Ceuta et Melilla, deux cimeterres à double tranchant
La visite officielle que rendent cette semaine le roi d’Espagne, Juan Carlos 1er, et la reine Sophie à Ceuta et Melilla, deux enclaves espagnoles situées sur le littoral méditerranéen du Maroc où vivent actuellement un peu moins de deux cents mille habitants, prend le caractère d’un événement historique. En effet, c’est la première fois que les souverains manifestent par leur présence depuis le début de leur règne le caractère hispanique de ces deux enclaves pluri-centenaires.
L’une et l’autre, comme l’Andalousie, ont une histoire musulmane dont on trouve les origines aux début du second millénaire.
Melilla, en 927, dépendait de l’Emirat de Cordoue, puis, fut successivement dominée par les dynasties maroco-musulmanes des Almoravides (1079), Almohades (1141), Mérinides Wattassides (1497), avant d’être prise par les Espagnols, quatre années après l’évacuation de Grenade par le sultan Boabdil.
Ceuta demeura plus longtemps sous la coupe des dynasties marocaines. Mais elle a été conquise en 1415 par Henri le Navigateur au nom du roi du Portugal, puis passée à l’Espagne en 1668. Elle subit un quart de siècle plus tard, un siège maintenu sans succès pendant 30 ans, de 1694 à 1724, par Moulay Ismaïl et par la suite, en dépit de nombreuses péripéties, demeura espagnole jusqu’à nos jours.
En raison de leur situation ultramarine les Espagnols de ces deux cités autonomes sont farouchement nationalistes.
Depuis des décennies, l’Espagne officielle et monarchique et celle du peuple n’avaient pas réaffirmé ainsi, avec leur orgueil ibérique, leur souveraineté et les droits qu’elles estimèrent exercer sur ces deux minuscules satellites tombés à dix lieues de l’Andalousie, par les hasards de l’histoire et le sort des armes à territoires.
Sur le plan intérieur et provincial ce sont deux journées de liesse auxquelles le roi et la reine d’Espagne ont participé, prouvant ainsi qu’au moins dans ces autonomies lointaines, il y a encore des citoyens pour les respecter et leur manifester leur attachement. Ce pourrait être, au mieux, une bonne leçon donnée à l’intention de tous les sceptiques, républicains ou indépendantistes du royaume, dont les attitudes, les offenses commises au cours des mois derniers ont pu faire croire, à tort ou à raison, qu’un système qui, il y a trente-deux ans a sauvé l’Espagne d’une récurrente anarchie, pouvait être mis en cause par des « juancarlistes, qui ne sont ni monarchistes ni philippistes ».
Les dizaines de milliers de petit drapeaux espagnols confectionnés pour ce « grand jour » ont été distribués à la foule et, comme de coutume, aux enfants des écoles. Fait remarquable, ces populations se sont comportées avec la naïveté de toutes celles qui, de 1912 jusqu’à 1956, avaient vécu dans le nord marocain hispanophone et dans le sud francophone jusqu’aux limites sahariennes de l’oued, en s’étant persuadées qu’elles allaient pouvoir vivre, pour toujours, dans le cadre d’un pays merveilleux et hospitalier qu’elles avaient cru être le leur.
Puis était arrivé le jour de l’indépendance, précédant le retour du sultan Mohammed ben Youssef, devenu roi, sous le nom de Mohammed V en présence de plus d’un million de Marocains à Rabat.
Les régimes de protectorat français et espagnol avaient été abrogés, tout le Maroc avait retrouvé sa liberté nationale. Le régime international de Tanger avait été abrogé en 1957. Tout le pays était devenu indépendant... sauf dans deux villes qu’on appelait de « praesides » en espagnol, des villes où tout le monde, y compris « los moros » comme on disait, ne parlait qu’espagnol.
Rien n’avait bougé. De l’autre côté du détroit sur le cône granitique du rocher de Gibraltar flottait toujours l’Union Jack, tous les matins avait lieu devant le palais du gouverneur la relève de la garde royale. Sur les pentes du rocher virevoltaient, « thank God », les singes gris venus il y a des siècles des montagnes de l’autre côté du détroit. Pour l’heure, on était tranquille car la légende affirmait que Gibraltar cesserait d’être britannique le jour où ces primates auraient disparu. Ils étaient toujours là et, au besoin, on renforcerait leurs effectifs en favorisant l’immigration d’individus venus d’Afrique. Pourtant, l’Espagne encore franquiste briguait cette partie perdue du royaume dont elle avait été séparée depuis 1702 par les traités d’Utrecht, par de hautes grilles que les touristes franchissaient au prix de parfois longues formalités administratives. Depuis, à la suite d’un référendum, cette ville de banquiers, de marins de la Reine et de militaires, possède son propre système politique autonome.
La longueur de temps n’ayant rien fait à l’affaire, leurs voisins immédiats, monarchiques, ultra-nationalistes comme eux, et pleins de rancœur pour la perte de jadis, de ces deux bastions hispanophone et berbérophone dont la fidélité aux dynasties maghrébines les plus contemporaines est encore à démontrer.
De la même manière que le roi Hassan, ayant lancé du 5 au 9 novembre 1975 ses 350 000 sujets de la « Marche verte », a pu reconquérir, et en tout cas faire état de sa volonté de reconquérir le Sahara occidental, au prix d’une guerre qui lui a coûté - avec la participation de l’Arabie Saoudite - des millions de dollars contre les « nationalistes sahariens » du Polisario, aidés par l’Algérie.
La monarchie marocaine a lancé récemment le projet pharaonique d’aménagement de Tanger, ses ports, en espérant livrer au tourisme international les rivages occidentaux qui bornent le massif du Rif.
Le moment est-il venu pour Rabat de réclamer et de réoccuper les côtes orientales de ce grand massif montagneux du nord marocain ?
Si cela était la cas, on pourrait se demander ce qui a pu pousser à un moment aussi inopportun le Premier ministre Zapatero à conseiller aux souverains espagnols d’aller risquer leur vie et leur prestige dans ces deux villes, les jours mêmes d’anniversaire de la « Marche verte ».
17 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON