Cameroun : Les mollahs ont décrété la censure
Les chœurs joyeux de la démocratie, ne résonneront pas dans les stations de radios camerounaises, surtout sur Sky One Radio FM. Ce n’est plus, ni un scandale ni la première fois, que les journaux écrits et audiovisuels sont victimes de censure depuis l’avènement du multipartisme en 1991.En vingt-sept ans de pouvoir Paul Biya aura, malgré les slogans démocratiques prononcés par lui et son gouvernement, emprisonné, suspendu, plus de journalistes qu’Ahidjo en vingt-cinq ans de parti unique. Issa Tchiroma nouveau ministre de la communication, lui-même ancienne victime de la répression de Biya ; activiste de l’opposition à une époque où il guignait des prébendes ; artificier des vandales contre d’abord Biya, ensuite contre Bello Bouba -camarade, ennemi, aujourd’hui collègue au gouvernement- vient de défrayer la chronique. Il vient de mettre le Cameroun à la une de la communauté internationale, cette fois-ci tristement.
Triste coïncidence : il y a 20 ans, l’ayatollah Ruhollah Khomeiny prononçait sa fatwa contre Salman Rushdie coupable à ses yeux d’avoir écrit et publié les Versets sataniques. Aujourd’hui, l’Ayatollah Issa Tchiroma Bakary, censure une émission de
Cette émission bat les records d’audience, compte tenu de son implication dans les problèmes récurrents de notre société. Une émission populaire, puisqu’elle touche l’endroit qui fait mal : le clientélisme, la corruption, la gabegie, etc. Un traitement de l’information atypique et révolutionnaire, inspiré de julien Courbet dans son émission Sans Aucun Doute. Une proximité avec les basses couches sociales a été crée, ce qui n’est pas de l’avis de la nomenklatura. Résultat des courses, l’émission est jugée blasphématoire, séditieuse, portant atteinte à l’ordre public, par le pouvoir en place.
Qu’est-ce que la censure ?
La censure est l’entrave mise à la liberté d’expression, et qui porte notamment sur la publication et la diffusion des informations destinée aux masses populaires (livres, périodiques, émission audiovisuelle, etc.) et sur les représentations théâtrales. Le phénomène de la censure existe ou a existé dans tous les pays et à toutes les époques, bien avant l’invention de l’imprimerie. On peut citer à cet égard l’Aréopage faisant brûler à Athènes les ouvrages de Protagoras, les projets de Platon concernant dans sa République le bannissement des poètes et le contrôle des « diseurs de mythes », l’autodafé de l’empereur chinois Qin Shi Huangdi, Caligula s’attaquant à l’Odyssée jugée porteuse d’un trop grand idéal de liberté, Philippe le Hardi plaçant, par une ordonnance de 1275, les libraires de France sous la surveillance de l’Université. Aujourd’hui, Biya perpétue une tradition aussi barbare que rétrograde, et donne du grain à moudre à tous ses détracteurs. Nous sommes en droit de nous poser la question de savoir, s’il est en harmonie avec l’image de démocrate qu’il est venu vendre récemment à la France ?
Deux formes de censure
Malgré les discours, et toutes les conventions que le Cameroun a ratifiées, la censure est de retour, hier c’était Blaise Pascal Talla de Jeune Afrique, aujourd’hui l’émission le Tribunal. Il existe deux formes de censure : la censure préventive et la censure répressive. La censure préventive a pour tâche d’empêcher la parution de textes jugés pernicieux par les pouvoirs ; elle s’exerce au moyen de censeurs, ou de commissions, chargés d’examiner les manuscrits avant publication et d’accorder ou de refuser l’autorisation d’imprimer, cette cellule est en veilleuse au ministère de l’administration territoriale. Longtemps pratiquée, elle a vu un de ses membres récompensé, en la personne d’Eric Essoussè propulsé à la commission d’organisation des élections(ELECAM). La censure répressive, généralement confiée à la police politique, aux renseignements généraux, à la sécurité militaire(SEMIL), a pour rôle de saisir et de supprimer des ouvrages condamnés postérieurement à leur parution ou des publications clandestines- L’essai de John Paul Tedga : Entreprises publiques et para publiques au Cameroun, faillite d’un système, en est l’exemple patent-. Une censure n’est efficace que lorsqu’elle fonctionne sous ces deux aspects parallèles, et de façon sévère, c’est cette épée de Damoclès que vient de faire pendre Issa Tchiroma sur la tête des journalistes.
À ces deux types de censure s’en ajoute nécessairement un troisième, l’autocensure, qui incite un auteur à tenir compte des censures existant dans son pays et à réagir en conséquence, soit en tempérant ou en enveloppant son expression, soit en la conformant au modèle esthétique préconisé, soit en publiant ses œuvres hors de son propre pays, soit encore en choisissant de se taire. Beaucoup de journalistes l’utilisent pour avoir leur vie sauve.
Le champ d’action de la censure
Il concerne habituellement les domaines de la religion, de la politique ou de la morale, mais des jugements de valeur d’ordre littéraire ou esthétique s’y ajoutent fréquemment. Ainsi en Chine, sous les Yuan, la culture traditionnelle fut radicalement mise à l’écart, avant que les Ming, par réaction, rétablissent la plus stricte orthodoxie. Sous les Qing, le bureau mandchou de la censure multiplia les critères d’intervention politiques, moraux et philosophiques, mais cette pratique a été dépassée de très loin par l’oppression du « Renouveau » qu’incarne Paul Biya.
En Russie, l’histoire de la censure est inséparable de l’histoire des règnes des tsars et des troubles politiques qui ont ébranlé l’autocratie. Instrument de contrôle de la pensée, la censure opère par des interdictions de publier ou même d’écrire, des saisies, des poursuites, et elle aboutit parfois à la mise à l’écart totale de l’écrivain, qui sera assigné à résidence, emprisonné, interné sous surveillance psychiatrique, exilé au Caucase, ou déporté en Sibérie (Dostoïevski). Puis Njawe, Ekane Anicet, Lapiro de Mabanga, ne seront pas avares en récits concernant cette pratique.
Mais c’est une loi presque constante qu’en face des rigueurs croissantes du pouvoir la contestation ne cesse d’augmenter. L’activité souterraine (podpolie) décuple : presses et diffusions clandestines, sociétés secrètes, cercles comme celui de Stankevitch où l’on étudie les philosophes idéalistes allemands, sont en train de naître partout au Cameroun. Nous sommes convaincus qu’à force de vouloir opprimer et compresser la pensée, elle va se frayer une voie appelée révolte.
Aimé Mathurin Moussy
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