Au Canada : exemplarité,paradoxes et incompatibilités
Pour tenter d’approcher les réalités actuelles d’une aussi vaste et hétéroclite fédération, nous avons bénéficié des rencontres et des interviews informelles de personnalités de premier plan, comme J.J Blais, ancien ministre multirécidiviste à divers postes sous Trudeau, ou comme le député fédéral Royal Galipeau ou des universitaires et, entre autres, un haut fonctionnaire fédéral de la Sûreté qui préfère qu’on taise son nom.
Nous avons quelque difficulté ici à imaginer le système judiciaire canadien tant au niveau fédéral qu’au niveau provincial, les deux étant jumeaux. En raccourci, disons que les juges sont nommés par le pouvoir exécutif, selon une procédure assez logique lorsqu’on n’est pas trop sourcilleux sur la séparation des pouvoirs.
(Plus d’un siècle sépare les naissances de Samuel Champlain, fondateur de Québec en 1589, de Montesquieu né en 1689, mais si on peut y voir un signe, ce n’est pas une explication qu’on pourrait chercher plutôt dans la défaite des Français du lieutenant général Montcalm lors de la bataille des plaines d’Abraham en 1758, défaite qui marque la fin de la Nouvelle-France.)
Dans un premier temps une commission examine les candidatures aux postes de juges, puis une liste établie en fonction des compétences, en principe, est adressée au ministre de la Justice qui en réfère au Premier Ministre( Prem) qui procède alors aux nominations en conseil des Ministres. C’est clair, c’est la loi. Malheureusement, comme on peut s’y attendre, à tous les stades dans le processus, lobbyistes, conseillers experts, amis solliciteurs ou « intercédant pour… » de tous acabits exercent leur pression. Il en est d’ailleurs de même pour la plupart des postes de hauts fonctionnaires ou de présidents des sociétés d’Etat.
Soit ! Et ce n’est pas pire que chez nous, mais dans ce cas plus sournois, plus hypocrite. Dans l’Hexagone, où les magistrats sont heureusement recrutés par concours, certains postes élevés font également l’objet de nominations « accompagnées », mais nous le cachons à peine. Au Canada, et pour ce qui nous occupe ici au Québec, les « pressions supposées » font scandale, surtout après qu’un ancien ministre de la justice en 2003, Marc Bellemare, a dénoncé en 2010 (eh oui) les pressions qu’il aurait subies directement ou indirectement, en particulier de la part de « collecteurs de fonds » bien en cour, du parti libéral, son propre parti et celui du Gouvernement majoritaire dans « La Belle Province ». Et voici que le Prem, Jean Charrest, conjointement chef du parti libéral, souhaite que la lumière soit faite par une Commission ad hoc, présidée par un ancien Président de la Cour Suprême, le très Honorable Me Bastarache. Du pain bénit pour les médias : retransmissions en direct des débats à la radio et à la télévision, deux pages par jour dans les principaux journaux ! Et les gens se passionnent pour ce qu’on serait tenté de tenir chez nous pour « une tempête dans un verre d’eau » ou « a storm in a tea cup » comme dit une de nos interlocutrices anglophones.
A quoi cela tient-il ? Les citoyens canadiens, et sans doute plus encore les Québécois, sont« accros » à la politique. Pas encore désabusés bien que souvent contestataires, ils gardent, comme en toute chose, une agréable fraîcheur, en toute simplicité.
On aura noté que c’est le premier ministre, chef de l’exécutif, qui sollicite l’avis d’une commission pour faire éclater la vérité. Imaginons le président Sarkozy faisant appel à une commission d’experts, ouvertement, pour dissiper les ombres dans ce qu’il est désormais convenu d’appeler l’affaire Woerth ou même Woerth - Bettencourt ou encore dans certaines nominations, par exemple dans l’audiovisuel ou dans les grandes entreprises, le tout retransmis en direct. Pour le coup, on parlerait judicieusement de démocratie vivante, à moins qu’on craigne la formule.
Un patchwork complexe et revendiqué.
Avons-nous en réalité affaire à un ensemble de communautés intégrées dans un patchwork déjà complexe ?
Les francophones du Québec dont une partie encore très importante souhaite la séparation et l’indépendance, sont souvent considérés comme des concitoyens à part, un peu suspects et parfois comme profitant outrancièrement de la remarquable santé économique de la fédération. En outre, ils ont imposé le bilinguisme à l’ensemble du pays sans pour autant l’imposer chez eux. On serait tenté, dans les pays de notre vieille Europe et surtout dans la formation de l’Union Européenne, de considérer qu’ils ont obtenu largement réparation de l’infériorité dans laquelle les avaient tenus les Anglais puis les Anglophones et que leur identité est loin d’être menacée, en tout cas beaucoup moins que dans certains Etats peut-être ou au moins régions d’Europe. Mais les rancœurs sont tenaces.
A côté, l’agglomération de la capitale, Ottawa, apparaît comme un havre de paix et de prospérité intelligente. Un exemple pour l’urbanisme : il se crée à la périphérie Est de la ville, à Cumberland, une ville nouvelle remarquablement conçue dans un souci de mixité sociale harmonieuse. S’y côtoient des maisons bourgeoises et cossues de quelques centaines de m2, des maisons plus modestes souvent accolées et des immeubles d’habitation collective, des HLM en quelque sorte, bien conçues et coquettes avec des équipements modernes et de vastes balcons.
Cités dortoirs à quelques 20 minutes du centre ? Oui et non. L’ensemble est traversé par deux artères principales autour desquelles bourgeonnent d’innombrables centres commerciaux, des écoles, des maisons de retraites, des églises de toutes confessions chrétiennes, une mosquée et sans doute une synagogue. Et tous les services de santé qui parfois vont se nicher au fond d’un immense supermarché. Etrange peut-être mais bien commode. Le tout baigne dans un écran sylvestre qui rougeoie merveilleusement en ce moment. Mais Ottawa n’est pas le Canada.
A l’opposé, à Vancouver, s’est créée peu à peu par exemple une Chinatown qui permet à un Chinois d’y naître, d’y grandir, de s’y former, d’y travailler, d’y fonder une famille, d’y mourir sans avoir jamais avoir eu à parler d’autre langue que la sienne tout en élisant son député fédéral, polyglotte quant à lui et comme le regard et le cœur tournés vers l’autre côté du Pacifique.
C’est à se demander à qui attribuer désormais la qualité d’autochtones. Aux Amérindiens inidentifiables, noyés dans une extraordinaire diversité de profils et de silhouettes ? Qui parer en imaginations des atours de Pocahontas ou des armes des héros de Fenimore Cooper ?
Y aurait-il des autochtones de premier rang puis d’autres de second rang comme les descendants des compagnons de Jacques Cartier souvent métissés d’ailleurs. A ce propos, si l’on en croit un député fort prolixe sur la question, Samuel Champlain aurait tenté d’organiser un peuplement métissé du pays qu’il organisait au nom du roi de France. A vérifier.
Bien sûr l’exemple chinois est le plus criant et il en est d’autres depuis le début comme les Allemands à Toronto. Cependant force est de constater que les maghrébins se sont nettement mieux intégrés au Québec qu’en France. On devine pourquoi.
Quand on fait remarquer à l’ancien ministre libéral J-J Blais qu’il s’agit là d’un communautarisme que nous combattons chez nous, et ce n’est évidemment pas le seul, il rétorque, droit dans ses bottes que « c’est çà, le Canada ». Admettons. Mais d’autres hommes politiques plutôt conservateurs accusent les libéraux d’être responsables par leur laxisme et leur générosité irresponsables en matière d’immigration et d’Etat Providence de cet état de fait qui peut menacer la cohésion d’un Canada 18 fois plus grand que la France pour la moitié de notre population seulement. Une fédération en mosaïque mal assortie en taille et en densité de peuplement où l’on parle de démocratie certes, mais où le terme de république n’éveille aucun écho, peut–être à cause du poids de la tradition britannique.
A Ottawa un palais abrite toujours, à grands frais largement contestés d’ailleurs, un Gouverneur général, représentant sa Gracieuse Majesté.
Une place internationale enviable mais fragile ?
Un test le 12/10.
Membre écouté du G8, du G20 à présent, de l’ONU et bien sûr de l’OTAN comme de bien d’autres associations internationales, le pays de l’érable rouge est respecté et souvent aimé sur la planète. Plus que les Etats-Unis, il éveille encore ici ou là, l’ « american dream » tant il est vrai qu’il offre des possibilités hors du commun. Dans un premier temps, le communautarisme peut favoriser l’immersion des immigrants mais paradoxalement, l’intégration telle que nous la concevons dans notre république, s’en trouve entravée. D’où la crainte d’un « Canadistan », vecteur de troubles islamistes. Car, comme ailleurs, la communauté musulmane y est très hétéroclite et globalement intégrée dans le paysage. Mais, comme ailleurs, on y a découvert des groupuscules à visées terroristes. Ainsi, le pire que craignent les responsables de la Sûreté Intérieure, ce sont des attentats qui soient préparés au Canada où l’action clandestine serait plus facile et exécutés aux Etats-Unis.
On voit dès lors quelle pourrait être la riposte du puissant voisin qui craindrait de surcroît la contagion politique : frontière sous haute surveillance, échanges ralentis, voire des mesures de rétorsion. Paradoxalement le gouvernement conservateur de Stephen Harper est considéré comme pro-américain à l’excès, bien avant l’élection d’Obama, et réputé clairement pro-israélien alors que les libéraux cherchaient un certain équilibre entre les deux antagonistes.
Cette position risque d’ailleurs de lui coûter le siège non permanent au Conseil de Sécurité de l’ONU que le Canada convoite. Il est en concurrence avec l’Allemagne et le Portugal. Le vote des 192 délégués est imminent (12 octobre) et leur choix reste secret, même après le vote. Or pour les deux sièges à pourvoir, des voix de pays arabes ou musulmans risquent fort de lui manquer, malgré la promesse tardive d’une augmentation substantielle de l’aide au développement.
De plus le Canada ne s’est pas montré très engagé à Copenhague. Aligné une fois de plus sur les Etats-Unis, il s’est montré encore moins soucieux du changement climatique par la réduction des gaz à effet de serre. Arguant de l’immensité du territoire, de la nature de sa production énergétique et industrielle, de l’augmentation démographique, des hivers si rigoureux…il a encore réduit la cible qu’il s’était d’abord fixée déjà assez peu exigeante.
Les étudiants en sciences politiques des deux universités d’Ottawa sont très sensibles à cette question qui oppose d’ailleurs les provinces entre autres, sur l’opportunité de l’exploitation des immenses réserves de schistes bitumeux, très polluante.
Ces jeunes gens sont pour la plupart de sensibilité très continentale nord-américaine. L’Europe pour eux est celle de leurs ancêtres, qui anglais, qui français, qui irlandais ou allemands etc. L’union Européenne existe certes, mais ne leur apparaît toujours pas clairement comme une puissance politique. Pour eux, les présidents de l’OMC (WTO) ou du FMI ne sont pas des Européens mais des Français. Et pourtant, ils sont souvent tentés par une poursuite de leurs études sur le vieux continent, habités qu’ils semblent être par une douce et condescendante nostalgie inconsciente. Est-ce un phénomène curieux ou révélateur d’une faiblesse injustifiée de l’UE, toujours aussi frileuse ?
La France en revanche bénéficie d’une assez bonne image, sur le plan culturel surtout. Cette image cependant a été écornée par l’affaire des « Roms » que la presse a largement relayée sans toutefois approfondir la question, trop empressée à donner des leçons de traitement des immigrés, en profitant pour lancer un plaidoyer pro domo.
Le Canada est toujours un pays en gestation (on ne trouve plus Maria Chapdelaine dans la grande chaine de librairie Chapter’s, ni le Dernier des Mohicans). Les combats d’arrière –garde, comme celui de l’attendrissant Québec, s’émoussent et laissent la place à d’autres défis plus globaux qui préfigurent peut-être ceux de « l’Humanité globalisée ».
Antoine Spohr.
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