Sur fond de luttes politiques, Caracas devient la cinquième ville du continent américain et la première capitale du monde à se déclarer opposée à la corrida.
Héritage des colons espagnols, la corrida est toujours de mise dans plusieurs pays d’Amérique latine, tels que le Mexique, le Pérou, l’Équateur, la Bolivie, la Colombie et le Venezuela. Comme dans la mère-patrie, on y pratique allègrement la mise à mort des taureaux. De ce côté de l’Atlantique, la saison des corridas correspond à la saison morte en Espagne, c’est-à-dire pendant l’hiver européen. C’est donc bien pratique pour occuper les toréadors (dont plusieurs sont latino-américains) et rentabiliser l’activité toute l’année durant.
Au Venezuela, on pratique la corrida dans quelques villes seulement, qui sont dotées de leurs arènes : Maracay, Maracaibo, San Cristóbal, Mérida et quelques autres petites villes de province, notamment dans les Andes. De son côté, la ville de Caracas, longtemps un haut lieu de la tauromachie latino-américaine, vient de dire non aux corridas.
C’est le résultat d’une lutte de plusieurs années entre partisans et adversaires de la fiesta taurina, sur fond, bien entendu, de discussions politiques pas toujours désintéressées.
Joyau architectural
Caracas possède des arènes qui sont un véritable joyau architectural : le
Nuevo Circo (photo ci-dessus). Inauguré le 26 janvier 1919, ce bâtiment exceptionnel est l’œuvre des architectes Alejandro Chataing et Luis Muñoz Tébar. Durant des années, il fut le théâtre de centaines de corridas, mais aussi de rassemblements politiques et de manifestations sportives (boxe, lutte libre) et culturelles (cinéma, théâtre). La dernière corrida s’y tint en 1997. Puis la place fut pratiquement abandonnée par ses propriétaires privés. Après moults vicissitudes, le bâtiment fut enfin déclaré bien d’intérêt culturel en 1998, ce qui le sauva in extremis de la démolition. En 2005, la municipalité de Caracas élabore un projet de restauration, grâce auquel on récupère sa façade et sa polychromie originale, dans l’objectif de le transformer en centre artistique et culturel.
C’était sans compter sans les travers de la politique politicienne. En novembre 2008, les élections municipales se soldent par la victoire à Caracas d’Antonio Ledezma, personnalité de l’opposition, qui ne s’était pas privé de faire campagne en faveur du retour des corridas dans la vénérable enceinte. Réponse du berger à la bergère : dès le lendemain de l’élection, l’administration sortante transfère la responsabilité du lieu à la mairie du Libertador, restée, elle, aux mains de l’officialisme.
Guerre déclarée
Depuis lors, la guerre est déclarée sur ce sujet (et de nombreux autres) entre administrations municipales du Libertador et du Grand Caracas. Le président Chávez lui-même intervient : « Le Nuevo Circo est un espace pour le peuple et continuera à l’être », déclare-t-il le 8 mars. Ultime épisode : le 21 avril dernier, les conseillers municipaux de Libertador proclament Caracas « ville anti-taurine », éliminant la possibilité de toute corrida de taureaux sur son territoire.
Jusqu’à nouvel ordre, le Nuevo Circo restera donc un lieu culturel. Il est actuellement administré par le
Núcleo Endógeno Artístico Nuevo Circo. Quelque 250 artistes y travaillent et offrent des ateliers de théâtre, de yoga, de danse, de percussion, d’initiation musicale pour enfants et d’arts plastiques. Les artistes de rue y sont particulièrement actifs, donnant au lieu une raison d’être qui correspond à son nom : Nuevo Circo (Nouveau cirque). En effet, le cirque, en tant qu’activité favorisant le développement social, supplante maintenant la corrida.
Caracas est ainsi devenue la deuxième ville anti-taurine du pays (après Carrizal) et la cinquième du continent américain. Elle est aussi la première capitale au monde à se déclarer opposée à la corrida. Ce sont les taureaux qui sont contents !