Alerte en Espagne !
Avec une constance qui n’a d’égal que l’aveuglement, le gouvernement espagnol tient le discours de la ferme assurance. ’L’Espagne n’a rien à craindre’. Face au chômage de masse et aux fragilités du système bancaire, les belles paroles ne suffisent cependant pas. En France, pendant ce temps, on écoute les vidéos de Cantona...

Dans le pire des cas, l’Espagne aurait besoin de 351 milliards d’euros sur trois ans. Son déficit est le troisième de l’UE, mais Madrid affirme contrôler la situation. Pourtant, les banques espagnoles détiennent 181 milliards d’euros d’actifs plus ou moins liés à l’immobilier. « En Espagne, de mon point de vue, l’ardoise dépassera les prévisions du gouvernement espagnol. Les tests d’effort pratiqués à l’encontre des banques n’ont pas levé les doutes. » Le New-Yorkais anticipe d’ores et déjà l’intervention du FMI. [source].
On reproche à Nouriel Roubini son pessimisme. Je manque malheureusement des compétences pour en juger. Il me semble qu’il expose toutefois avec clarté les mécanismes de la crise européenne entamée il y a quelques mois en Grèce. Celle-ci a démarré lorsque des investisseurs privés ont obtenu que leurs pertes se transforment en dette publique. Econoclaste utilise l’expression de déni de réalité pour qualifier la décision des dirigeants européens de refinancer la dette grecque puis irlandaise. Le problème demeure entier, simplement repoussé dans le temps. Mais en 2008, le gouvernement américain n’a-t-il pas sauvé la banque Lehman Brothers et les deux principaux organismes spécialisés dans le refinancement des crédits hypothécaires (Fannie Mae et Freddie Mac), accusés de ne pas avoir maîtrisé leurs investissements ? Les dirigeants européens avaient-ils une alternative ? De fait, les grandes banques françaises, allemandes, suisses, ou anglo-saxonnes ont temporairement réussi à passer entre les gouttes.
En Espagne, le premier ministre bat des records d’impopularité depuis qu’il a opté pour une stricte orthodoxie budgétaire [El Zapatero]. La presse tente de déceler des signaux positifs. Jose-Luis Zapatero gagnerait du temps, essaierait de protéger le pays des attaques extérieures. Les semaines ne passent pas sans qu’il annonce une nouvelle série de mesures, cette semaine la fin des aides aux chômeurs en fin de droit, la privatisation partielle de la loterie nationale et celle de l’autorité de régulation du trafic aérien. Cette seule annonce a déclenché une grève sauvage dans les aéroports espagnols [source]. A Madrid, on réfléchirait à une prochaine augmentation des taxes sur les carburants, l’alcool et le tabac [source]. L’augmentation du prix des cigarettes en France permettra de toutes façons d’améliorer les recettes fiscales espagnoles ; les buralistes français protestent en vain [source]. La ministre de l’Economie et vice-présidente du gouvernement espagnol se démultiplie pour répandre la bonne parole dans les organes de presse européens. Elle répond aux interrogations avec le ton protecteur et rassurant du médecin qui peine à soigner un malade chronique. Le gouvernement espagnol maîtrise la situation, argumente t’elle à la BBC.
Elena Salgado ne se contente pas de reprendre les critiques déjà entendues sur les politiques menées à l’intérieur de l’Union européenne contre la crise : naïves (« Il y a en effet de la spéculation contre l’euro »), tardives, et mal coordonnées. Dans une interview aux Echos, elle soutient que son pays ne recourra à aucune aide financière étrangère dans le futur, en insistant bien sur les spécificités grecque et irlandaise. Les banques espagnoles répondent bien aux tests d’effort, précise t’elle sans mentionner leurs engagements risqués au Portugal, ou leur implication dans un marché immobilier en difficulté [Lorsque je suis fort, c‘est alors que je suis faible]. Sur ce point, la ministre espagnole use d’arguments sibyllins. « Le déséquilibre du bâtiment s’est corrigé de lui-même : le nombre d’habitations en construction est très inférieur à la demande. Le stock va donc se réduire. […] La crise [immobilière] est terminée mais elle laisse un stock important. Et le stock le plus important concerne les logements secondaires. Mais c’est assez normal, car je rappelle que plus de 80% des Espagnols sont propriétaires, ce qui, à terme, est une bonne chose. » On peut en douter. En septembre 2010, plus de 20 % des actifs sont au chômage, deux fois plus qu’en France [source].
La dette publique espagnole reste cependant en deçà des seuils observés dans d’autres pays de l’Union. Malgré la part prise par les régions et les municipalités, aucune des quatre plus grosses économies de l’Union n’est parvenue à une maîtrise équivalente des dépenses : ni l’Italie (118 % du PIB), ni la France (78 %), ni l’Allemagne (73,5 %) ni le Royaume-Uni (68 %) [source]. Madrid préfère toutefois prendre les devants en affichant un objectif de déficit deux fois moindre en 2011 (6 %) qu’en 2010 (11 %) [source] Le gouvernement espagnol n’assume même pas ses responsabilités au lendemain d’élections qui ont balayé la coalition socialiste - autonomiste au pouvoir à Barcelone, les électeurs sanctionnant une gestion hasardeuse. En octobre dernier, la Generalitat a ainsi décidé de lancer un emprunt - pompeusement appelé bon patriotique - au taux annuel de 4,75 %… afin de payer ses fonctionnaires [source] ! Le gouvernement s’aveugle sur la situation actuelle de l’Espagne, défend mal la part inattaquable de son bilan et privilégie des pistes hasardeuses pour échapper à la menace d’une déflation [source].
Kenneth Rogoff émet lui aussi des réserves au sujet de la capacité de l’Etat espagnol à intervenir en cas de défaut de son système bancaire : « Le cas de l’Espagne est plus compliqué. Le gouvernement central est sans doute solvable, ce qui ne semble pas être le cas de plusieurs municipalités et établissements bancaires espagnols. La grande question dans ce cas est de savoir si le gouvernement central est prêt, comme en Irlande, à assumer la dette privée (et municipale). A nouveau, l’histoire n’incite pas à l’optimisme. Il est très difficile pour un gouvernement central de rester sur la ligne de touche quand des acteurs clés de l’économie sont au bord de la faillite. » On pourrait ajouter sur la liste des dettes inquiétantes celles des vingt clubs de football de la Lliga espagnole, estimées l’an passé à plus de 3,5 milliards d’euros [source].
Un footballeur fait justement parler de lui en France en ce début de mois de décembre. Une vidéo d’Eric Cantona circule sur Internet dans laquelle il recommande un retrait massif de liquidités pour déstabiliser les banques détentrices du vrai pouvoir. Cette boutade - à moins qu’il ne s’agisse d’une réflexion sérieuse, nul ne sait - a provoqué de multiples commentaires dans le monde politique, jusqu‘à celle de la ministre française de l‘Economie ! Proche de celui des Allemands, le taux d’épargne des ménages français (16 % en 2009) est certes deux fois plus élevé que celui observé dans les autres grands pays industrialisés (Italie, Royaume Uni, Japon, Etats-Unis). Le taux d’épargne des ménages espagnols a pratiquement doublé entre 2007 et 2009, dépassant l’an passé le taux français. Beaucoup d’Espagnols anticipent manifestement une crise profonde [source].
Résumons. Si les Espagnols retiraient leurs économies des banques nationales, il en résulterait un affaissement de leur système banquier. Si les Français faisaient de même le système banquier français s’effondrerait, suivi du système espagnol. Les banques françaises auraient placé en effet 220 milliards d’euros en titre d’Etat ou sous forme de dette privée [source]. En réalité, les banques françaises se soucient sans doute assez peu d’un Cantona qui bat la campagne. Qui ne fait châteaux en Espagne ? En revanche, les sommes engagées en Grèce, en Irlande et bientôt au Portugal ou en Espagne ne seront jamais récupérées. Comme le lait renversé de Perrette.
PS./ Geographedumonde sur la Catalogne : Verse fredaine et casse trogne.
Incrustation : La laitière et le pot au lait.
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