Afghanistan : retrait militaire à haut risque pour Barack Obama
Le président américain Barack Obama a annoncé, mardi 21 juin, son intention de procéder à un retrait rapide de 33 000 troupes d’Afghanistan, afin de tourner la page d’une guerre de plus en plus impopulaire aux Etats-Unis. Une décision qui n’est pas tout à fait dénuée d’arrières pensées politiques et qui s’avère contestée par l’état-major militaire américain.

« Nous devons mettre fin à ces manœuvres le plus vite possible ». C’est en ces termes que Mickaël Gorbatchev conclut, en novembre 1986, la réunion du Politburo à Moscou. Il venait de solder l’intervention soviétique en Afghanistan, après six années d’une guerre qui avait donné le coup de grâce à un pays épuisé économiquement et moralement. Les Etats-Unis n’en sont pas encore là, loin s’en faut. Mais en annonçant, le 21 juin dernier, son intention de retirer 33 000 soldats présents sur le sol afghan avant l’été prochain, Barack Obama a donné une nouvelle preuve du déclin de la puissance américaine.
S’exprimant depuis l’East room de la Maison blanche, le président américain a estimé que les Etats-Unis étaient sur le point d’atteindre les objectifs fixés en décembre 2009, après l’envoi de troupes supplémentaires : recentrer les opérations sur Al-Qaïda, stopper l’élan des talibans, et accélérer l’autonomie des forces de sécurités afghanes.
Michael Crowley, correspondant du Time, annonçait dès le lendemain, enthousiaste, qu’à la différence des Soviétiques, les Américains avaient rempli une mission importante : éradiquer la présence terroriste en Afghanistan. « Moins de 75 combattants d’Al-Qaïda sont dans le pays aujourd’hui », écrivait-il. Pourtant, une nouvelle attaque à la voiture piégée a fait 38 nouvelles victimes hier. Le président afghan Hamid Karzaï s’est alarmé publiquement de la recrudescence des actes terroristes.
Obama contre le commandement militaire américain
L’enthousiasme du président Obama est loin d’être partagé par le commandement militaire américain, qui plaide plutôt en faveur d’un retrait limité à 3 000 ou 4 000 hommes seulement. En mars 2011, le général David Petraeus, successeur du général McChrystal, affirmait devant le congrès américain que si la coalition avait, certes, mis un terme à l’initiative talibane, il était nécessaire de se garder de tout triomphalisme : ces progrès étaient « fragiles et réversibles ». Quant à Al-Qaïda, si la nébuleuse a subi un revers sérieux après l’élimination d’Oussama Ben Laden, elle est déjà occupée à reconstruire son organisation et à bâtir une nouvelle chaine de commandement autour de ses chefs survivants, comme Ayman al-Zawahiri. Et elle devrait recevoir l’aide des réseaux de soutien au Pakistan, qui ont aidé à cacher Ben Laden depuis une décennie.
L’opposition républicaine s’est faite l’écho du plus grand scepticisme du Général Petraeus et de l’appel à la prudence de l’amiral Mike Mullen, chef d’état-major des forces armées américaines et plus haut gradé du pays. Howard « Buck » McKeon (Rép.), responsable de la Commission des forces armées de la chambre des représentants, affirmait ainsi « Le Président nous met dans une situation de risque, […] car tout cela peut exploser dès l’année prochaine ».
Les leçons de l’administration Bush
En 2006, après que les efforts infructueux en Irak ont conduits à une défaite massive des républicains aux élections de mi-mandat, le président George W. Bush décidait de limoger le secrétaire à la Défense Donald Rumsfeld et le général Casey, commandant de la force multinationale en Irak. Tous deux étaient les artisans d’une stratégie de « retrait pour gagner ». En vain, les pertes américaines atteignaient des niveaux inédits, et la guerre civile guettait le pays tout entier.
Sur le conseil de David Petraeus, 20 000 troupes étaient alors envoyées en renfort à Bagdad. Cette stratégie a permis aux Etats-Unis de reprendre la main en Irak et de faire baisser la violence sur tout le territoire, à tel point que la « vraie guerre » est devenue l’Afghanistan, pour les médias mais également pour les politiques.
Les risques d’un retrait trop rapide
Un rapport très complet, réalisé par The Foreign Policy initiative, rappelle que l’action des forces de la coalition a permis aux forces de sécurité afghane de croître, en quantité et en qualité, de façon significative. Des progrès rendus possible grâce aux efforts intensifs des troupes alliées dans la région.
D’autre part, les régions à l’est de l’Afghanistan restent des zones d’impunité pour les insurgés talibans. Proches de la bordure tribale qui constitue la frontière avec le Pakistan, elles sont autant de sanctuaires qui permettent aux terroristes de trouver refuge, armes et nourriture. Après la mise en lumière des liens entre Al-Qaïda et les services de renseignement pakistanais, la décision d’un retrait rapide d’Afghanistan pourrait « décourager davantage le Pakistan à poursuivre la répression contre les dirigeants talibans qui trouve refuge sur son sol » et « renforcer le sentiment d’Islamabad que les Etats-Unis sont en passe de perdre la lutte en Afghanistan », explique Lisa Curtis, analyste pour la Heritage Foundation.
Au rythme de la politique intérieure
A quelques mois de l’élection présidentielle, la décision du président Obama n’est sans doute pas dénuée d’arrière-pensées politiques. Le président américain a, certes, accordé une marge de manœuvre à ses généraux en leur laissant décidé de l’ampleur du premier retrait en juillet. Il oublie cependant les mises en garde du général Petraeus, en mars dernier : « Nous devons nous assurer que nous avons une stratégie à suffisamment long terme pour que notre action, dans les mois à venir, permettent des succès sur la durée et pour les prochaines années ». Le président américain serait donc bien avisé de fixer son horizon selon des critères militaires, et non en fonction d’un quelconque calendrier électoral reflétant, comme l’envisageait il y a quelques mois Kenneth Weinstein, Président de l’Hudson Institute, une « psychose du bourbier ».
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