Brejnev, la démonstration par l’absurde de la stupidité du communisme
« Je suis vieux et fatigué. Laissons-les faire face à eux-mêmes. J’ai fait le principal. Quelqu’un aurait-il pu rêver de pouvoir dire à Staline qu’il ne nous convenait plus et lui proposer de prendre sa retraite ? Pas même une tache humide ne serait restée là où nous nous serions tenus. Aujourd’hui, tout est différent. La peur a disparu et nous pouvons parler d’égal à égal. C’est ma contribution. Je ne me battrai pas. » (Nikita Khrouchtchev le 13 octobre 1964, s’adressant à Anastase Mikoyan).
En Ukraine, le 19 décembre 1906 dans le calendrier grégorien, il y a exactement 110 ans, est né Léonid Brejnev, l’un des rares dirigeants suprêmes de la défunte Union Soviétique.
Pour ceux de ma génération, il était le symbole du gros ours soviétique, déjà malade tant de la maladie (l’homme) que de la bureaucratie et de la planification (l’Union Soviétique). Le règne fut long et interminable.
Après des études pour devenir ingénieur métallurgiste, Léonid Brejnev fut de la première génération d’après la Révolution russe (il n’avait que 10 ans lorsque celle-ci éclata). Il adhéra au Parti communiste d’Union Soviétique (PCUS) à l’âge de 16 ans et fit partie, dans les années 1930 et 1940, de ces jeunes cadres qui ont bénéficié des purges staliniennes : beaucoup de postes étaient donc à prendre. Pendant la Seconde Guerre mondiale, il fut ainsi commissaire politique.
Pendant toute son ascension, dans un parti dominé par Staline, il fut le protégé de Nikita Khrouchtchev, qui avait la mainmise sur le PCUS de l’Ukraine : premier secrétaire du PCUS de Dniepropetrovsk juste après la guerre, Léonid Brejnev fut député du Soviet Suprême en 1950, puis premier secrétaire du PCUS de la Moldavie, puis en 1952 membre du comité central du PCUS et fut en passe d’intégrer le Politburo. C’était déjà une très belle carrière pour cet apparatchik aux origines modestes.
La mort de Staline ne lui a pas permis d’entrer immédiatement au Politburo car sa composition en fut réduite. En 1955, Léonid Brejnev fut alors nommé par Nikita Khrouchtchev, devenu Secrétaire Général du PCUS le 14 mars 1953 (face à Gueorgui Malenkov qui avait assuré l’intérim du pouvoir à la mort de Staline), premier secrétaire du PCUS du Kazakhstan, un poste décisif dans sa montée vers le pouvoir suprême. En février 1956, il fut chargé de superviser l’industrie militaire soviétique, ainsi que le programme spatial et les infrastructures. En juin 1957, il a soutenu Nikita Khrouchtchev qui devait faire face à la résistance des anciens staliniens (Gueorgui Melenkov, Viatcheslav Molotov et Lazare Kaganovitch).
La victoire définitive de Nikita Khrouchtchev a eu pour conséquence son entrée au Politburo et l’arrivée au saint des saints. En 1959, il est entré au secrétariat du comité central. Montrant sa place déterminante, Nikita Khrouchtchev le nomma du 7 mai 1960 au 15 juillet 1964 Président du Praesidium du Soviet Suprême de l’URSS, poste équivalent à chef d’État, surtout honorifique mais qui donnait une idée de la place qu’avait atteinte Léonid Brejnev au sein de l’appareil du parti. Dans ces nouvelles fonctions, il fit de nombreux déplacements à l’étranger, lui donnant des goûts de luxe qui donnèrent une image épouvantable à son régime ultérieurement.
Lorsqu’il fut désigné premier secrétaire du comité central en 1963, il faisait figure de dauphin de Nikita Khrouchtchev. À partir de cette date, le pouvoir de Nikita Khrouchtchev était de plus en plus contesté à l’intérieur de l’appareil du parti : les réformes économiques n’ont pas eu les résultats escomptés et les déclarations du Secrétaire Général de plus en plus imprévisibles, suscitant inquiétude et réticence parmi les cadres. Le 15 juillet 1964, Léonid Brejnev laissa la Présidence du Praesidium du Soviet Suprême à Anastase Mikoyan qui resta fidèle à Nikita Khrouchtchev. Léonid Brejnev avait déjà songé à faire arrêter Nikita Khrouchtchev dès juin 1964, lors du retour d’un voyage en Scandinavie.
Léonid Brejnev organisa l’éviction de Nikita Khrouchtchev avec la complicité de Nikolaï Podgorny (membre du Politburo), d’Alexis Kossyguine (membre du Politburo), d’Alexandre Chélépine (ancien chef du KGB, Vice-Premier Ministre et chargé au comité central des organes de sécurité de l’URSS) et du jeune successeur de ce dernier à la présidence du KGB, Vladimir Semitchastny. Ce fut Mikhaïl Souslov, membre du Politburo et l’idéologue du parti, qui prit une part importante dans le limogeage de Nikita Khrouchtchev.
Ce dernier était en séjour en vacances à Pitsounda, en Abkhasie. Le 12 octobre 1964, Léonid Brejnev lui annonça la tenue le lendemain d’une réunion exceptionnelle du Praesidium à Moscou. Il s’y rendit. Accusé de tous les maux le 13 octobre 1964, Nikita Khrouchtchev refusa de se battre pour garder son pouvoir et déclara forfait auprès de son ami Anastase Mikoyan (lire la citation en tête de l’article).
Le 14 octobre 1964, très formellement, le Praesidium et le comité central ont "accepté" le départ "volontaire" de Nikita Khrouchtchev qui était à la fois le Premier Secrétaire du comité central PCUS (depuis le 7 septembre 1953) et le Président du Conseil des ministres de l’URSS (depuis le 27 mars 1958).
Le partage des dépouilles se fit entre les conspirateurs : Léonid Brejnev est devenu Premier Secrétaire du comité central du PCUS le 14 octobre 1964, s’octroyant la grande part du pouvoir suprême, Alexis Kossyguine fut Président du Conseil des ministres le 15 octobre 1964. Anastase Mikoyan réussit à rester Président du Praesidium du Soviet Suprême, mais fut mis à la retraite rapidement, dès le 9 décembre 1965, laissant place à Nikolaï Podgorny.
Si l’éviction de Nikita Khrouchtchev fut collective, très rapidement, le pouvoir qui est repris en main fut très personnel : Léonid Brejnev réussit petit à petit à récupérer la totalité des pouvoirs au sein du parti et au sein de l’État, faisant même dans les années 1970, un véritable culte de la personnalité.
Alexandre Chélépine, qui faisait partie des successeurs potentiels de Nikita Khrouchtchev, perdit son influence et fut évincé du Politburo le 16 avril 1976, et du comité central en 1976. Le 18 mai 1967, le protégé de ce dernier, Vladimir Semitchastny, fut évincé de la présidence du KGB au profit de Youri Andropov (en poste jusqu’au 26 mai 1982), proche de Léonid Brejnev et dont le mentor était Mikhaïl Souslov. Nikolaï Podgorny fut également évincé de la Présidence du Praesidium du Soviet Suprême le 16 juin 1977 et fut remplacé par Léonid Brejnev lui-même qui cumula donc direction du parti et direction de l’État (aucun dirigeant soviétique ne l’avait encore fait jusque là mais cela est devenu ensuite la norme, comme du reste dans la Chine communiste). Alexandre Kossyguine, en désaccord avec Léonid Brejnev sur les réformes économiques et malade, fut écarté de la Présidence du Conseil des ministres quelques semaines avant sa mort, le 23 octobre 1980, au profit de Nikolaï Tikhonov.
En mars 2014, la crise de la Crimée à population russe mais appartenant à l'Ukraine provenait de l'époque de Nikita Khrouchtchev qui, ukrainien, a fait don de la Crimée à l'Ukraine. Léonid Brejnev n'a pas remis en cause ce don car lui-même était ukrainien. Ce changement restait assez mineur et sans conséquence tant que l'Ukraine et la Russie gardaient un avenir commun au sein de l'Union Soviétique.
À la fin des années 1970, Léonid Brejnev était le dirigeant le plus puissant de l’Union Soviétique, s’octroyant des dizaines de décorations, se gratifiant même du titre usurpé de maréchal de l’Union Soviétique (en mai 1976). Dès mai 1965, Léonid Brejnev avait restalinisé les discours officiels et avait renforcé les pouvoirs du KGB au détriment des libertés publiques.
Les dix-huit longues années sous domination de Léonid Brejnev furent des années de stagnation économique et de refermeture politique en misant massivement sur un réarmement nucléaire de l’URSS pour faire face aux États-Unis. Cette "refermeture" était cependant ambiguë puisqu’une politique de détente vers "l’Occident" était également de mise avec la négociation des accords de limitation de la course aux armements (SALT) en 1979 et aussi l’Acte final d’Helsinki en 1975 sur la défense des droits de l’Homme, détente voulue pour faire contrepoids à la situation très mauvaise des relations diplomatiques de la Chine de Mao Tsé-Toung.
Pour éviter le renouvellement de l’insurrection de Budapest en 1956, Léonid Brejnev réprima les volontés d’émancipation des peuples d’Europe centrale et orientale comme à Prague en 1968, Gdansk en 1970 puis Varsovie en 1981, a arrêté Andrei Sakharov, et surtout, a commis sans doute la faute fatale de l’invasion de l’Afghanistan en décembre 1979.
Le baiser sur la bouche du dirigeant est-allemand fut mis en peinture sur le mur de Berlin comme symbole de la répression des peuples européens (j’ai eu beaucoup d’émotion à revoir cette peinture sur le mur à Berlin en janvier 2013).
La longue agonie de Léonid Brejnev symbolisa également l’agonie du régime soviétique lui-même, à une époque où le responsable de l’agriculture, Mikhaïl Gorbatchev, protégé de Youri Andropov, avait compris que sans réformes structurelles très profondes, l’Union Soviétique ne durerait plus que quelques années. Cette agonie a eu lieu aussi dans un certain contexte international : après la maladie du Président français Georges Pompidou et c’était assez ordinaire à l’époque de lire des ouvrages sur "ces malades qui nous gouvernent".
Après une crise cardiaque en mars 1982, Léonid Brejnev est mort à l’âge de 75 ans le 10 novembre 1982 à Moscou. Sa mort a ouvert une période d’instabilité très forte en Union Soviétique, avec la mise en place d’une véritable gérontocratie pendant deux ans et demi, jusqu’à l’arrivée du "jeune" Mikhaïl Gorbatchev (54 ans), le 11 mars 1985 à la tête du PCUS.
Entre temps, Youri Andropov, chef du KGB, succéda à Léonid Brejnev le 12 novembre 1982 comme Secrétaire Général du comité central du PCUS et aussi le 16 juin 1983 comme Président du Praesidium du Soviet Suprême, mais très malade, il succomba à 69 ans le 9 février 1984. Il fut remplacé par son rival Konstantin Tchernenko, également malade et âgé, qui fut Secrétaire Général du comité central du PCUS le 13 février 1984 et Président du Praesidium du Soviet Suprême le 11 avril 1984. Lui-même succomba à 73 ans le 10 mars 1985, rendant plus que nécessaire de mettre en avant un dirigeant d’une nouvelle génération pour faire face aux États-Unis à la fierté retrouvée de Ronald Reagan.
La thérapie Gorbatchev (à base de perestroïka et de glasnost) ne fut cependant pas suffisante pour pérenniser l’Union Soviétique qui implosa d’elle-même, presque sans effusion de sang, le 25 décembre 1991, après la chute du mur de Berlin et la libération des peuples d’Europe sous le joug soviétique. Le long pouvoir de Léonid Brejnev a illustré les limites du communisme, tant économiques que politiques, évidemment !
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (19 décembre 2016)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Raspoutine.
Léonid Brejnev.
La fin de l’URSS.
La catastrophe de Tchernobyl.
Trofim Lyssenko.
Anna Politkovskaia.
Vladimir Poutine.
L’élection présidentielle de mars 2008.
Mikhail Gorbatchev.
Boris Eltsine.
Andrei Sakharov.
L’Afghanistan.
Boris Nemtsov.
Staline.
Ronald Reagan.
Margaret Thatcher.
François Mitterrand.
La transition démocratique en Pologne.
La chute du mur de Berlin.
La Réunification allemande.
Un nouveau monde.
L’Europe et la paix.
21 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON