A propos de l’article « ils sont forts, ces Coréens »
Réponse à l’article « ils sont forts ces coréens » d’Arosmik, qui me semble ne pas apporter toutes les précisions nécessaires à une complète compréhension de la Corée d’aujourd’hui.
Cher Arosmik,
Etant en Corée du sud depuis quelques années désormais, je me permets d'intervenir concernant votre article ils sont forts ces Coréens. Je m’étais lancé dans un commentaire, mais étant donne la taille de ma réponse il me semblait nécessaire de créer un article à part. Tout d'abord, j'étais quelque peu étonné de votre analyse superficielle sur la Corée, alors que vous paraissez être sur le terrain et avez déjà livré des analyses plus critiques sur le pays. En effet, résumer la Corée à quelques éléments réducteurs la rendant utopique est assez naïf. Certes, à première vue, la Corée a des capacités de réaction et de cohésion qui peuvent rendre la France jalouse, mais ça s'arrête là. Vous décrivez en vrac quelques points à propos de technologie, décision politique, développement économique, écologie... Voyant chaque jour la réalité de ce que vous avancez, cela me fait doucement rire de faire l'apologie de la société coréenne.
Une société peu désirable
Vous avancez la récolte d'or lors de la crise de 97-98 pour démontrer la cohésion sociale coréenne ; mais cela s'est passé il y a 15 ans presque, et depuis de l'eau a coulé sous les ponts. La société coréenne est basée sur un système pseudo confucéen (très utile le confucianisme lorsqu'on veut contrôler le peuple) où chaque individu a sa place dans une hiérarchie définie. Or, cela fait bien longtemps maintenant que ce systeme de mutuel respect entre les dualités hiérarchiques a été tourné en l'absolu respect du supérieur, créant un désir pour chaque individu d'y retrouver son compte en cherchant une place lui conférant un pouvoir au-dessus d'autres individus. Ainsi, on se retrouve dans un système absurde où chaque sphère sociale se retrouve sous la coupe d'un petit dictateur abusant de son autorité (lui aussi étant sous la coupe de quelqu'un d'autre) ; et ce, dans tous les domaines : travail, loisirs, famille etc....
L'interaction humaine est restreinte, l'autorité ne devant pas être discutée ; les individus deviennent extrêmement égoïstes car ils ne veulent pas perdre le peu de pouvoir qu'ils ont, seule raison d'exister dans la société. Dans ces termes, la société coréenne est à l'opposé de la société française : une pensée égoïste dans une action collective, or la France se caractériserait plutôt par des actions individuelles dans une pensée collective (droit de grève, système d'aides sociales etc...).
Deux choses sont à préciser ici. L'action coréenne est collective, car ils n'ont pas le choix ; refuser d'agir comme son voisin vous prive du droit d'exister dans la société, créant une obsession sociale où tout le monde observe tout le monde en se comparant mutuellement : pour savoir comment agir d'une part, et pour se positionner par rapport à l'autre d'autre part (savoir si l’on est au dessus ou en dessous de l’autre). Ceci se conforme en quelques sorte à la pensée de groupe (groupthink d'Irvin Janis où tous les symptômes sont présents dans la société coréenne) dans une plus grande échelle, dans laquelle un individu n'osera pas proposer son opinion sous peine d'être sanctionné par les autres membres au nom de la sécurité du groupe ; ambiance assez dictatoriale en somme.
Deuxième chose à préciser après l'action collective autoritaire, le fait que l'égoïsme ait complètement supplanté l'individualisme. Tout comme dans nos pays occidentaux me direz vous ; pas exactement vous répondrais-je. Il y a eu en Europe un développement de la pensée individualiste ayant amené aux révolutions populaire et plus particulièrement en France à l'idée de souveraineté du peuple : chaque individu est responsable dans la société (d’où la pensée collective). Or, la Corée est passée d’un système autoritaire royal, à l'occupation dictatoriale japonaise, puis aux gouvernements autoritaires militaires pour enfin connaitre la démocratie au début des années 90. Point de pensée individualiste jusque là. De ce fait, l’individualisme politique et social n’existant pas, l’identité individuelle s’est créée autour du capitalisme naissant dans la société ; or le capitalisme et l’argent se ne se font qu’à travers l’égoïsme de l’un, et les nouvelles générations sont bercées au son des paroles sages de leurs parents : “tu dois être le premier, tu dois réussir, même si tu dois éliminer ton rival”. Ainsi, un individu ne vous portera pas d’attention s’il ne voit pas d’intérêt en vous ; chose qui devient extrême et définissant le comportement des individus dans la vie de tous les jours ; il peut y avoir un homme mourant sur le trottoir, les gens se contenteront de passer, ou de le filmer avec leur prodigieux bijoux technologiques si enviables.
Mais tout va bien, la Corée peut être un pays auquel la France peut envier beaucoup de choses. En effet la Corée est parmi les premiers pays dans beaucoup de domaines après tout : premier taux de suicide au monde, premier taux d’avortement au monde, pays dans le monde où la chirurgie esthétique est la plus pratiquée (notamment parmi les jeunes, les lycéennes), parmi les premier pays de l’OCDE où la corruption fait ravage. Par ailleurs, chose intéressante, la Corée est le premier pays de l’OCDE en termes de volume de travail, les coréens travaillent le plus… mais sont le dernier pays en termes de productivité (on reste au bureau pour le pays, hein) ; autrement dit, le travail qu’un coréen fait en une journée est fait en quelques heures en France.
Un pays qui aime bien prendre, mais pas donner
Le développement économique coréen est un des points auquel il est nécessaire de donner quelques précisions. Ah ! Ce développement qui a fait passer le pays du niveau d’un pays africain à celui d’un pays européen en cinq décennies ! Ce miracle coréen ! Car on peut discuter des malaises sociaux, mais rien ne peut dénier ce résultat économique… En ce sens, la Corée a en effet quelque chose de plus… Ce quelque chose ne serait-il pas les Etats-Unis ?
Ayant étudié en université coréenne, j’ai eu le droit, ô combien de fois, à cette épopée économique ; “partir de rien et être aujourd’hui meilleur que les occidentaux”. Un très beau mythe, quand on connait un peu en détail l’histoire économique du pays, qui ne commence pas de rien, comme beaucoup aiment le faire croire. Bien que la colonisation soit en aucun cas désirable, elle a tout de même apporte toutes les infrastructures nécessaire au développement, ainsi que ses structures nécessaire au préalable. Les japonais ont en effet tracé les grandes lignes du développement coréen, non pas pour les coréen mais pour le développement de l’empire colonial japonais. Toujours est-il qu’une fois partis, c’est ce qui servira de base à la relance du pays. Les années suivant la libération seront marquées par la présence des forces états uniennes, leurs aides et la nouvelle “démocratie”. Le premier dirigeant de ce nouveau système, Lee SungMan, utilisa les mêmes méthodes qu’utilise aujourd’hui notre ami du nord Kim JongIl afin de recevoir les aides : menaces, chantage et pressions. Les coréens semblent avoir quelques dons dans ces domaines, au vu du résultat escompté : Lee SungMan, par ses méthodes douteuses réussi à soutirer au nouvel allié capitaliste plus d’aide que toute l’Afrique ou toute l’Europe pour la Corée seule pendant les années 50.
La suite, pression dictatoriales sur la société, copie des techniques et technologies japonaises et exportation en masse aux pays occidentaux, tout particulièrement les Etats Unis dans une première étape. Les coréens n’ont jamais crée aucune technologie, toujours copié minutieusement ce qui existait déjà, mais à prix plus bas. Par ailleurs, il est à noter que ce formidable développement est dû a l’ouverture et au bon vouloir des pays occidentaux qui ont ouvert leurs marchés afin d’acheter les produits coréens. Car en effet, cela ne marche pas vraiment dans l’autre sens. Essayer de pénétrer le marcher coréen, c’est faire face aux obstacles gouvernementaux et des conglomérats économiques, qui trouvent toujours des magouilles pour avantager leurs entreprises. Un exemple tout récent peut être celui de l’iphone ; sous pression des si bienfaisants Samsung et LG, le gouvernement a trouvé des moyens d’empêcher l’entrée du nouveau téléphone tactile afin qu’ils aient le temps de le disséquer, de l’étudier et enfin d’en reproduire des copies dans tous les travers et les commercialiser sur le marché local avant de laisser l’”étranger” entrer, de manière à ce que les parts de marchés sur ces nouveaux produits soient déjà prises.
Alors oui, le développement était phénoménal, mais quand on a la terre labourée à l’avance et qu’on nous donne les graines et l’eau pour cultiver notre champ, comment passer a coté ? Il faut vraiment être maladroit pour rater une cible lorsqu’on est à un mètre d’elle. Encore aujourd’hui, l’économie coréenne est très largement dépendante des exportations, c’est à dire a l’ouverture de notre marche et notre bon vouloir, au vu des techniques mafieuses opérées dans leur “économie de marché ouverte”.
La mafia gouvernementale
Parlons donc de cette réactivité, de cette capacité à prendre des décisions qui manque cruellement à la France. Il est totalement vrai que dans la classe politique (ou dans tout autre sphère sociale) les décisions sont vite prises. Ceci est dû au fait que personne n’est consulté, donc forcement, il est plus facile de prendre des décisions. Mais ceci est-il un point positif ? Cette prise de décision autoritaire vient encore de ce pseudo confucianisme où le (ou les) leader sont censés prendre position au nom du bien du groupe qu’ils représentent, car ils sont censés entretenir une moralité dans leurs actions. Ainsi, les politiques sont une classe à part dans la société et privent les citoyens de leur opinion dans nombreux cas (le citoyen est censé “écouter” son leader), ce qui efface tout débat politique. Mais capitalisme oblige, les intérêts individuels passent avant et une lutte des lobbies s’effectue au sommet, afin de promouvoir les intérêts financiers d’un groupe restreint d’individus. A la trappe la moralité.
Dans ces conditions, les choix sont forcement vite faits, et souvent contraire à une idéologie démocratique voulant une consultation du peuple ou des différents groupes politiques, et les citoyens sont souvent au courant d’une réforme une fois qu’elle a été décidée rapidement. Du coup, dans ce jeu de dupes et d’hypocrites, il n’est pas rare que les opposants à certaines prises de décisions manifestent leur désaccord ; et le débat étant inexistant s’ensuit foire à empoigne, coups de poings en veux-tu en voila et pluies de chaises à l’Assemblée.
Par ailleurs, ces prises de décision rapides, auxquelles « on est tous à fond dedans » s’accompagnent de campagnes massives de propagande dans les lieux publics vantant les actions gouvernementales. Les coréens ne réfléchissant pas beaucoup et n’ayant pas vraiment le choix, vont forcement dans la direction qu’il leur est désignée, créant parfois des catastrophes politiques, économiques ou écologiques.
L’écologie pour les nuls
Il a été discute des vertus écologiques des coréens, avec cet effort dans la microsphère de sensibiliser le citoyen par la présence de puces spéciales rendant compte de la dépense CO2 à chaque achat… Bonne initiative et bien sûr il faut encourager la sensibilisation citoyenne à l’écologie ; mais quand vous avez des catastrophes écologiques qui s’opèrent sans que personne n’agisse, ou des pratiques complètement paradoxales à cette sensibilisation, il est difficile de mettre en avant l’écologie coréenne.
Prenons quelques exemples. Ces dernières années, le gouvernement a mis en place plusieurs projets d’urbanisation ou de développement des territoires. Le résultat fut catastrophique pour la faune et la flore environnante, qui fut presque totalement détruite au profit du « développement territorial pour le pays ». Que ce soit le projet de développement d’une baie artificielle, la construction de villes nouvelles et autoroutes ou encore le projet de relier les grands fleuves par des canaux ; les plantes et animaux sont condamnés à disparaitre, de même que les paysages naturels y existant avant (on n’hésite pas à raser des montagnes et des forêts pour le besoin).
Mais cela ne concerne pas le citoyen, peut on dire. Et bien à ce niveau là aussi, l’irresponsabilité est affligeante. Entre surchauffe des bâtiments, en laissant les fenêtres ouvertes en hiver ; et climatisation à outrance en été, avec là aussi toutes les portes grandes ouvertes (à tel point que la rue elle-même est climatisée) ; le gaspillage énergétique est alarmant. Sans compter les gens qui conduisent des véhicules énormes consommant à tout va, alors qu’ils sont seuls dans leurs véhicules ; les bus complètement dépassés qui relâchent des panaches de fumée ; les gens qui n’hésitent pas à laisser tourner leurs vehicules pour avoir un peu de climatisation… et j’en passe. Autant de faits qui m’affligent et qui m’amènent à me demander si la carte CO2 ne pèse pas bien lourd face à l’irresponsabilité écologique dont font preuve les coréens.
Pour conclure, loin de moi est la volonté de critiquer gratuitement. Cependant il me semble important de regarder plus profondément les événements, les processus amenant à un résultat qui pourrait paraitre idyllique. On ne peut enlever à la Corée tout les progrès qu’elle a fait, et qui restent respectables. Mais il faut garder en tète le prix à payer de ce développement, très lourd en terme de malaise social et de nivellement par le bas du citoyen. Ceux qui habitent le pays sont peut-être conscients de ces faits ; mais il me paraissait important de remettre les choses dans leur contexte pour ceux qui n’ont pas pu voir directement comment se déroule la vie en Corée et qui n’ont pas connaissance du processus qui a permis d’en arriver là ; et de leur apporter alors des éléments qui leur permettront de se faire une idée plus partagée.
Par ailleurs, en réflexion par rapport aux « réactions françaises » que je vois trop souvent et « ce que les coréens ont de plus », il me semble indéniable que les coréens ont cet amour de leur pays, et cette combativité qui leur permet de le défendre même dans l’erreur. Quelque chose qui manque cruellement à mes compatriotes, trop enclins à cracher sur leur propre pays, à denier leur hymne et à idolâtrer l’extérieur. La France est un beau pays, qui a parcouru un long chemin et qui a su prouver sa valeur ; il est dommage qu’il soit si facile de la dénigrer et l’attaquer de nos jours. Je crois que la balance pourrait se trouver entre la France et la Corée ; un équilibre entre patriotisme modéré et autocritique formatrice.
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