Back in the USSR : la nouvelle guerre froide
A propos des « espions russes » arrêtés en Géorgie.

L’arrestation de quatre officiers de l’armée russe et de onze citoyens géorgiens pour « espionnage au profit des services de renseignement militaire de la Russie » confère une dimension spectaculaire à la tension qui ne cesse de grandir entre Moscou et Tbilissi depuis la Révolution des roses qui, en décembre 2003, a porté le président pro-occidental Saakachvili au pouvoir à Tbilissi. Poutine a rappelé son ambassadeur, qualifié ces arrestations de « terrorisme d’Etat », saisi l’ONU... Demain, la guerre ? Il s’agit plutôt d’un nouvel épisode de la « nouvelle guerre froide » qui oppose la puissance globale en quête de sécurité de ses approvisionnements pétroliers et son ancien rival, devenu une puissance régionale faible, contrainte de retirer ses troupes de la petite Géorgie, mais qui conserve encore quelques cartes en main. La capacité de nuisance de la Russie reste suffisamment élevée pour déjouer les tactiques maladroites de l’Amérique dans toute l’Eurasie.
La Géorgie est le verrou qu’il faut savoir ouvrir ou fermer pour dominer la Transcaucasie, qui commande l’accès à l’Europe vers le nord, à l’Iran et à la Turquie vers le sud. Tous les grands Empires -perse, ottoman, russe, britannique- l’ont compris en leur temps, parvenant parfois à contrôler, plus ou moins durablement, cette région du monde. Aujourd’hui, la Géorgie est la clef de voûte de la construction de ce que l’on pourrait appeler la « face Nord » du « Grand Moyen-Orient » (Greater Middle East) voulu par Washington, une nouvelle entité qui rencontre en son septentrion le rival d’hier. De plus, la Géorgie constitue la seule voie (alternative à la Russie) qui permette d’exporter par bateau la production pétrolière de l’Azerbaïdjan et de l’Asie centrale vers l’Occident. Elle abrite l’oléoduc Bakou-Ceyhan, qui relie l’Azerbaïdjan et la Turquie, et qui est la pièce maîtresse de la stratégie « pétropolitique » américaine dans la région. Washington pousse par ce biais à un rapprochement entre Bakou et Tbilissi, prélude à l’arrimage de ces deux capitales au monde occidental par l’intermédiaire de son fidèle et indéfectible (pour l’instant) allié turc, pilier de l’Otan et bientôt membre de l’UE. La Russie, elle, garde un pied en Arménie, frontalière et amie de l’Iran, gênant considérablement la formation d’un axe pro-occidental de l’Anatolie à la Caspienne.
Si la présence militaire américaine en Géorgie est loin d’être écrasante, l’influence de Washington sur le pouvoir actuel est surplombante. Moscou, depuis quelques années, joue la carte des républiques autonomes de la Géorgie (Abkhazie et Ossétie du Sud), qui représentent à elles deux près de 20% du territoire de la Géorgie, dont elle soutient à bout de bras les revendications d’autonomie, voire d’indépendance, prélude à un rattachement à la Russie, pour déstabiliser Tbilissi. Avec un certain succès. Aujourd’hui, plus de 80% des habitants de ces deux républiques autonomes ont obtenu un passeport russe... ce qui rend de plus en plus improbable le retour de ces entités dans le giron de la Géorgie. Ici, comme en Moldavie, où la République autonome de Transnistrie vient de réclamer par référendum son rattachement à la Russie, Moscou élabore une diplomatie à plusieurs niveaux, déploie sa stratégie séculaire d’instrumentalisation des minorités pour diviser et régner, qui a fait ses preuves et dont Washington ne comprend ni les tenants, ni les aboutissants...
Ici encore, l’Europe joue le rôle de la poule qui a trouvé un couteau. Elle joue son rôle habituel de marché-réceptacle des ressources gagnées par les stratégies américaines, d’organisation-réceptacle des alliés que lui désigne Washington. Quelle réaction de Barroso face aux évènements en Géorgie ou en Transnistrie ? Réaction du président en exercice de l’UE ? Réaction, d’ailleurs, de Chirac, de Merkel ?... Le monde tourne sous les yeux blasés et indifférents des élites européennes trop absorbées par leurs estomacs, leurs nombrils et leurs repentances, toutes à la vente de leur camelote, et qui font de l’humanitaire pour donner bonne conscience à leurs populations frileuses, vieillissantes et moralisatrices.
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