Pays spécifique d’Afrique, d’un type particulier, avec une superficie de 474 000 km2 pour une population estimée à 16 millions d’âmes, avec près de trois cents ethnies parlant environ autant de langues nationales, quatre zones climatiques dont une de type sahélien, le Cameroun est situé à l’entrée du Golfe de Guinée et constitue, par cette diversité, une Afrique en miniature...
Après avoir défrayé la chronique au cours des dernières années comme
pays le plus corrompu du monde (par l’ONG Transparency International) et secoué
depuis peu par les scandales dits "des homosexuels", et après la chasse ouverte aux
fossoyeurs de l’économie nationale, ce pays vient d’atteindre, le 27 avril
dernier, le point d’achèvement de l’initiative PPTE, devenant ainsi un pays
favorable aux affaires, donc viable pour les investissements.
Aperçu historique :
Spécifique à cause de son bilinguisme (français & anglais), le Cameroun, comme le Togo, la Namibie, est une ancienne colonie allemande ; après la victoire des alliés au lendemain de la Première Guerre
mondiale (1914-1918), il est placé sous mandat franco-britannique au Congrès de
Versailles de 1919, avec pour mission de le conduire à l’autodétermination. De
haute lutte, le 1er janvier 1960, la partie francophone accède à l’indépendance,
avec à sa tête Amadou Ahidjo ; pour l’anglophone, ce sera le 1er octobre 1960, John Ngu
Foncha assurant les destinées. Le 1er novembre 1961, les deux entités se fédèrent,
avec, à la présidence, Amadou Ahidjo, et à la vice-présidence, John Ngu Foncha.
Le 20 mai 1972, la fédération cède place à l’Etat unitaire ;
Amadou Ahidjo est élu président, et assume les destinées de ce pays jusqu’à sa démission
le 4 novembre 1982 ; ce jeudi-là, à 20 h 23 mn, sur les ondes de radio Cameroun,
le célèbre journaliste Jean-Claude Ottou, actuellement directeur de la
communication à MTN Cameroun, annonce : "Camerounaises, Camerounais, le président
de la République s’adresse à vous... " ; s’ensuit l’exécution de l’hymne
national, prélude de son discours qui, en quelques mots, plonge le Cameroun dans
la frayeur et la consternation : "Camerounaises, Camerounais, j’ai décidé de démissionner
de mes fonctions de président de la République... Comme le stipule la Constitution, le Premier ministre Paul Biya, en qui j’ai totalement confiance,
devient le président de la République ; c’est lui qui conduira les destinées de
notre beau et cher pays que je laisse dans une bonne situation économique, avec un
taux de croissance de 4%...’’ Voilà le Cameroun qu’en ce mois de novembre 1982,
Amadou Ahidjo laisse à Paul Biya. Aucun économiste, aucun analyste financier sérieux
n’a contesté, jusqu’à ce jour, la situation que décrivait Ahidjo : vie moins chère,
augmentation régulière des salaires, chômage quasi inexistant, transport
gratuit des étudiants de l’Université de Yaoundé et des grandes écoles, 65% d’étudiants
boursiers en première année, presque la totalité depuis la deuxième année de
licence jusqu’au doctorat.
Tous les indicateurs économiques et de croissance sont au
vert.
Dès son arrivée au pouvoir, le président Biya, dans ses
discours, vante la bonne situation économique du pays dont il a hérité de son "illustre
prédécesseur" ; mais dès février 1983, des conflits opposant les nostalgiques
d’un pouvoir perdu à ceux, nouvellement arrivés aux affaires, qui veulent
imprimer leur marque dans les annales de l’histoire du Cameroun, se font jour.
Ces divergences et conflits conduisent à l’exil Amadou Ahidjo, en fin d’année 1983,
et comble de malheur, au coup d’Etat du 6 avril 1984, où le pouvoir du président
Biya est sauvé grâce à des officiers supérieurs de l’armée camerounaise légalistes
et républicains. Au sortir de ces évènements, Paul Biya comprend que le pouvoir
ne s’exerce pas avec des gants de velours, mais avec des mains de fer... Les
choses ne vont pas l’aider, le monde subit à cette période une crise sans précédent... Le
Cameroun n’est pas en reste. Les coûts du café et du cacao chutent brutalement,
privant ainsi l’Etat de recettes d’exportation ; les planteurs, las de voir
les prix dégringoler d’année en année, détruisent les plantations de caféiers
et de cacaoyers au profit de cultures de subsistance ; faut-il le rappeler,
le Cameroun à cette époque figure parmi les dix producteurs mondiaux, ce qui a
une conséquence néfaste sur l’économie essentiellement agricole, le pétrole
dont il est aussi producteur étant un secret de polichinelle. La crise économique
s’installe...
En 1987, lors de son discours de fin d’année, le président
Biya déclare à la nation : "Avec ou sans le FMI, le Cameroun se sortira de
la crise". Vision juste si on s’en tient exclusivement au dynamisme de la
population camerounaise, mais la crise est mondiale... Comme le disait, en 1988,
l’économiste camerounais, le défunt professeur Georges Ngango, à un groupe d’étudiants
dont j’étais : "Les causes profondes de la crise économique que
traverse le Cameroun sont aussi structurelles qu’exogènes" ; en d’autres termes,
les structures fonctionnelles du Cameroun ne sont étrangères à cette situation
(pléthore de fonctionnaires, nominations subjectives des cadres par copinage
et cooptations, non renouvellement des cadres vieillissants, détournements
impunis des deniers publics...).
La "ruée" à la démocratie, au début des années 1990, n’est
pas pour arranger les choses ; alors que les pays comme le Bénin, le Gabon ou la
République populaire du Congo organisaient leurs conférences nationales pour
laver le linge sale et redémarrer sur de nouvelles bases, le Cameroun, galvanisé
par la prestation honorifique de son équipe nationale de football, les Lions indomptables (en quart de finale du Mondial italien), s’endort et ne se réveille
que deux après ; en 1992, avec le refus du pouvoir de Yaoundé de suivre
l’exemple amorcé au Bénin et poursuivi ailleurs, l’opposition, très implantée à Douala
et dans le reste du pays, à l’exception de la capitale Yaoundé, lance l’opération ville morte qui, sept mois durant, plonge le pays dans une hécatombe économique
sans précédent ; les sociétés se ferment, les familles se trouvent au chômage,
le tissu économique s’effrite...
Le Cameroun régresse de plus de trente ans. Comme me
l’affirmait un fonctionnaire international du BIT (Bureau international du travail)
que j’ai rencontré au Cameroun en 1996 : "Ce pays est unique dans son genre... Avec
ce qui s’est passé, un autre pays aurait purement et simplement rejoint l’âge
de la pierre, à cause de la violence sociale due à la pauvreté ; mais quatre ans après,
c’est comme si rien ne s’est passé". Ce sont là les conditions requises pour
que, sans tambour battant, le FMI arrive tel un sapeur-pompier et impose sa cure
drastique : assainissement des finances publiques, diminutions des salaires (plusieurs
ont été faites), compression des agents de la fonction publique, privatisation
des sociétés d’Etat et para-publiques, et bien d’autres mesures qui, sous
d’autres cieux, ont entraîné des soulèvements populaires avec, pour corollaire,
des violences sociales. Avec stoïcisme, et fidèles à l’adage : "Le Cameroun, c’est
le Cameroun", sans rechigner, les Camerounais se soumettent... Plusieurs
fonctionnaires trouvent, dans le capital proposé pour un départ volontaire de la
fonction publique, une aubaine pour se convertir à l’agriculture, à l’élevage,
bref aux affaires. Près de quinze années se sont écoulées, et en ce 27 avril 2006,
de nombreux Camerounais n’attendent guère mieux, préférant au contraire être
surpris par des lendemains meilleurs.
Attitude des populations
Pour une frange très importante de la population, comment
serait-il possible aujourd’hui, avec les querelles politiciennes devenues
quotidiennes depuis l’avènement de la démocratie, de revivre les périodes fastes
des années 1980 où, sans l’apport des revenus pétroliers (chasse gardée du pouvoir),
il faisait bon vivre partout au Cameroun ? Selon l’opinion, à cette période, chaque
enfant sorti de l’école trouvait un emploi ; la politique n’avait pas de place,
mais l’économie... C’est cela le Cameroun ; un pays à qui Dieu a tout donné,
mais auquel les politiciens ont tout pris ; un pays honnis et mal aimé des autres,
mais qui se fait respecter pour le dynamisme de sa population et son
biculturalisme.
Même si ce point d’achèvement PPTE n’est qu’une phase du
processus qui ira à terme, jusqu’en 2008, pour que le FMI lâche prise, notamment
avec la privatisation exigée del a Camair et d’autres sociétés, il n’en demeure
pas moins vrai qu’il s’agit ni plus ni moins qu’un satisfecit, et non du bout du
tunnel... Le président Biya, soucieux, en digne héritier de la deuxième République et gestionnaire durant vingt-trois ans du pays, doit veiller, comme
arbitre suprême, à parachever les recommandations du FMI, de telle manière que
la remise de la dette dont bénéficie le Cameroun profite réellement aux
Camerounais dans l’ensemble, et non aux habitués des "acrobaties financières"
pour se garnir les poches en plantant le fruit de leurs malversations dans des
cantines enfouies sous le sol de leurs villas, privant les banques de liquidités,
et surtout favorisant la misère sociale. Une chance vient d’être offerte au
Cameroun, celle de rejoindre, une fois de plus, les nations modernes... Comme le dit
si bien Calixte Beyala : "En Afrique, avec la quantité et la qualité des
intellectuels dont regorge le Cameroun, il devrait être avec l’Afrique du Sud,
un exemple de fierté et d’honneur pour le continent" ; mais, comble de
malheur, on se rend compte que nos intellectuels sont avant tout des "chasseurs
de postes de gestionnaires de budgets" où, à loisir, ils détournent,
et s’enrichissent sans être inquiétés. Leurs missions régaliennes de source de
propositions de solutions face aux problèmes que rencontrent nos sociétés sont
devenues le dernier de leurs soucis.
En conclusion, les Camerounais dans l’ensemble doivent se
souvenir de cette pensée du président Ahidjo qui, lors de la sortie
d’une des promotions des agents du service civique national, à l’époque cadres
moyens d’agriculture chargés d’assister et de conseiller les planteurs et éleveurs
dans leurs tâches quotidiennes, déclarait : "On peut gagner dignement sa vie,
servir pleinement son pays, grâce à la force de ses bras"... A méditer. Juste vision des
choses, lorsqu’on sait qu’aujourd’hui, le rêve est d’occuper des postes de gérants
budgétaires où, par des tournures malicieuses, on fausse les écritures
comptables, avec pour seul dessein de garnir ses comptes bancaires,
oubliant que, par ce geste pernicieux, c’est le pays que l’on envoie à la banqueroute, et les
populations que l’on envoie à la misère.