C’était un bon plan... au départ, pourtant
Nicolas Sarkozy, à la recherche de toute approbation dans le public, avait développé l’idée durant sa campagne de songer à faire libérer Ingrid Betancourt, enfin de promettre de faire tout ce qu’il était en sa possibilité pour mettre fin à ses années de détention. Intention louable, qui ne reposait sur rien de concret, mais avait une autre origine, comme nous le verrons plus loin. La nomination de Bernard Kouchner, dans ce contexte, était idéale : on avait déjà en tête l’image du bon docteur descendant à Villacoublay d’un Falcon 50 précédé d’Ingrid Betancourt, vivante. Le scénario était idéal pour les trois protagonistes.
Patatras, le soir même de la réunion entre le président français et la famille d’Ingrid, le président colombien Uribe flanquait tout par terre en déclarant demander le recours à la force de l’armée colombienne pour libérer les otages. On s’attend à un massacre, les FARC n’étant pas du genre à se laisser aussi facilement anéantir. Et on donne peu de chances désormais à Ingrid Betancourt d’en sortir vivante.
La France avait pourtant bien tenté déjà quelque chose pour elle. Ce fut l’opération Raffarin-Villepin, de juillet 2003, un fiasco mémorable. A l’époque, un dénommé Nicolas Sarkozy, en visite alors en Colombie, apprécie plus que mollement la véritable barbouzerie signée Dominique de Villepin. D’où son entêtement aujourd’hui à prendre une énième revanche, notre homme ne fonctionnant qu’ainsi, on le sait. La jalousie et la revanche à prendre étant ses moteurs principaux d’action en politique. L’opération ratée, pour mémoire, avait été appelée "14 juillet" allez donc savoir pourquoi... Un an pile après, Jacques Chirac sortait à la même date son célèbre "je décide, il exécute" qui était censé remettre Nicolas Sarkozy à sa place. A partir de là, comment ne pas comprendre qu’un Nicolas Sarkozy roulé dans la farine par ses propres alliés gouvernementaux ne fasse du cas Betancourt un sujet tout personnel ?
Le président Uribe, lui, est né à Medellin, ceci explique cela. Cela fait des années qu’on le soupçonne d’être aux ordres du cartel du même nom, et d’avoir été un ami proche de Pablo Escobar Gaviria, le maître de la drogue colombienne, mort en 1993. A chacun son Bolloré, on a les amis qu’on souhaite vraiment. Uribe, à sa prise de pouvoir, a fait la même chose que George Bush aux USA en déclarant "la guerre au terrorisme". On a dit ici dans ces colonnes comment cette prise de position pouvait en cacher une autre : celle de mettre en place avant tout des lois liberticides dans le pays, en résumé de reprendre en main l’intérieur en agitant le foulard rouge d’un terrorisme extérieur assez flou.
Homme de droite caractéristique, Uribe ne s’embarrasse pas avec les détails. Quand, pour faire plaisir à son allié américain, il décide de s’en prendre à la culture du coca, il emploie les grands moyens, faisant arroser des zones entières avec un produit proche de l’agent orange de sinistre mémoire au Viêt-Nam. C’est de l’endosulfane, interdit de vente aux USA. et du glysophate, plus connu ici sous le nom de RoundUp. Les deux produits par l’industriel US Monsanto. Evidemment, les avions colombiens arrosent autant les villages soupçonnés d ’opposition au gouvernement que des champs où ne pousse pas toujours de la coca, mais de simples végétaux pour nourrir les indigènes.
La coke de Colombie, on sait ce qu’elle devient et où elle atterrit. Comme le précise le site français "drogues.gouv" qui citait en 2001 le magazine Maximal , qui décrivait "Jérôme, 28 ans un des « dealers chéris du Tout-Paris » qui « issu d’une famille bourgeoise » dévoile un parcours qui va « de la pub à la poudre ». Travaillant dans une agence de pub, il a d’abord vendu « histoire de faire baisser son budget coke ». Aujourd’hui il ne se consacre qu’à la coke et travaille uniquement avec des habitués. Il gagne 25 000 francs par mois « sans payer d’ impôts ». Il voyage en taxi pour ne pas attirer l’attention, a un look étudié, avec toujours dans les mains les Echos ou la Tribune". Et croise tous les jours la jet-set ou les people les plus en vue, inutile de vous faire un dessin là-dessus, c’est un secret de polichinelle et une rare hypocrisie que de fermer les yeux sur l’usage de la coke dans le milieu.
Une drogue qui profite à tous. Dans un rapport fort instructif, l’Institut national des hautes études de sécurité a très bien décrit les liens entre l’armée colombienne et les narcotrafiquats. Pour ce rapport, c’est net : la lutte contre la coca menée par le gouvernement bolivien est... factice. Elle ne sert qu’à rassurer l’opinion américaine ou européenne. La conclusion du rapport est très claire : "Des bandes de trafiquants, comme celle dite du « Cartel del Norte del Valle », et les groupes paramilitaires, non seulement passent au travers des mailles du filet de cette politique mais paraissent en tirer profit". En même temps, la politique sécuritaire prétextée par la lutte contre la drogue à d’autres répercussions, je cite : "A l’heure actuelle, la stratégie de sécurité tend fortement à criminaliser les secteurs les plus défavorisés des villes et des campagnes". Le Homeland Security, version Uribe. Au total, un résultat effrayant. Et des moyens plus que discutables pour y arriver, comme celle d’attentats provoqués, par exemple, une constante des pouvoirs forts, on le sait.
Et au final, une armée colombienne qui pompe les budgets de l’Etat dans des proportions plus qu’alarmantes. Lors du crash du Douglas MD82 (un DC-9) de la West Carribean (une compagnie de Medellin), le président de l’entreprise avait eu une phrase étonnante : selon Jorge Perez, en effet, "les impayés de l’armée colombienne envers la société Heliandes, actionnaire majoritaire de la compagnie, l’avaient placé au bord du gouffre". L’avion s’était écrasé lors de son douzième vol dans la même journée, avec des réparations hâtives faites sur son empennage, et un copilote de 21 ans. Résultat : 160 morts, en majorité français, des Martiniquais de Fort de France (152). A l’époque, Dominique Perben avait déclaré alors que tout s’était passé dans les règles de l’art, côté entretien. Une aviation civile pauvre, mais une armée riche, qui peut exhiber fièrement ses soldats luttant contre les Farc. Et son imposant matériel américain, au service d’une action autant condamnable que les crimes commis par les FARC.
Dans quelques jours, ou quelques mois, nous aurons peut-être malheureusement (ou heureusement, gardons espoir) le dénouement de l’histoire. Nous ne souhaitons pas, évidemment, que ce soit celle voulue par le président Uribe. Mais nous devons aussi savoir pourquoi notre président actuel tient autant à une libération. Certes, pour des raisons de dignité et de promesses faites à tenir, mais aussi, et c’est malheureux à dire, en raison essentiellement d’un lourd contentieux entre lui et Jacques Chirac, pourtant applaudi par lui-même à son départ de l’Elysée. La vie d’Ingrid Betancourt vaut peut-être tout simplement davantage que ces basses considérations purement politiques. Souhaitons, pour son admirable famille et ses enfants, que ce soit la bonne version qui prévale. Et qu’elle s’en sorte vivante. Mais à ce jour, il y a peu d’espoir.
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