C’est encore la faute à Poutine
Wikileaks vient de publier près de vingt mille e-mails provenant d’échanges entre membres du parti démocrate et des responsables de la campagne d’Hillary Rodham Clinton. Ces messages montrent clairement que les responsables démocrates ont influé sur la campagne des primaires en faveur de l’ex secrétaire d’état et donc au détriment de Bernard Sanders.
Scandale !
Comment expliquer que les jeux sont truqués à l’intérieur même du parti ? Comment cacher que dans le camp démocrate comme dans le camp républicain, c’est la désunion totale ? Toute personne un peu au courant des mœurs politique ne se fait aucune illusion sur l’amitié que se portent les différents candidats, y compris dans le même parti ni sur leur fidélité ou leur loyauté. Mais jusqu’à présent, on avait réussi à maintenir au moins l’apparence de l’unité.
En plus, dans un système électoral comme le système américain qui fonctionne par étapes dans la désignation du président (d’abord les primaires, puis les élections qui désignent les électeurs qui, eux-mêmes, désigneront le président) chaque candidat a besoin de montrer qu’il a un parti uni derrière lui pour asseoir sa crédibilité. C’est tout de même un peu raté en 2016 pour les deux candidats principaux.
Mais essayons de sauver ce qui peut l’être, et il y a urgence car un des messages porte même sur les convictions religieuses de Bernard Sanders.
Première étape, on crie au scandale devant l’attaque informatique qui a permis à Wikileaks de mettre la main sur les messages. On cherche un responsable. Pas question évidemment de nommer les premiers et vrai responsables de l’affaire : ceux qui ont envoyé les messages !
En effet, depuis de nombreuses années, on est passé du « demandez-vous ce que vous pouvez faire pour votre pays » (John F. Kennedy, janvier 1961) à « allez à Disney World en Floride, emmenez vos familles et profitez de la vie… » (George W. Bush, septembre 2001).
C’est cette volonté d’éloigner la population de la politique qui a permis le développement de ce que certains appellent aujourd’hui « l’état profond » américain et la société de surveillance qui peut effectivement se développer hors du contrôle citoyen, sur la double base du secret et de la surveillance.
Les Etats-Unis comme malheureusement beaucoup de pays, dont la France, à leur suite, sont passés de la démocratie au spectacle de la démocratie et à des campagnes présidentielles sans fins organisées par des canaux de télévision qui y ont vu une nouvelle source de revenus publicitaires.
Donc il faut trouver des coupables dignes d’une bonne couverture médiatique. Je vous le dis tout de suite, je n’ai absolument aucune idée de qui a piraté le serveur du parti démocrate. Mais cela ne m’empêche pas de réfléchir à qui aurait pu le faire. Wikileaks dépend de la bonne volonté de lanceurs d’alerte à qui la plateforme offre une intéressante possibilité de diffusion. La première réaction serait donc de se dire « qui a intérêt à la publication de ces messages ? »
La première réponse qui vient à l’esprit est évidemment : le parti républicain qui veut faire oublier une convention très en dessous de la moyenne la semaine dernière et qui a fait étalage des fractures du parti. Une nouvelle chassant l’autre, si on parle de la désunion du camp démocrate on ne parlera plus de celle du camp républicain.
La deuxième réponse pourrait être : les soutiens de Bernard Sanders, ulcérés par la façon dont leur candidat a été traité par son propre parti et qui cherchent un moyen de le faire savoir. Les deux candidats aux primaires Clinton et Sanders veulent donner l’image de la réconciliation après les violences de la campagne, mais leurs partisans ne peuvent pas se supporter. Les premiers accusent les seconds d’être des socialistes anti système, les seconds voient en Clinton le candidat le plus corrompu que l’histoire des campagnes électorales américaines ait connu et n’ont pas encore renoncé à intervenir au cours de la convention pour que leur candidat soit désigné par le parti démocrate.
Voilà deux suspects sérieux, ayant mobile et opportunité, chaque camp ayant embauché des spécialistes informatiques pour gérer leurs communications.
Oui, mais, vous avouerez qu’ils ne sont pas très « sexy », non ? Et puis, poursuivre l’un d’eux amènerait très rapidement à étaler au grand jour les dissensions qui traversent les deux camps, ce qu’aucun de deux grands partis ne veut faire. N’oublions pas non plus que les sondages montrent que la population ne veut d’aucun des candidats désignés, ni Trump, ni Clinton, que l’on va finir par leur imposer.
Alors on se tourne vers le vrai, le seul, l’unique grand méchant loup de la planète, le président russe. Avouez qu’avec lui les grands titres ont « de la gueule » : Poutine pirate le serveur des démocrates pour soutenir son ami Trump ! Pour les démocrates et Hilary Clinton, c’est génial, inespéré. En plus Trump a déclaré qu’il pourrait s’entendre avec Vladimir Poutine s’il était élu président, le traitre ! Et pour faire bonne mesure, les médias vous expliquent que Vladimir Poutine a complimenté Trump, c’est bien la preuve, non ?
On oublie simplement que Vladimir Poutine a seulement dit qu’il trouvait Donald Trump « haut en couleurs ». Mais une petite erreur de traduction (involontaire ?) a transformé cette constatation en compliment grâce au remplacement de « haut en couleurs » par « brillant ». Le tour est joué, tout le monde est content. Sauf peut-être Donald Trump, mais comme nous le dit le « Media Research Center », les principaux médias américains « roulent pour Clinton ».
Le site « The Daily Beast » en a déjà fait trois articles au moment où j’écris ces lignes. Il explique doctement que « plusieurs officiels américains pensent qu’il s’agit d’une opération en faveur de Donald Trump, d’après cinq sources familières avec l’enquête. » Des « officiels », lesquels ? On ne nous le dit pas. Qui sont les « cinq sources », même silence. Mais des responsables du FBI ont dit qu’ils « n’étaient pas surpris ». Alors…
Nous n’en sommes pas encore, bien sûr à accuser directement la Russie de piraterie. Les « preuves » sont bien faibles voire inexistantes, mais ce n’est pas très important. Ce qui est important, c’est de suggérer que la Russie est « probablement » derrière cette opération et de laisser faire l’imagination d’un public entraîné depuis longtemps à soupçonner toujours la Russie et son président de tous les maux de l’humanité.
Ce qui est dangereux, ce n’est pas ce genre d’accusations sans preuves, il y en a eu d’autres et bien plus dramatiques. Ce qui est dangereux, c’est qu’il s’agit d’une preuve supplémentaire que le spectacle de la démocratie est en train de remplacer la démocratie, que les population doivent être tenues éloignées de ce qui se passe dans les « hautes sphères du pouvoir », loin de problèmes auxquels de toute façon ils ne comprendraient rien.
Le monde doit être dirigé par des « spécialistes » et le peuple doit se contenter de Disney World…
47 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON