mouvements sont complémentaires, je souhaite que dans les prochains mois nous avancions de front vers le renforcement de l’Europe de la défense et vers la rénovation de l’OTAN et de sa relation avec la France. ». Et la confirmation devant le Congrès américain le 7 novembre 2007 : « Je le dis à la tribune de ce Congrès : plus l'Europe de la défense sera aboutie, plus la France sera résolue à reprendre toute sa place dans l'OTAN. Je souhaite que la France, membre fondateur de notre Alliance et qui est déjà l'un de ses premiers contributeurs, prenne toute sa place dans l'effort de rénovation de ses instruments et de ses moyens d'action, et fasse évoluer dans ce contexte sa relation avec l'Alliance en parallèle avec l'évolution et le renforcement de l'Europe de la défense. Le temps n'est plus aux querelles théologiques, nous n'avons plus le temps ! Le temps est à des réponses pragmatiques pour rendre les outils de notre sécurité plus efficaces et plus opérationnels face aux crises. L'Union Européenne et l'Alliance doivent marcher la main dans la main. Notre devoir est de protéger nos concitoyens, nous les protégerons ensemble, une Europe de la défense crédible et forte au sein d'une Alliance rénovée. ». Et au Sommet de l'OTAN à Bucarest, le 3 avril 2008, Nicolas Sarkozy était déjà l'un des promoteurs du "en même temps" : « Laissons cheminer l'Europe de la défense, et nous continuerons à cheminer vers l'OTAN. Je le redis, ce sont les deux en même temps, pas l'un ou l'autre, attendons le sommet [de Strasbourg-Kehl]. ».
Devenu Premier Ministre, François Fillon a confirmé l'évolution de la position française sur l'OTAN lors de l'examen d'une motion de censure le 17 mars 2009 dans l'hémicycle de l'Assemblée Nationale : « Quatre événements nous poussent à réinvestir l'OTAN : premièrement, la Présidence française de l'Union Européenne, qui a redonné du sens à l'action politique et à l'autonomie diplomatique de l'Europe, comme l'a montré la crise géorgienne ; deuxièmement, l'entrée en vigueur du Traité de Lisbonne, qui doit servir de levier pour accentuer l'efficacité et le rayonnement de l'Union Européenne ; troisièmement, l'arrivée d'une nouvelle administration américaine, dont il faut saisir au plus vite les potentialités, avant que les habitudes ne reprennent le dessus ; quatrièmement, la redéfinition du concept stratégique de l'OTAN, qui date de 1999. (…) L'OTAN doit d'abord être un instrument de défense destiné à la protection de ses membres. Elle doit être avant tout une alliance militaire, fondée sur des valeurs communes, et non une sorte de fer de lance occidental agissant partout et sur tout. (…) Nous voulons stopper ce jeu à somme nulle qui consistait à monter l'Europe de la défense contre l'OTAN et l'OTAN contre l'Europe de la défense. Nous voulons sortir l'Europe de cette impasse en allant convaincre nos partenaires là où ils sont, c'est-à-dire à l'OTAN ! Et il est difficile de dire (…) que notre pleine participation à l’OTAN va affaiblir l’Europe de la défense alors même que l’ensemble des pays de l’Union Européenne salue la décision que nous venons de prendre. ».
Ancienne Ministre de la Défense pendant cinq ans, Michèle Alliot-Marie expliquait aussi dans une tribune publiée dans "Le Figaro" le 18 février 2009 : « Dans le commandement de l'OTAN, la France élargira sa capacité d'action sur le plan militaire et diplomatique, elle aura les moyens de peser plus sur les choix stratégiques. En participant à toutes les structures, il devient possible d'exercer une réelle influence non plus seulement sur les décisions, mais aussi et surtout sur la conduite des opérations. Notre vision, notre savoir-faire dans le rapport aux populations, ce que nos alliés appellent la "French touch", pourra être prise en compte en amont et dans le déroulement de toute intervention. Nos responsabilités seront ainsi davantage en conformité avec la réalité des moyens militaires que nous déployons. ». Elle affirmait aussi la raison de la sortie du commandement intégré en 1966 : « Entre 1958 et 1966, la France gaulliste y participait donc. Pourquoi l'avoir quitté ? Essentiellement pour préserver notre pleine autonomie sur le programme nucléaire naissant, gage de notre indépendance. Aujourd'hui, la force de dissuasion nucléaire française existe et, à la différence de 1966, nous pouvons participer au commandement militaire sans renoncer en rien à notre souveraineté entière sur l'arme nucléaire. ».
L'élection de Donald Trump à la Maison-Blanche en novembre 2016 a changé l'OTAN pratiquement autant que, plus tard, l'agression des troupes russes en Ukraine. En effet, adepte de la tradition isolationniste des États-Unis, Donald Trump s'est focalisé sur les coûts de l'OTAN, énormes pour les États-Unis et il voulait que les pays européen contribuassent plus pour leur défense. De quoi inquiéter la Chancelière allemande Angela Merkel au Sommet de l'OTAN à Bruxelles les 11 et 12 juillet 2018 : « Ce que nous avons considéré comme tout à fait naturel pendant de nombreuses décennies, à savoir que les États-Unis se voient comme le garant de l'ordre dans le monde entier (…), n'est plus aussi certain pour l'avenir. ».
Mais la position de la Turquie du Président Erdogan n'était plus non plus tout à fait claire (avec son intervention en Syrie mais aussi, plus tard, en Grèce), ce qui renforçait le diagnostic avec le Président français Emmanuel Macron, mais dans des termes plus éloquents. Avant le Sommet de l'OTAN à Londres les 3 et 4 décembre 2019, Emmanuel Macron a en effet balancé dans une interview à "The Economist" le 7 novembre 2019 : « Ce qu’on est en train de vivre, c’est pour moi la mort cérébrale de l’OTAN. Nous assistons à une agression menée par un autre partenaire de l’OTAN qui est la Turquie, dans une zone où nos intérêts sont en jeu, sans coordination. Il n’y a pas eu de planification ni de coordination par l’OTAN. Il n’y a même pas eu de déconfliction par l’OTAN. ». Le Président français a ensuite reçu à l'Élysée le Secrétaire Général de l'OTAN Jens Stoltenberg le 28 novembre 2019. À cours d'une conférence de presse commune, Emmanuel Macron a déclaré : « J’assume totalement d’avoir levé les ambiguïtés (…). Il fallait peut-être un “wake-up call” ! ».
Aujourd'hui Joe Biden est à la Maison-Blanche et soutient l'effort de défense européenne comme le voudrait la tradition atlantiste. Mais les perspectives d'une élection nouvelle de Donald Trump à la Maison-Blanche en novembre 2024 inquiète de nouveau les partenaires européens dans un contexte de guerre en Ukraine et de tensions très fortes avec Vladimir Poutine. Plus que jamais, la création d'une armée européenne est une nécessité géopolitique. L'Europe doit pouvoir être défendue quels que soient les aléas électoraux des États-Unis. Pour retrouver cette souveraineté européenne, l'Europe doit former l'Europe de la défense qui n'a été, jusqu'à maintenant, qu'une belle mais vaine expression.
L'Ukraine, la Moldavie et la Géorgie ont demandé leur adhésion à l'OTAN, preuve, s'il le faut, que cette alliance défensive est leur seul garant de la protection de leur territoire face aux visées expansionnistes de Vladimir Poutine. Pour les Pays Baltes, la Pologne et la Roumanie, ils sont déjà membres de l'OTAN et sont donc plus assurés du soutien militaire des États-Unis.
Actuellement, l'OTAN a quatre fois plus de chars que la Russie, trois fois plus de sous-marins, quatre fois plus d'hélicoptères, six fois plus de blindés, huit fois plus d'avions, près de cinq fois plus de navires, trois fois plus de chasseurs, quatre fois plus de canons, et seize porte-avions (contre zéro). L'OTAN est vingt fois plus puissante que la Russie, avec 3,2 millions de soldats face à 1,2 million de soldats russes. L'OTAN n'a donc pas à craindre militairement la Russie, mais elle peut craindre le désengagement des Américains qui concentrent la plus grosse partie de cette puissance.
En 2023, les États-Unis étaient les plus gros contributeurs avec un budget de la défense de 860 milliards de dollars (3,5% du PIB) devant l'Allemagne 68 milliards de dollars (1,6% du PIB), le Royaume-Uni 66 milliards de dollars (2,1% du PIB), la France 57 milliards de dollars (1,9% du PIB), etc. Consciente de son voisin russe, la Pologne dépensait 29 milliards de dollars (3,9% du PIB) en 2023.
Le dernier Sommet de l'OTAN a eu lieu à Vilnius, en Lituanie, les 11 et 12 juillet 2023. À cette occasion, le Président ukrainien Volodymyr Zelensky a été invité et a demandé une adhésion qu'il n'était pas possible d'accepter tant que l'Ukraine était en guerre (en raison de la solidarité défensive). Dans une sorte de délire paranoïaque téléguidée par un refus d'un modèle ukrainien de démocratie, Vladimir Poutine a axé la motivation de son agression contre l'Ukraine dans un contexte d'une supposée agression de l'OTAN contre la Russie, ce qui est totalement faux.
Au contraire, jusqu'en 2022, l'OTAN était en "mort cérébrale" car les États-Unis se redéployaient dans le Pacifique avec la défense de Taïwan face à la Chine. La guerre en Ukraine a réveillé l'Europe sur le besoin de se défendre par elle-même, alors que les budgets publics déficitaires avaient rogné depuis une trentaine d'années tous les budgets de la défense (l'armée ne râlant jamais). Non seulement Emmanuel Macron a tenté d'éveiller les consciences en parlant de "mort cérébrale", mais il a renforcé le budget de la défense de la France dès 2017, puis avec une loi de programmation militaire, ce qui est inédit dans l'histoire de notre République. Au lieu de laisser l'OTAN s'endormir tranquillement d'une sédation définitive, Vladimir Poutine l'a réveillée si bien que même deux pays dont la neutralité faisait partie de leurs fondamentaux ont adhéré à l'OTAN, la Finlande et la Suède. Aujourd'hui, la position géostratégique de la Russie est en plus mauvaise posture qu'au début de l'année 2022 ; l'OTAN renaît !
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (04 avril 2024)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
75 ans de l'OTAN : retour sur les relations tumultueuses avec la France.
Emmanuel Macron très gaullien à la télévision pour expliquer la gravité de la situation en Ukraine.
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