Birmanie : quand le silence se fait complice...
Le crâne en bouillie, les yeux pendant des orbites, égorgée, poignardée, après avoir été violée. C’est ainsi que ses parents l’ont retrouvée, après trois jours de recherche. Elle s’appelait Nhkum Hkawn Din, elle avait quinze ans. Elle aimait aller à l’école en rêvant à une vie meilleure. Son tort ? Être passée à proximité d’un barrage de l’armée pour aller porter du riz à son frère. Cela s’est passé en juillet dernier dans la province de Kachin. En Birmanie…
Quoi de plus symbolique que ce crime, ce que les dictatures disent au monde, l’arrogance et le mépris face à l’impuissance et au silence ! Depuis la catastrophe liée au passage de l’ouragan Nargis, les médias ont délaissé le sort du peuple birman. Peut-on leur en vouloir, tant d’autres tragédies, la guerre en Georgie, le conflit du proche-orient et l’offensive israélienne à Gaza, les répressions multiples et variées de par le monde, mais aussi quelques moments d’espoir, les jeux olympiques à Pékin malgré tout et l’élection de Barack Obama ont légitimement suscité l’attention de nos consciences et de la presse internationale. Pourtant il faut continuer d’évoquer la Birmanie car simuler l’ignorance et se taire sont des actes de complicité passive.

18 mois d’une cruelle actualité :
Le 5 septembre 2007, plus de six cents moines de la ville de Pakokku située dans le centre de la Birmanie décident d’aller manifester contre une augmentation des prix des carburants. Ce courage, car il leur en fallait, sera payé en retour par une violente répression. Et ce fut l’élément déclenchant un vaste mouvement de protestation visant à la baisse du prix de l’essence mais aussi, revendication politique de tout un peuple, à la libération immédiate d’Aung San Suu Kyi, prix Nobel de la paix et principale figure de l’opposition démocratique.
Le 9 septembre, les manifestations saisirent Rangoon puis gagnèrent les autres villes du pays jusqu’en octobre et chacun garde en mémoire ces images télévisuelles de ces foules menées par les moines, face aux militaires qui n’hésitèrent pas à tirer, ceux qui tombèrent, leurs robes ocre et safran prenant alors la couleur pourpre du sang.
Cette explosion populaire se termina dans le silence étourdissant des protestations internationales, des résolutions et des déclarations. Celles de nos dirigeants français et européens, celle aussi du président de Total, premier investisseur du pays, expliquant que le retrait de la compagnie pétrolière serait nocive au peuple birman, eu égard à ses bienfaits dans ce pays depuis plus de dix ans. La répression fut terrible. Les morts mais aussi les arrestations, les razzias dans les monastères, chose inouïe quand on sait le respect face au sacré dans l’âme bouddhiste.
Faut-il aujourd’hui faire un bilan de ces quelques semaines qui ébranlèrent la Birmanie ? Il y a un aspect comptable. Le nombre de morts, à peu près 200, les moines et manifestants arrêtés, plus de 6000. Il faut rappeler ces chiffres qui portent en eux cette cohorte de malheurs pour les proches et les familles décimées.
Sur le plan politique c’est autre chose. Si le peuple birman se souviendra de ces semaines terribles (mais il y en eut d’autres dans l’histoire de ce pays), si les mouvements de protestations dans les capitales occidentales et ailleurs ont dû laisser quelques traces dans les consciences de ceux qui y participèrent, rien, absolument rien n’est venu concrètement alléger le fardeau de ce régime militaire, malgré les visites régulières des émissaires des Nations Unies. Et Aung San Suu Kyi se trouve toujours assignée à résidence, sans autre contact que celui, toléré, de son avocat.
Disons quelques mots de ces visites onusiennes. Depuis 1990, il y en eut 37. Le dernier envoyé spécial, Ibrahim Gambari, souhaitant quelques assouplissements, a échoué dans toutes ses tentatives de négociation avec la junte, au point que le 24 août dernier Aung San Suu Kyi a refusé de le recevoir, montrant par ce geste l’évidence de l’échec de la communauté internationale à composer avec les généraux. Il faut tout de même préciser que ce haut fonctionnaire de l’ONU a passé la plupart de son temps à rencontrer, par exemple, les représentants de la fédération des chambres de commerce, dont le bras armé, une milice tout à fait opérationnelle, a participé à la répression des manifestations de l’automne 2007, ainsi que l’UDSA, d’autres paramilitaires de la junte, les organisateurs de la tentative d’assassinat d’Aung San Suu Kyi en mai 2003 qui avait fait douze morts parmi les militants qui l’accompagnaient. Il est vrai que ces gens-là sont plus disponibles… Aujourd’hui ce haut fonctionnaire onusien propose de payer les généraux birmans afin qu’ils concèdent quelques libérations ! C’est bien mal connaître leur vanité pour tenter ainsi leur cupidité. Il y a quelques années le FMI avait proposé un tel marchandage et s’était vu répondre par ces généraux qu’ils n’étaient pas des singes à qui l’on jette des cacahuètes ! Rien n’est donc à attendre de l’ONU et c’est d’ailleurs Ban Ki-moon, son secrétaire général qui l’a reconnu par l’annonce de sa décision de ne pas se rendre en Birmanie, comme cela avait été envisagé.
Évoquons aussi le passage du cyclone Nargis en mai dernier. Rien ne fut dans cette année terrible épargné à ce peuple, comme si les éléments, par ce pied de nez gigantesque, avaient voulu donner une nouvelle chance à la communauté internationale de prendre à cœur d’imposer des solutions. Mais non, et ce furent de nouvelles additions, les morts, plus de 140.000, les disparus, les destructions, le refus des généraux que les aides financières ne passent pas par leurs comptes en banque, et de Total de prêter ses hélicoptères ! Neuf mois après la catastrophe, près d’un million de birmans, en grande partie des Karens, n’ont toujours pas reçu d’aides et demeurent à l’abandon.
La judiciarisation de la répression
Les généraux, en bons héritiers des traditions britanniques (le pays fit sous administration anglaise jusqu’à son indépendance en 1947) savent user de leurs tribunaux pour légitimer judiciairement leur répression. En septembre dernier les premiers procès tenus à huis clos condamnèrent une première fournée d’opposants arrêtés lors des manifestations de l’automne 2007.Une centaine d’entre-eux (des moines, des avocats, des journalistes, des étudiants, etc.) se virent infliger des peines jamais inférieures à 60 années de détention. Concernant U Gambari, l’un des moines leaders du mouvement, ce sont 68 années qu’il devra passer derrière les barreaux. Mais le score a été dépassé en janvier dernier par la condamnation à 104 ans de prison d’un étudiant nommé Bo Min Yo Ko par un tribunal de Mandalay (ville du centre du pays) pour avoir tenté de contacter près de la frontière thaïlandaise des groupes d’opposants en exil.
Des solutions, pas de volonté
Le désespoir n’existe pas. Il n’y a que des hommes désespérés et on l’est tous un peu face à cette situation. Formellement des solutions existent mais seule la volonté de les mettre en œuvre fait défaut. Dès lors cela ne sert à rien de les évoquer. Faisons-le quand même !
- Imposer un véritable embargo ciblé visant à la fois le commerce d’armes destinées à la Birmanie ainsi que les intérêts économiques des dirigeants du pays et plus précisément de l’armée birmane, ce qui constituera une gêne pour ceux qui apportent leur appui financier et économique à la junte.
- Poursuivre immédiatement les généraux pour crimes contre l’humanité devant une juridiction internationale : il y a maintenant des précédents montrant qu’il n’existe aucun vrai sanctuaire pouvant à vie protéger les chefs d’Etat criminels.
- Obliger Total à se retirer du pays : depuis dix ans, c’est le soutien le plus solide à la junte avec le quasi milliard de dollars versé chaque année aux militaires et il faut mettre cette somme en proportion avec le budget annuel de l’armée birmane de l’ordre de 700 millions de dollars. Un retrait de Total avec arrêt de l’extraction de gaz signifiera l’effondrement financier de la junte. L’argument de Total comme quoi une autre compagnie prendrait immédiatement le relais n’est pas recevable car rares sont celles dans le marché de l’énergie ayant une compétence technique suffisante et la Thaïlande, à qui Total vend ce gaz, pourrait très bien supporter quelques temps l’arrêt des livraisons.
- Pousser la Chine à retirer son soutien à la junte. Cette nation très sensible à sa zone d’influence en Asie, peu regardante sur la nature des régimes qu’elle soutient, a montré qu’elle était capable de précipiter leur chute selon les principes de la politique des réalités.
Une opposition démembrée
Le junte militaire peut considérer comme une victoire la façon dont elle sut réprimer la révolution safran qui, d’ailleurs, n’en fut pas une. Statu quo sur le plan international, mise à l’épreuve de son appareil répressif mais surtout élimination de ces jeunes leaders issus de la société civile qui auraient renouvelé les cadres vieillissants de la ligue pour la démocratie et créer un mouvement de masse structurée. Car il s’agit bien d’un problème crucial ! Si U Win Tin a pu sortir de prison après avoir purgé sa peine de 19 années de détention, c’est qu’il n’est plus susceptible, à 79 ans d’être un leader crédible et Aung San Suu Kyi, malgré son statut d’icône et de prix Nobel qui lui évite une vraie détention n’a plus de vrais relais dans la population. Même si on peut comprendre son hésitation de ne pas avoir lancé, à l’issue des manifestations un mouvement de désobéissance civile, comme le fit Gandhi en d’autres temps, fédérant les birmans de toutes ethnies avec l’espoir d’agréger le corps intermédiaire des officiers de l’armée issus des classes moyennes, cette absence de perspectives de lutte laisse aujourd’hui une population désabusée sans aucune capacité de résister à la junte.
Etre là...
Les associations de solidarité avec les birmans le disent. Après cette vague d’émotion suscitée par la révolution safran et les dégâts du cyclone Nargis, il n’y a plus grand monde pour manifester quand il le faut et on en vient à penser qu’il faudrait une autre catastrophe majeure couvrant à nouveau la « une » des grands médias de lettres de sang pour mobiliser encore... Ce n’est pas à souhaiter et le seul combat possible est celui des femmes et des hommes de bonne volonté. Etre là, expliquer, dénoncer et aider !
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