Afghanistan : de nobles mots dans une vilaine Bush
M. Sarkozy a estimé nécessaire de « serrer les coudes avec nos alliés ». Insistant à ce sujet sur l’importance d’un « front uni », il a ajouté : « Il se joue ici une guerre, une guerre contre le terrorisme que nous ne pouvons pas et ne devons pas perdre ». Le président Français était samedi à Kaboul, alors que la résistance des talibans au gouvernement afghan ne faiblit pas.
Difficile de contredire ces paroles. La loyauté envers ses alliés est une vertu républicaine, c’est entendu.
Néanmoins, on peut s’interroger sur cette "guerre au terrorisme" sur fond d’Afghanistan.
En fait, l’Afghanistan n’est plus le siège du terrorisme international, c’est juste une formule simple pour nos esprits puérils.
“Il y a un sanctuaire dans le Nord-Ouest du Pakistan, qui a remplacé l’Afghanistan” dit Richard Clarke, l’ex-responsable du contre-terrorisme à la Maison-Blanche et aujourd’hui consultant chez ABC News (source).
Tout le monde sait depuis longtemps que les bases d’Al Qaeda sont au Waziristan, dans les provinces tribales du Pakistan :
"Al
Qaeda s’est étendue et développée grâce à la publicité faite par des
attentats spectaculaires, tels que ceux du World Trade Center. Cette
hydre n’a pas vraiment de centre névralgique, mais seulement un refuge
pour ses maîtres à penser, dans les montagnes jouxtant le Pakistan et
l’Afghanistan, auprès des tribus pachtounes du Waziristan" (source).
Alors
il y a cette question des talibans. Ceux-ci semblent mal s’accommoder de
cette brigade internationale islamiste. Les trente ans de guerres afghanes
commencent à peser, et le président Hamid Karzaï est prêt à négocier
avec les fondamentalistes, qui prennent leurs distances avec Al Qaeda :
"Au Waziristan sud, une zone tribale du Pakistan située à la frontière
afghane, des talibans locaux ont perpétré en mars 2007 un massacre de
combattants étrangers du Mouvement islamique d’Ouzbékistan, affilié à
Al-Qaida..." (source)
Les
talibans ne sont que des opportunistes pachtounes du sud qui ont
bénéficiés de l’appui de l’ISI, les services secrets du Pakistan pour
contrer Massoud et l’alliance du Nord, dont les sympathies allaient
plutôt au gouvernement indien. Comme souvent, la créature monstrueuse
s’est affranchi de son maître. (source)
Donc
cette guerre afghane n’est plus vraiment une guerre contre le
terrorisme. Après la lutte contre les Russes, la résistance se
réorganise contre Karzaï, l’homme des Américains.
La vraie guerre
contre le terrorisme se joue sur un autre terrain : le nerf de cette
guerre n’a pas été tranché, et les capitaux, surtout saoudiens
continuent de circuler : “Si je pouvais d’une baguette magique couper
les vivres à un pays, je le ferais à l’Arabie” dit Stuart Levey, le sous-secrétaire d’Etat au Trésor, chargé de repérer le financement du
terrorisme, à ABC News.
Comme allié des Etats-Unis, en dépit de
quelques efforts dans la guerre contre la terreur, Levey dit que
l’Arabie saoudite a laissé tomber. Aucun des Saoudiens identifiés comme
financiers de la terreur n’a été poursuivi. “Alors que la preuve est
évidente, ces gens qui financent des organisations terroristes
devraient être arrêtés et poursuivis comme terroristes” poursuit-il.
D’après des sources officielles, aussi bien la liste des Etats-Unis que
celle de l’Onu comprend Yasin al Qadi, un riche homme d’affaires, qui
nie les faits et reste libre comme personnalité en vue dans son pays.
Son avocat de Londres Guy Martin du cabinet Carter-Ruck dit que les
Etats-Unis n’ont jamais produit de preuves à leurs allégations. Martin
dit “Il n’a jamais été jugé, ni même inculpé dans aucune juridiction
dans le monde. Malgré les allégations, il n’y a jamais eu de poursuite
criminelle. C’est un Guantanamo financier pour mon client qui est
victime d’une grosse manipulation juridique qui se poursuit, situation
à la Kafka, où des gens sont mis sur une liste sans raison”.
(source)
Cela me fait penser aux ennuis de Guillaume Dasquié avec le Saoudien Bin Mahfouz.
Cette volonté pour l’Otan de contrôler l’Afghanistan équivaut à contrôler le pipeline initialement prévu par l’entreprise américaine Unocal (dont Hamid Karzaï, le président afghan, a été le salarié durant son exil aux Etats-Unis) : "S’agissant de la compétition entre les Etats-Unis et l’Europe, il a rappelé que les Etats-Unis avaient, déjà sous le règne des talibans, signé des accords avec ces derniers, notamment dans le secteur énergétique, à l’instar de l’accord signé par la compagnie américaine Unocal prévoyant la réalisation d’un oléoduc entre la Caspienne et l’océan Indien via le Pakistan pour contourner l’Iran." (source)
Donc
la France s’engage auprès des Américains pour les aider à contrôler "le
grand jeu" géostratégique de cette région, où s’affrontent depuis 150
ans les influences occidentales, russes et iraniennes. L’allié
pakistanais est de plus en plus incontrôlable, et, alors que la
diplomatie américaine est opposée au chiisme totalitaire d’Iran depuis trente ans, le fanatisme pachtoune, peuple guerrier réparti entre Afghanistan du sud et Pakistan occidental, semble être la source de
bien des démons. La future bombe iranienne est un danger lointain à
côté de l’islamisme pakistanais.
"L’immense frayeur, à Washington et
dans d’autres chancelleries, c’est que les islamistes pakistanais,
alliés aux talibans, finissent par s’emparer des rênes de l’Etat et
mettent la main sur l’arme atomique." (source)
Tout cela n’a pas grand-chose à voir avec la guerre contre le terrorisme, et le discours de Nicolas Sarkozy ce week-end à Kaboul reprend les arguments de G. W. Bush, et est un mensonge inutile qui entretient une confusion dans l’opinion publique.
Quant à ceux qui s’offusquent
des femmes en burqa, Joseph Kessel en parlait dans ses premiers
reportages afghans de 1956, et je conseille dont deux extraits d’un
reportage de 1967 qui sont disponibles sur le site de l’INA :
Kessel raconte l’histoire d’une femme qui préfère la prison plutôt que d’être filmée
Kessel raconte une révolution de 1927 qui préfigure celle des talibans
Peut-on changer les traditions afghanes avec des Rafales ?
4 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON