TNS Sofres a réalisé entre le 31 mai et le 16 juin derniers en Cote d’Ivoire (à Abidjan-Lagunes et dans dix régions sur dix-huit du pays), des sondages qui soulèvent un soupçon de connivence avec le pouvoir en place.
Cette pratique de sondages est dangereuse pour les élections en Afrique où l’organisation des élections reste problématique. La contestation des résultats avec des violences politiques est une tradition en raison des fraudes électorales. La crainte du déchaînement de telles violences lors des élections est devenue une donnée structurelle dans la vie politique africaine.
L’introduction des sondages d’opinion ne ferait qu’augmenter les risques d’avoir des élections continuellement contestées. En effet, les partis au pouvoir en Afrique seront amenés à commander des sondages auprès des organismes de sondages professionnels en raison de leur crédibilité, pour justifier des «
putschs électoraux » consistant pour «
le chef de l’Etat en exercice à manipuler les résultats de l’élection présidentielle en sa faveur, "volant ainsi la victoire au peuple" selon la formule des opposant africains et à s’autoproclamer vainqueur du scrutin »
[1].
Il n’est pas de notre propos de remettre en cause la fiabilité des sondages d’opinions, même si plusieurs auteurs ont eu à confirmer le manque de fiabilité structurel de ces sondages
[2]. Mais le risque est trop grand de voir les partis au pouvoir dotés de moyens financiers d’en commander pour favoriser un
bandwagon en leur faveur ; sachant qu’un sondage comprenant un questionnaire d’une durée de 20 minutes auprès d’un échantillon représentatif de 2000 personnes coute entre 30.000 et 45.000 euros
[3].
Ainsi au Togo en 2005, le regime en place avait fait publier des sondages plaçant le fils du Chef de l’Etat en tête des présidentielles anticipées pour trouver un successeur au président de la République décédé. Cette avance a été confirmée à la suite des élections du 25 avril 2005 émaillées de fraudes, de répressions. Des élections sanglantes qui avaient fait entre 400 et 500 morts selon un rapport des Nations Unies
[4].
En absence d’un cadre juridique pour réguler la pratique des sondages en Afrique comme en France où les sondages d’opinion en matière électorale sont encadrés par la loi n°77-808 du 19 juillet 1977 relative à la publication et à la diffusion de certains sondages d’opinion, modifiée par la loi n°2002-214 du 19 février 2002, il y a lieu de craindre qu’une telle pratique soit dévoyée avec des erreurs volontaires pour justifier des « putschs électoraux » et permettre aux dirigeants de s’éterniser au pouvoir.
Ainsi à l’instar de l’observation internationale des élections dévoyées avec des professeurs réputés de droit, des magistrats et avocat… de France déguisés en observateurs électoraux en missions commandées pour avaliser des coups d’Etat électoraux en Afrique
[5], il y a risque que ces sondages soient détournés avec l’aide des instituts de sondages français furent-ils cotés en bourse.
A défaut de ce cadre juridique pour encadrer la pratique des sondages et en raison du coût très élevé des sondages d’opinion qui prive des journaux et des partis de l’opposition d’en commander, il importe que les instituts de sondages français sollicités par les gouvernements dans les élections en Afrique se dotent d’un code de conduite pour ne pas bidouiller leurs résultats de sondages en faveur de ces gouvernements.
Komi TSAKADI
[1] Télésphore Ondo,
La responsabilité introuvable du chef d’Etat africain : Analyse compare de la contestation du pouvoir présidentiel en Afrique noire francophone, Thèse de doctorat en Droit public, Université de Reims Champagne-Ardenne, juillet 2005, p.295.
[2] Frédéric Bon,
Les sondages peuvent-ils se tromper, Paris, Calmann-Levy, 1974.
[3] Philippe J. Maarek,
Communication et marketing de l’homme politique, Paris, Litec, 2007, p. 144.
[4] Vitraule Mboungou, « Les présidentielles au Togo ont fait entre 400 et 500 morts »,
[5] Komi Tsakadi,
L’observation international des élections en Afrique subsaharienne (1990-2005), Mémoire pour l’obtention du Certificat « Administrateur d’élections », Université Panthéon-Assas, Paris 2, 2005, p. 93.