Affaiblissement du Droit international
C’est un paradoxe que la guerre soit affaire de Droit. Dans un premier regard, la guerre est un mode de relation dans lequel seule compte la victoire. La fin justifie les moyens ; c’est la seule « loi », qui ne comporte pas de contrainte, d’où les guillemets à loi.
Il est difficile de faire coïncider les ethnies et les territoires. Je prendrais « ethnie » dans le sens du sentiment d’appartenance à une ethnie. Il arrive fréquemment que deux « peuples », organisés par un État ou non, estiment qu’ils ne peuvent plus réguler leurs relations par la parole. Il suffit qu’un seul porte cette évaluation pour que la guerre se déclenche. Quand il s’agit de rapports de force, au sens de la physique, c’est le plus fort qui impose le niveau de « jeu ». Si l’adversaire sort un couteau, il vaut mieux avoir un couteau aussi, s’il sort un fusil, il vaut mieux avoir un fusil… etc. Inutile de monter à l’assaut de chars avec des chevaux et des sabres.
Les vainqueurs écrivent l’histoire ensuite ; ils disent qu’ils ont gagné parce qu’il avaient le « bien » avec eux…
Une sorte de sagesse humaine prend le parti de ne pas envoyer tout le monde contre tout le monde, mais de laisser agir des groupes spécialisés. Économie de moyens appréciable.
Il y a même dans la mythologie les Horace et les Curiace, où l’armée est remplacée par trois frères de chaque côté.
Un Droit international s’empare de la guerre pour en exclure les procédés les plus immondes. On fait des prisonniers plutôt que des morts, on garde les prisonniers dans un minimum de confort physique, nourriture, espace des cachots, soins médicaux… etc. Certaines armes chimiques sont interdites. On a obligation de protéger les civils, les journalistes… On déclare la guerre, on signe des armistices, des traités de paix, des accords sur les territoires, des dettes de guerre… Ce Droit est une longue liste de choses commandées par des textes, surplombant les rapports de forces militaires.
Le terrorisme se passe de toutes ces règles et tue là où il lui semble bon de tuer et de la manière qui lui convient, qui lui est accessible.
Bien évidemment, les lois de la guerre sont mal respectées. Entre guerre et terrorisme, on a des « crimes de guerre », des manquements locaux, sporadiques. De pays ou d’armées qui se situent globalement dans le Droit. Évaluer les manquements est difficile, on n’a pas d’arbitres comme sur les terrains de sport, et chacun trouve des excuses à ses erreurs et n’en voient aucune aux erreurs des autres. Ce qu’il s’est passé vraiment fait l’objet de deux récits incompatibles et contradictoires. D’autre part, évaluer les mauvais comportements ne suffit pas, il faudrait, dans l’idée complète du Droit, prendre des sanctions, et pour sanctionner, il faut être beaucoup plus fort que le coupable.
Nous assistons à un conflit entre Israël et le Hamas, dans lequel l’essentiel des discours tenus en Europe est la distribution des bons et mauvais points : qui est victime et qui est bourreau, à tel et tel moment, dans telle et telle affaire, tels et tels actes ; qui viole les lois de la guerre et se comporte en terroriste ? Les avis sont très investis affectivement, la déclaration d’être moralement pour un camp contre l’autre est tellement forte que le débat en disparait. La plupart des discours consistent à prendre parti.
L’enchevêtrement des manquements coupables est inextricable, les deux belligérants sont alternativement et selon les actes dans la guerre ou dans le terrorisme, au point que la frontière entre les deux qui nous importe tant et qui est une grande victoire civilisationnelle pourrait se gommer, s’oublier d’avoir été si peu opérationnelle. La question que je souhaite traiter est celle de savoir ce qui se joue au niveau mondial de ce Droit dans la guerre et de cette distinction entre guerre et terrorisme. Il se pourrait que la distinction perde toute efficacité, toute utilité et que le Droit de la guerre se dissolve, ce qui pourrait amener une autorisation terroriste généralisée.
Aucun tableau ne saurait être exhaustif. Rapidement : Israël s’est séparé de nombreuses résolutions de l’ONU, ne les respectant pas. Israël a incité des juifs à coloniser des villages en territoire palestinien. Des résolutions de l’ONU ont porté sur ce fait. Le blocus de Gaza ne parait pas trouver place dans les lois de la guerre. Les Palestiniens ont pratiqué à certaines époques le terrorisme. Puis, Arafat, ayant négocié les accords d’Oslo, reçut le prix Nobel de la paix en 1994. Plus près de nous, le Hamas, « parti » dirigeant, se conduit très mal envers les Gazaouis : pas d’élection, un grand rigorisme par rapport à la charia. Dans ce tout petit pays, il y aurait 500 km de tunnel, et aucun abri pour la population civile. Le Hamas déclare vouloir la destruction de l’État d’Israël. Il a fait une opération de commando sur le territoire d’Israël, terroriste et horrible, au cours de laquelle il a tué des civils désarmés et pris deux-cent-vingt-deux otages civils, selon une estimation.
La stratégie du Hamas consiste à cacher les armes au milieu des populations. Ainsi, une riposte à cette agression ne peut pas se faire selon les règles du Droit de la guerre, puisqu’elle ne peut agir qu’au milieu des civils. Cela s’apparente, pour Israël, à une double contrainte : ne rien faire pour rester dans le Droit et les terroristes ennemis feront autant de mal qu’ils veulent ; réagir militairement et passer pour des terroristes. Israël est entré à Gaza pour libérer les otages israéliens et d’autres nationalités. Les Gazaouis n’ont nulle part où aller : l’ Égypte ne veut pas les recevoir, ni l’immense monde arabe qui entoure cette contrée.
Certains dirigeants de la « communauté internationale » font des efforts pour modérer Israël, (moratoire, pause humanitaire…) Il ne semble pas que la détermination de Netanyahu puisse faiblir. Dans les idées du Droit, on trouve la proportionnalité de la riposte. Le décompte des morts montre qu’on a dépassé largement cette proportion ; mais il reste les otages. On voit mal le Hamas les libérer et se dédire aussi visiblement.
La suite, dans la région, ne promet rien de bon.
La suite, dans le monde, risque de rendre caduque la capacité de conduire, au moins un peu, la guerre par des injonctions de Droit.
En sens inverse, celui pacifique de s’abstenir d’intervention militaire, le président Obama a déjà brisé au niveau mondial cette distinction entre la guerre et le terrorisme : Le 30 août 2013, il a décidé de ne pas frapper le régime syrien à la suite des attaques à l’arme chimique dans la banlieue de Damas, contrairement à ses dires antérieurs. C’est un peu comme si l’interdiction des armes chimiques sortait du Droit international.
Cet effacement du Droit international de la guerre continue-t-il dans cette guerre entre le Hamas et Israël ?
La justice française a émis mardi un mandat d’arrêt international contre le président syrien, Bachar Al-Assad, accusé de complicité de crimes contre l’humanité pour les attaques chimiques perpétrées à l’été 2013 en Syrie. Il s’agit sans doute d’une concomitance fortuite. Elle est heureuse et vient lutter opportunément conte la dégradation de la pertinence du Droit international qui avait été rompue en 2013 et qui, peut-être, s’étend en ce moment au Moyen-Orient.
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