Contrepoint
Tentant d’engager une réflexion prospective sur l’avenir du Moyen-Orient et d’explorer les scénarios possibles induits par la conjugaison de sa dynamique interne et des réactions volontaires, spontanées ou désespérées de ses acteurs, à la suite de l’épreuve de la Guerre d’Irak, le professeur Chater se propose de dégager les conséquences de l’enchaînement des faits qui se sont produits dans l’aire arabe. Son balisage du terrain montre désormais l’existence de trois grands pôles de tension, de trois foyers éventuels de guerre civile (l’Irak, le Liban et la Palestine), menaçant l’ensemble de l’aire d’instabilité, et de scénarios catastrophiques, à moins de subir un traitement adéquat, par un retour de la lucidité.
Contrepoint
Une nouvelle donne au Moyen-Orient !
Professeur Khalifa Chater
Peut-on engager une réflexion prospective sur l’avenir du Moyen-Orient ? Peut-on explorer les scénarios possibles induits par la conjugaison de sa dynamique interne et des réactions volontaires, spontanées ou désespérées de ses acteurs, à la suite de l’épreuve de la guerre d’Irak ? Toute procédure de prédiction sinon de planification stratégique sont, certes, hors de question. Mais l’étude du cheminement des faits et la mise en valeur de la cohérence du processus mis en œuvre permettraient peut-être d’envisager les effets qui peuvent se produire dans le futur et les mutations conséquentes. Tout scénario traduit, d’après notre hypothèse de travail, la résultante de l’enchaînement logique des faits et leurs effets prospectifs globaux et nécessairement interactifs. Ce qui implique l’étude du jeu des acteurs sur la scène politique, les réactions, les contrecoups et les ressentiments qu’ils produisent, affectant les visions générales, les options politiques, les références identitaires et/ou religieuses et tout ce qui concerne l’imaginaire dont le rôle essentiel dans la prise de décision ne doit guère être sous-estimée. De ce point de vue, le traumatisme arabe et la colère qu’il nourrit interviennent nécessairement dans la construction du futur du Moyen-Orient, ne serait-ce par réaction aux acteurs hégémoniques.
Nous excluons, dans notre analyse, les effets d’annonce et les slogans. En effet, la praxis plus que le discours qui tente de la légitimer permet de dégager des repères significatifs, pour identifier les nouveaux enjeux, les défis et les opportunités et d’envisager quelques perspectives d’avenir, à défaut d’une vision prospective aléatoire, dans notre monde postmoderne où le devenir géopolitique ne peut être qu’incertain. Le balisage du terrain montre désormais l’existence de trois grands pôles de tension, de trois foyers éventuels de guerre civile, menaçant l’ensemble de l’aire d’instabilité, et de scénarios catastrophiques, à moins de subir un traitement adéquat, par un retour de la lucidité.
Au bord de la guerre civile. L’ère post-Guerre froide, qui coïncide comme par hasard, avec l’entrée du Moyen-Orient dans la tourmente, a redessiné sa carte géostratégique, multiplié ses foyers de tension, fragilisé ses pôles de stabilité et remis en cause le consensus de coexistence de ses dirigeants. Trois graves situations d’impasse, susceptibles de mettre à l’ordre du jour des guerres civiles, marquent actuellement le paysage moyen-oriental. L’actualité ajoute à l’Irak, où l’ancienne puissance régionale est déchirée par des rivalités religieuses, et des conflits ethniques, qui se développent à la faveur de la grande discorde politique que les observateurs tentent d’occulter, la Palestine et le Liban. En Palestine, l’absence d’espoir, le reniement des accords d’Oslo et la montée des périls ont favorisé la victoire électorale de Hamas, aux dépens du consensus fondateur de l’OLP. Les escarmouches entre les milices du Fatah et de Hamas - produits de la conjoncture de désespoir - mettent le feu aux poudres. La mise en échec de la tentative de former un gouvernement d’union nationale, pour constituer « un interlocuteur fréquentable » à la communauté internationale limite la marge de manœuvre de négociation. Désoeuvrement, misère, absence d’horizon, point de perspective, sinon la guerre civile et les solutions jusqu’au boutistes, désastreuses pour tous. Au Liban, la désunion illustrée par le retrait des ministres de Hizballah, du gouvernement d’union et la descente des partisans de ce parti dans les arènes, pour exiger la démission du gouvernement Signora, annonce le retour à la guerre civile, avec ses implications régionales évidentes. Même scénario ou presque de dichotomie du pouvoir, en Palestine et au Liban, où l’opposition entre la présidence de la République et le gouvernement traduit la fracture politique. Le fait est plus atténué en Irak, bien que le président soit kurde et le gouvernement arabe majoritairement. Equilibre instable, comment envisager une sortie de crises ?
Un nécessaire enchaînement de solutions. Je sous-dimensionne dans mon diagnostic ce qu’on a appelé l’émergence d’un croissant chïte, remettant en cause les establishments sunnites qui prédominaient au Moyen-Orient. Certes, les chïtes irakiens qui avaient une revanche à prendre, sont confortés par le soutien du grand frère iranien. Mais la question des sectes et des ethnies en Irak s’est posée dans le cadre d’un repositionnement des forces, lors de la disparition du pouvoir central laïque. Le vide politique et idéologique a été naturellement comblé et compensé par les affirmations identitaires religieuses ou ethniques. En Syrie et au Liban, le fait chïte a conforté des alignements bel et bien idéologiques. En Palestine, Hamas d’obédience sunnite bénéficie du soutien de l’Iran, qui s’inscrit dans l’aire affective arabe, en faisant valoir sa position palestinienne et en exploitant les ressentiments arabes.
De ce fait, les principaux acteurs sur la scène de la contestation arabe sont l’Iran et la Syrie, en relation conflictuelle avec les USA. Peut-on parler, dans le cas du Liban, d’une « manière de surenchère de la Syrie, avant d’éventuelles conversations avec Washington[1] » ? Sans exclure les opérations de démonstration des forces, qui ont lieu sur les terrains de luttes, de la carte géopolitique moyen-orientale, nous ne partageons pas cette vision réductrice d’une réalité complexe. Trop de points de désaccords, de frictions, d’un contentieux historique séparent les acteurs et tracent une ligne de démarcation, confortée, il est vrai, par le soutien des alliés extérieurs, l’Iran et la Syrie pour les partisans de Hizballah et les Etats-Unis, la France et éventuellement certains régimes arabes, pour le gouvernement en place. L’intervention extérieure a sûrement exaspéré les conflits ; mais elle a profité de l’existence d’un terrain miné, pour réaliser la discorde. La pacification des relations et la neutralisation des intervenants externes, qui supposent l’engagement d’un dialogue réussi entre les Etats-Unis, l’Iran et la Syrie, pourraient faciliter la reconstruction d’un consensus nationaliste libanais.
Un tel dialogue international permettrait de fonder les bases d’un accord, assurant le gouvernement irakien de son soutien, l’encourageant à mettre au point une politique de concorde, de rassemblement et de reconstruction de l’unité nationale. In fine, l’assainissement de l’ensemble de l’aire suppose impérativement le règlement de la question palestinienne, par l’application autoritaire des décisions de l’ONU. La fin des ressentiments mettra en échec les dérives extrémistes, nostalgiques, jusqu’au-boutistes, au profit de tous les habitants de la région. Mais nous n’en sommes pas là, hélas !
Un devenir incertain. La victoire des démocrates aux élections américaines du 7 novembre 2006 permet d’espérer un changement de la donne, facilitant un désengagement américain, à plus ou moins brève échéance, en Irak. Mais trop d’intérêts américains sont désormais en jeu. Bornons-nous à citer la maîtrise énergétique, l’ouverture du grand marché du Moyen-Orient, la défense des privilèges des alliés. Démocrates et républicains restent nécessairement solidaires pour défendre les acquis d’une guerre qu’ils approuvent ou désapprouvent. Pouvaient-ils se libérer de cette pesanteur pour retrouver les intérêts d’une gestion apaisée, de relations équilibrées, d’une libre concurrence à l’échelle de l’ensemble d’un Moyen-Orient, réconcilié avec ses différentes composantes ? Est-ce qu’une hyperpuissance peut craindre la concurrence de puissances régionales économiques, politiques ou intellectuelles ! Dans cette ère de la fin des idéologies, dans cette économie monde, seule compte la compétition des innovations, des services et des produits.
En l’absence de perspective politique courageuse et ambitieuse, les pôles de tension ne peuvent que croître dangereusement, engageant les guerres civiles, l’anarchie, la guerre des ethnies, des religions et des civilisations. Sachons redimensionner ses ennemis, en lui offrant des opportunités d’accords, en tentant de comprendre ses enjeux, ses défis,en explicitant les mobiles de son action et les mécanismes de son discours. Après les débâcles de la guerre préventive, remettons à l’ordre du jour la négociation préventive, dans le cadre d’un préalable de compréhension, sinon de confiance. Cela est valable pour tous les acteurs au Moyen-Orient.
[1] - Voir Philippe Thureau-Dangin, « La nouvelle donne », Courrier international, 16 - 22 novembre 2006,éditorial.
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