Cameroun : huit policiers suspendus dans l’affaire du trafic des passeports
Les usagers payaient jusqu’à 250 000 (385 euro) pour avoir un passeport ne coûtant en réalité que 50 000 F CFA (76 euro), à la faveur d’une pénurie d’anciens passeports « vendus » entre janvier et mai 2006 à prix d’or. Au cœur de ce business, des policiers eux-mêmes dont huit viennent d’être suspendus pour trois années.

Elle s’appelle W..., étudiante, à peine plus de 20 ans. Elle
porte un blue-jean taille basse de rigueur, un sac sur l’épaule et une chemise
de documents sous l’aisselle.
Les derniers rayons de soleil cru du mois d’août dévorent
violemment sa figure, à l’une des entrées de la Délégation générale à la sûreté
nationale à Yaoundé, comme plusieurs autres jeunes filles et femmes agglutinées
à cette entrée du pâté de bâtiment débouchant sur un carrefour, et qui espèrent
encore avoir un passeport ce 17 août 2006. Mais sans doute plus pour longtemps,
car la jeune femme a décidé d’abandonner les procédures d’obtention d’un
passeport informatisé qui devait la permettre de quitter le Cameroun...
« Je préfère laisser
tomber, trop de longues procédures » lance-t-elle stoïque. Elle a laissé dans l’affaire
150 000 F CFA données à un commissaire en service à la délégation générale à la
sûreté nationale pour obtenir le document de voyage, en vain.
Après plusieurs semaines d’attente, et de « procédures »,
toujours rien...le voyage pour la France, ce sera pour une autre fois pour W...
Le commissaire qui a encaissé illégalement 150 000 F CFA ne réagit toujours pas
favorablement. Et pourtant, selon la loi en vigueur depuis le 17 juillet, il
faut payer 50 000 F CFA et attendre juste « une dizaine de jours » pour retirer
le document.
L’affaire de la pénurie des passeports au Cameroun elle
remonte à plusieurs mois plus tôt.
Décembre 2005, la pénurie des passeports à la direction de
la police des frontières à Yaoundé s’installe, après avoir pointée le bout de
son nez quelques mois auparavant. Au grand désespoir de dizaines de milliers de
jeunes diplômés ou étudiants et chômeurs de luxe, que l’envie de partir du
Cameroun pour un eldorado européen, est une véritable obsession.
Dès janvier 2006, la pénurie s’accentue et le peu de
passeports disponibles se transforment en véritable trésor de guerre qui va
faire l’objet d’un formidable marchandage.
L’obtention du titre de voyage va se négocier à la tête du
client et au plus offrant. Située dans l’enceinte de la Délégation générale à la
sûreté nationale, la direction de la police des frontières, n’est plus alors qu’une
simple porte de sortie du passeport, au terme d’un parcours qui commence
souvent bien loin, par un coup de fil adressé à une autorité policière,
politique ou administrative, qui à son tour, aura usé de ses relations au sein
de la direction de la police des frontières, pour se voir délivrer le précieux
document de voyage.
A moins d’avoir de solides relations au sein de la police ou
aux alentours, il faut être disposé à payer des centaines de mille de F CFA. Selon
un usager, Tagne Dieudonné, au mois d’avril, il fallait payer 150 000 F CFA (3
fois le prix normal), et en juin, 250 000 F CFA, « prix non négociable, à prendre
ou à laisser ! ». « A ce qu’il parait, poursuivait-il, la pénurie s’est étendue
dans nos représentations diplomatiques ».
Il citait alors le cas de l’ambassade du Cameroun à Rome en
Italie. En fait, les enchères allaient plus loin encore selon le circuit que l’on
empruntait, circuit où on retrouvait des policiers qui en avaient fait une
providentielle source de revenus.
Passeports Cemac : des fuites avant le décret présidentiel ?
En juin 2006, sans grand bruit, la Délégation générale à la
sûreté nationale reçoit les premiers stocks de nouveaux passeports Cemac (Communauté
économique et monétaire des Etats de l’Afrique centrale). Le 17 juillet, le président
de la République signe le décret n° 2006/230 instituant un nouveau passeport
ordinaire.
Comme pour le précédent passeport, il coûte 50 000 F CFA,
mais l’une des innovations est que les photos se font désormais à la direction
de la police des frontières et dans les commissariats de l’Emi-Immigration
contre 2 000 F CFA de frais supplémentaires pour les photos. Cette dernière
innovation va remonter les photographes des environs de la Délégation générale à
la sûreté nationale qui habituellement établissaient les cartes photos de
meilleure qualité selon des usagers, et à moitié prix.
Mais entre le mois de juin, date de l’arrivée de nouveaux
passeports et la publication le 17 juillet du décret présidentiel instituant
ces nouveaux passeports, certains fonctionnaires de police se seraient lancés
dans leur trafic en les établissant contre de fortes sommes d’argent, en usant
de leur position pour obtenir des faveurs. Une véritable aubaine pour certains
policiers en cette période de rentrée scolaire et universitaire dans les pays
européens, dont la France, faisant ainsi de l’obtention d’un passeport, une
absolue nécessité pour ces dizaines de milliers de jeunes élèves et étudiants
camerounais habités par l’expatriation.
Selon une source policière, c’est l’inspecteur général des
services à la Délégation générale à la sûreté nationale, le commissaire
divisionnaire Mbarga Victor Hugo qui aurait, après une descente sur le terrain,
parmi les centaines de candidats au passeports agglutinés tous les jours à la DGSN,
identifié des fonctionnaires de la sûreté nationale impliqués dans ce trafic. Le
21 août, sans grande surprise le délégué général à la sûreté nationale, Edgard
Alain Mebe Ngo’o, sur délégation de signature du chef de l’Etat, suspendait huit
policiers pour « indélicatesse et compromission grave portant atteinte à la
considération de la Sûreté nationale dans le processus d’établissement de
passeports ordinaires ».
La suspension de trois mois pendant lesquels les mis en
cause ne percevront pas leurs salaires touche dans le détail 4 gardiens de la
paix, 3 officiers de police et 1 inspecteur de police.
La décision de M. Mebe Ngo’o n’es pas la première. Il a en
effet, en l’espace de quelques mois, suspendus une vingtaine de policiers pour
bavures diverses.
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