Conférence de Rabat sur l’immigration : étalage de maux pour ne rien dire
58 pays se sont réunis dernièrement à Rabat durant trois jours pour parler d’immigration illégale... soit 30 Etats européens (25 pays membres de l’UE, ainsi que l’Islande,
De ce fait, la composition à la fois massive et parcellaire de cette conférence est à elle seule plus significative que les discours convenus des parties concernées : ce qui pose problème aujourd’hui à l’Europe, c’est l’Afrique (blanche ou noire). Pour le reste du monde, on verra plus tard... A noter l’absence de
Croire que l’émigration africaine est essentiellement motivée par des nécessités économiques est une erreur grossière, et revient à ne prendre en compte que la masse émergée de l’iceberg, c’est-à-dire les pauvres hères qui, après des mois, voire des années de dérives, s’entassent à Tanger, Sebta et Melilla, ou qui tentent leur chance sur la côte africaine pour atteindre les Canaries (sans oublier ce qui se passe du côté de Tunis, Bizerte ou Tripoli). Et c’est taire une réalité plus douloureuse encore pour les pays de départ : à savoir qu’une part de plus en plus importante de leurs classes moyennes - ou supposées telles - est désormais candidate à l’exil. Bien sûr, ceux qui, au péril de leur vie, s’embarquent sur des pateras du côté de Nouadhibou ou de Dakhla n’ont pas grand-chose de personnel à perdre, et ils portent généralement l’espoir d’améliorer le sort de toute une famille ou d’un clan. Il en va de même pour les jeunes garçons qui hantent les abords des ports de Tanger ou de Nador avec l’espoir de se cacher entre deux containers et pour ceux qui, acrobatiquement, cherchent à se glisser sous les bâches des poids lourds ralentis par les encombrements sur l’autoroute traversant Casablanca. Mais considérer que l’immigration n’est le fait que ces desperados, c’est oublier la masse de plus en plus importante des cadres, médecins, professeurs, comptables, infirmiers, qui cherchent à échapper à une impression d’asphyxie personnelle et n’ont de perspective de vie que celle d’un ailleurs, quel qu’il soit.
Nombre de candidats à l’émigration fuient désormais des systèmes culturels archaïques qui ne leur donnent que peu de chances de s’épanouir. Dans trop de pays africains, hommes et femmes restent confinés à leur simple rôle de reproducteurs et d’outils de production. Elevés depuis l’enfance dans l’optique d’une procréation sacralisée par des lois et des textes « divins » (le mariage étant le but principal de la vie), ils réalisent de plus en plus cruellement que ce code de conduite leur vole une bonne partie de leur jeunesse, l’essentiel de leur parcours d’adultes, et qu’il les accompagne inexorablement à des résignations de plus en plus amères, quand le reste du monde profite, de façon plus ou moins agréable, d’une vie ouverte sur le monde et sa complexité. La société se coupant insidieusement en deux, avec, d’un côté, ceux qui ne songent qu’à fuir (et ne peuvent en parler ouvertement, de peur de passer pour des traîtres) et, d’un autre, ceux qui, n’ayant à leur disposition qu’une revendication identitaire souvent mal étayée, se réfugient dans des valeurs morales d’un autre temps et, de ce fait, encouragent l’envie de fuir chez ceux qui auraient à subir les effets les plus néfastes de cette morale inquisitoriale...
Ce déphasage culturel est à comparer à celui que l’Europe occidentale a connu au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Car, contrairement aux importants déplacements de population qui avaient suivi la mise en route de la société industrielle au XIXème siècle, l’exode rural qui a bouleversé
L’Afrique est désespérément bloquée sous le poids de traditions qui étouffent toute possibilité de changement consistant et, devant ces blocages de plus en plus criants, elle n’a souvent à sa disposition que le discours de ceux qui cherchent à rajouter encore plus de traditions à la lourdeur du passé. Pesanteur de la famille, du clan, des chefferies. Enchaînement au tribalisme et aux castes sociales. Foi dans les temps anciens. Pouvoir des « vieux sages ». Administrations favorisant le népotisme.
Souvenons-nous de Tombouctou longtemps considérée dans l’imaginaire des Européens comme une ville fastueuse, et qui n’était en fait qu’une vulgaire bourgade de terre sèche. Ne rêvons pas d’une Afrique utopique, siège de nos phantasmes et de nos compassions spasmodiques. Les maux de l’Afrique d’aujourd’hui sont entretenus de façon exponentielle par le poids irraisonné des traditions (au premier rang desquelles la religion) et par la surpopulation sur des zones sans espoir de développement. Croit-on sérieusement que le rêve d’un jeune africain du XXIe siècle soit de continuer de traire des vaches faméliques entre deux buissons d’épineux ou de faire pousser quelques plans de sorgho dans la poussière ? Croit-on qu’on va encore pouvoir faire broder aux femmes du Sahel pendant des décennies des napperons ou des dessous de verre dont personne ne veut ? Les filles qui draguent sur le Net, prêtes à partir avec n’importe quel Européen, même de l’âge de leur grand-père, pensent, avant tout autre considération, qu’elles seront davantage respectées en Europe que dans leur environnement d’origine, qu’elles y auront une vie plus épanouissante et plus personnelle, et qu’elles n’y seront pas simplement considérées comme des génitrices. Elles n’aspirent pas seulement à faire bouillir la marmite, elles cherchent un autre mode de vie.
C’est pourquoi les solutions avancées à la Conférence de Rabat ont tout du cautère sur une jambe de bois. Les milliards d’euros envoyés au bled par les populations immigrées dormiront encore longtemps dans des banques locales, où s’affichent des marges bénéficiaires parmi les plus fortes de la planète, ou bien ils seront aspirés par des circuits financiers opaques, qui servent à étendre des parcs immobiliers ne répondant à aucun des besoins des pays concernés. Pas le moindre mécanisme de canalisation de cette masse financière n’a été proposé à Rabat. Alors, parler de co-développement et de micro-crédits a de quoi laisser rêveur. Déjà, dans les années 1960, René Dumont diagnostiquait que le plus grand danger qui guettait l’Afrique était celui de la surpopulation. Lors de son intervention télévisée du 14 juillet, Chirac nous a menacés d’une Afrique de deux milliards d’individus dans moins de deux générations, c’est-à-dire après-demain... Ça va faire quand même un paquet de micro-crédits à distribuer...
Quant au co-développement, afin d’éviter l’évaporation subreptice des capitaux mis en œuvre pour garantir à l’Europe un semblant de tranquillité et de bonne conscience, il ne pourrait être envisagé sérieusement qu’au moyen d’une co-gestion impitoyable des administrations locales et internationales concernées... Autant dire qu’en dehors de quelques réalisations plus ou moins emblématiques, qui serviront de bannières pour les prochaines grand-messes censées magnifier une coopération Nord-Sud dont on parle depuis bientôt cinquante ans, il ne verra jamais le jour. Le devoir d’ingérence s’arrête au seuil des banques.
Dernier point, qui n’a pas été abordé à la Conférence de Rabat : la place de plus en plus importante de
L’Europe s’est construite en quelques décennies sur une répartition voulue par des Etats souverains des principaux secteurs économiques du continent. Aujourd’hui, la mondialisation l’oblige à redistribuer quelques cartes en abandonnant à
Patrick Adam
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