Algérie-Maroc : tourbillon de haine sur le web
Comme une rengaine de mauvais goût, l’Algérie et le Maroc sont, de nouveau, en guerre médiatico-diplomatico-politique. Et, de nouveau, tout le monde est en ordre de bataille : agence officiel marocaine MAP, journal "Le Matin" et la télévision public marocaine SNRT d’un coté, l'agence officlelle algérienne APS, le quotidien "la voix de son maitre" El Moudjahed et la télévision publique ENTV de l’autre.
Au coté de ces poids-lourds de la propagande de tout poils, il y a, bien entendu, les inévitables subalternes, journaux ou organisations, gravitant dans la galaxie des deux régimes et offrant leurs plumes acérées et haineuses à la moindre sollicitation. On sort les machines à baffes et à croche-pied. Et comme un ballet jouée régulièrement avec la même tonalité et surtout le même tempo, les danseurs se mettent en piste et c’est reparti pour un tour !
La presse des deux pays, comme d’habitude, est donc convoquée pour se faire le relais de cette énième escarmouche. le plus grand quotidien francophone algérien, El Watan , écrit le 1er février un article intitulé « Que cherche le Roi ? ». L’article publié sur le site web, enclenche aussitôt le robinet des commentaires des lecteurs. Et la, le malaise. Toujours le même. A la limite de la nausée.
Je ne sais pas qui écris ces commentaires étourdissants. Il y a d’abords le nauséabonds où la xénophobie le dispute au racisme primaire : esclaves, marochiens et j'en passe...et puis il y a le volet « diplomatique » dont tous semblent très bien maîtriser les subtilités linguistiques : rompre, rupture, guerre, fermeture des frontières…
Qui sont ces « lecteurs » belliqueux et racistes qui écrivent ces ignominies ? Ont-il conscience de la nature des « mots » utilisés ici contre un peuple frère avec qui notre présent et notre destin sont liés. Nous sommes condamnés par la géographique, l’histoire, la religion, les langues, les coutumes, les habits, la gastronomie, la musique, le chaabi, l’andalou et les millions d'algéros-marocains vivant des deux cotés des barbelés, à vivre ensemble...Comment peut-on occulter ça et verser dans les excès de caniveau ? Je n’arrive pas à comprendre cette haine épidermique. Je me rassure en me disant qu’elle n’est qu’anecdotique, marginale, infinitésimale dans la société algérienne. Qu'elle ne reflète pas l’opinion de la majorité de mes concitoyens autrement plus enclin à de l’empathie pour leurs cousins marocains. Je me rassure également en déambulant à Alger et en discutant avec le premier quidam qui me parle de ces cousins-là en des termes autrement plus dignes. Alors comment expliquer ce déferlement de haine sur le net ? Quelques écervelés totalement déconnectés ? Manipulés ? Pourquoi donc amalgamer des « soucis » diplomaticos-politiques entre deux régimes -qui se valent largement en terme de mainmise sur leur états respectifs- et des populations des deux pays qui n’ont rien demandé, rien délégué, rien exigé encore moins souhaité ce type de « rapport » entre les deux pays.
Je trouve insultant, diffamatoire, révoltant qu’un pseudo Président d’un « observatoire des droits de l’homme », dépendant de la présidence (on crois rêver !), cité par l’article, parle, au nom des Algériens et donc du mien, de rupture diplomatique… on est sur quelle planète ?! Est il seulement conscient ce sieur du ridicule dans lequel il se singularise, dans lequel il met son « observatoire » et par ricochet, l’institution présidentielle à laquelle il appartient ?
Je ne peu terminer cette « opinion », sans citer le journaliste auteur de cet article. Une corporation à laquelle j’ai l’honneur d’appartenir, formé par ce même journal qui sert de tribune aujourd’hui aux pyromanes. Je suis ému et peiné par la manière même dont l’article est écrit. A charge et sans recul. Ce n’est pas ce métier que m’on appris mes professeurs d’hier et amis aujourd’hui à El Watan. Il y a 20 ans, cet article ne serait pas « passé » de cette façon la sur le journal. La déontologie de « mon » El Watan ne l’aurait jamais permise. Ne pas tomber dans le rôle de « relayeur » des thèses du pouvoir algérien sans prendre la peine de recouper les informations, de donner la possibilité à l’« autre » de donner son opinion et sa version des faits, et élaborer un raisonnement lucide, pragmatique, professionnel sur les relations algéro-marocaines, les tenants et les aboutissants, en évitant son opinion personnelle, en ne confondant pas information et prise de position officielle. C’est ça le journalisme. C’est ce que l’on m’a appris à El Watan.
Quand je lis El Watan, je ne cherche pas des articles à la El Moudjahed ou l’APS. Tout comme nous, les Marocains savent quel crédit donner à l’agence officielle MAP ou l’organe du Palais Royal, Le Matin, quand ils parlent de l’Algérie. Ils préfèrent lire le journal TelQuel, comme nous on ouvre El Watan, pour savoir réellement ce qui se passe.
Qu’aurait il coûté au journaliste de faire, par exemple, le numéro de téléphone de l’ambassade du Maroc à Alger ou, encore mieux, d’appeler le Ministère marocain des affaires étrangères à Rabat (le numéro est sur les Pages Jaunes Maghreb ou carrément sur leur site web !) et d’avoir LA version marocaine de cette affaire ? Juste par professionnalisme. Ils auraient refusé de répondre ? Ils auraient déversé leur propagande ? Qu’importe, le travail du journaliste est fait. Celui d’El Watan aussi. Comme celui de tous les bons journalistes et les bon journaux dans le monde.
Je suis, avec quelques millions d’Algériens, profondément attaché à l’idée que les deux pays, les deux peuples ne font qu’un et que nous sommes liés ad vitam æternam. Je suis, avec quelques centaines de milliers d’Algériens, liés à notre voisin de l’ouest par mes origines frontalières et le fait que ce pays a, pendant des dizaines d’années, accueillis et donné refuge à des centaines de milliers d’Algériens fuyant les persécutions de l’occupation coloniale. Dont mes parents et mes grands-parents. Tous comme quelques centaines de milliers d’Algériens, une partie de ma famille et de l’« autre coté ». Je suis, avec quelques dizaines de milliers d’Algériens, en contact permanant avec ce pays et ce peuple pour des raisons professionnelles. Des dizaines de milliers d’Algériens (médecins, pharmaciens, entrepreneurs, commerçants, universitaires, cadres etc..) travaillent régulièrement avec le Maroc, voyagent la bas et font régulièrement la navette. Idem, pour les Marocains. Des relations d’une excellence et d’une qualité indéniable, confraternelles, amicales, apaisées. Posez la question autour de vous à Alger, Oran, Constantine ou Tizi Ouzou à ceux qui connaissent ou y vont régulièrement.
Ces quelques lignes ne veulent surtout pas pointer du doigt qui a commencé, qui fait quoi. Il ne m’appartient pas de juger ici qui a tord qui a raison, qui est le gentil, qui est le méchant, qui a commencé, qui a tiré la langue ou pincé l’autre le premier…on frise la honte planétaire…Cette nouvelle « affaire », comme celles qui l’on précédé, ne sont que de vulgaires effets de manche des deux pouvoirs en places. Personne n’est dupe et pour peu que l’on soit un temps soit peu éclairé sur la nature des deux régimes, on comprend que ces manoeuvres ne font le bonheur que des deux pouvoirs arc-bouté à leur privilèges et ne cédant rien à leurs peuples mais le convoquant sous la bannière d’un nationalisme de bas étage à chaque fois que le prix de l’essence (chez l’un) augmente ou que le Président (chez l’autre) se rapproche un peu plus du mouroir.
Ouvrant le débat, le véritable débat : comment passer outre les clivages politiques crée de toutes pièces par les régimes en place et consolider la relation algéro-marocaine à travers la culture, l’économie, le sport et la société civil loin des faiseurs de malheur et des apprentis sorciers de tous poils, des deux cotés.
Et surtout, de grâce, épargner moi les « eux aussi sont des vilains sur le web ». Les idiots stupides il y en a partout, y compris « la bas ». Ce n’est pas une raison pour que l’on perde notre dignité.
Abderrahmane Hayane
Journaliste-Réalisateur
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