Ce n’est pas en France qu’on verrait une chose pareille !
Inondations catastrophiques au Brésil. L’épisode passerait inaperçu si on ne lisait pas des commentaires superflus. Vu de France, il est facile de voir ce qui ne va pas ailleurs. Quitte à s’aveugler sur la réactivité nationale en cas de catastrophe naturelle...

Jean-Pierre Langellier n’en est pas à son coup d’essai. Lors des inondations de Rio au printemps, il a couvert pour Le Monde cette catastrophe, presque au jour le jour. L’impression qui se dégageait à l’époque était que le gouvernement brésilien découvrait les caractéristiques climatiques du continent. Pire, il laissait tomber les habitants d’une favela. Comme chacun ne le sait pas forcément, des habitations précaires non (ou mal) desservies par les services publics et installées sur des terrains lointains, pollués et/ou dangereux constituent un bidonville. Chacun des adjectifs précédents convient pour le qualifier. Ils peuvent converger, comme dans le cas de cette inondation spectaculaire autour du stade de Maracana. Qu’un quartier délaissé le soit d’autant plus que les eaux de ruissellement envahissent tout n’étonne pas grand monde. Sauf Jean-Pierre Langellier, apparemment. Que font les responsables politiques ? S’interroge-t-il, reprenant les attendus du procès monté par la presse locale.
Face au parti pris d’un correspondant installé sur place, un journal garde la possibilité de rester neutre, en particulier au moment de la rédaction du titre d’un article. Ce jeudi 1er juillet, le lecteur du Monde méditera pourtant sur cette accroche qui – je l’espère en tout cas – ne doit rien au journaliste lui-même. Elle s’explique en revanche par une équipe qui dans le confort du siège parisien cherche à attirer l’attention. « Au Brésil, la prévention des catastrophes naturelles reste largement défaillante. » Entre le 20 et le 23 juin, des pluies diluviennes ont déclenché le chaos dans le Nordeste [L’Express (photo)]. Une centaine de personnes sont mortes, pour moitié disparues. On dénombrerait 300.000 sinistrés, et des dégâts matériels considérables : 30.000 habitations, 140 ponts, sans compter les routes coupées. On déplore donc une catastrophe habituelle dans cette partie du Brésil depuis toujours frappée par le malheur, dans ce bout du monde décrit il y a près de trente ans par Mario Vargas Llosa.
Dans La guerre de la fin du monde (1982), il raconte l’absence de réforme agraire, la paysannerie pauvre et sans terres, le poids des oligarques de Recife et des grands propriétaires. Il décrit la végétation xérophyle de la Caatinga constituée d’arbres maigres et de buissons épineux, le soleil écrasant une terre ne permettant pas à ses enfants de vivre décemment. Les hommes brûlent, souffrent et meurent en silence. Un prophète promet cependant une rédemption, l’accès au paradis sur terre, tel un apôtre exilé de Terre sainte. Plus il séduit les foules de miséreux, plus on cherche à l’isoler. Il finit entouré par une armée de soldats désincarnés et fanatiques. On ne sait pour finir qui de la nature ou des hommes atteint le plus haut niveau de violence.
C’est donc dans ce Nordeste qu’ont eu lieu les inondations de la semaine dernière. En France, les tempêtes Klaus [Klaus a tempêté] et Xinthia [Communes-sous-mer] ont tout ravagé. A Gradignan, la Nartuby a débordé [Guigne à Draguignan]. Mais un organe de presse a-t-il demandé des comptes ? Le Monde a certes maladroitement tenté de replacer la catastrophe varoise dans son contexte. Il n’a pas mené bien loin son enquête auprès des administrés ayant choisi de construire en zone inondable. Evidemment (...), en Provence, les entorses aux droits de l’urbanisme restent rares (...). Il est aussi facile de trouver un exemple que pour un orpailleur de tomber sur une pépite (...). Autant que l’on sache, nul responsable politique français, local ou national n’a été entendu dans le cadre des catastrophes précédemment citées. Je serai personnellement le premier à les défendre si le cas se présentait, parce que l’assimilation entre responsable et coupable m’horripile. J’attends seulement une présentation des faits, qui renvoient les uns et les autres à leurs choix, une inondation dans une zone inondable. Mais la presse demande peu, et fait pleurer dans les chaumières sur les victimes.
Revenons au Nordeste brésilien et à Jean-Pierre Langellier. « Le bilan matériel et humain aurait pu être beaucoup moins lourd si les populations avaient été mieux préparées à affronter pareilles intempéries, d’une ampleur certes exceptionnelle, mais qui surviennent assez souvent dans cette région équatoriale. » Cette dernière précision n’est autre qu’une grosse bourde, je vais y revenir. Auparavant, l’affirmation précédente me fait sursauter. Ainsi triomphe le deux poids, deux mesures. En France, il faut accuser la fatalité, et au Brésil des responsables bien légers. « De manière plus générale, des spécialistes plaident pour une réorganisation de la défense civile, trop réactive et pas assez préventive. [...] L’imprévoyance accompagne et aggrave d’autres erreurs, administratives ou environnementales : trop d’habitations ont été construites au bord des cours d’eau ; les riverains arrachent la végétation qui pourrait les protéger des inondations ; la majorité des municipalités n’appliquent aucun plan d’occupation des sols. Mais, comme le souligne un éditorialiste de l’hebdomadaire Epoca, la prévention ne fait pas partie du discours politique, entièrement centré sur l’action immédiate, car elle ’ne rapporte pas de voix’. » Tout devient clair une fois franchi l’Atlantique. Je regrette l’absence de cette même impertinence dans les affaires françaises.
Jean-Pierre Langellier en appelle bien sûr au réchauffement climatique, aux stades de football qui coûtent trop cher, mais aussi à la politique locale (tous corrompus) et nationale : « Non seulement l’Etat fédéral n’a, cette année, débloqué qu’une faible partie (14 %) du budget alloué à la prévention des catastrophes. Mais la manière dont il l’a distribué semble hautement contestable. Selon l’ONG Contas Abertas, l’Etat de Bahia, moins exposé que ses deux voisins, a pourtant reçu 37 % de l’argent fédéral, contre seulement 9 % pour le Pernambouc et 0,3 % pour l’Alagoas. Ce budget était géré par Geddel Vieira Lima, jusqu’à récemment ministre de l’intégration nationale, actuel candidat au poste de gouverneur à Bahia, et apparemment expert en démagogie préélectorale. » Voilà que l’on glisse dans la simplification et la quête d’un bouc émissaire.
C’est sur la géographie physique que je voudrais conclure. Car les Etats du Pernambouc et de l’Alagoas ne sont pas caractérisés par un climat équatorial par définition stable, mais au contraire par un climat tropical à saison alternée. L’hiver commence tout juste dans l’hémisphère sud. Et les alizés chargés d’humidité rentrent à l’intérieur des terres. Les hauteurs dominant le bassin-versant du fleuve São Francisco, en particulier la Sierra do Araripe, de direction est-ouest, interceptent les masses d’air, entraînant de fortes précipitations sur ces reliefs et des écoulements de surface. Si le mécanisme revient chaque année, il peut prendre d’une fois sur l’autre des modalités différentes. Cette imprévisibilité tient à des facteurs de pression atmosphérique ou de température océanique. C’est précisément ce dernier point qui semble avoir joué... Les précédents records pluviométriques dataient d’un demi-siècle. Ils sont tombés. Mais encore ? Ces intempéries ont provoqué une catastrophe finalement assez banale.
Elle met douloureusement en valeur la déforestation, les pratiques agricoles, la répartition du foncier, ou encore le développement inconsidéré des infrastructures... Jean-Pierre Langellier parle de radars et de satellites inexistants, de surveillance insuffisante. J’allais oublier. Dans l’Etat d’Alagoas, à mille huit cents kilomètres de Rio – plus qu’entre Paris et Alger – le journaliste sermonne. « Mais nombre de villes, notamment les plus vulnérables, n’y possèdent pas de défense civile, le réseau d’alerte et d’assistance aux populations en péril. Des dizaines de milliers d’habitants n’ont donc pu être secourus à temps. De manière plus générale, des spécialistes plaident pour une réorganisation de la défense civile, trop réactive et pas assez préventive. »
Ce n’est pas en France qu’on verrait une chose pareille...
PS./ Geographedumonde sur le Brésil : Ne pas confondre football - spectacle et catastrophe à l’heure de pointe. (Des inondations dans les bidonvilles de Rio de Janeiro)
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