Côte d’Ivoire : Le jeu de la « comédie internationale »
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Depuis quelques semaines, la Côte d’Ivoire vit une situation politique préoccupante, instable et dangereuse, consécutive à l’organisation d’élections ayant dû conduire à la désignation par le peuple ivoirien souverain du président de la République de Côte d’Ivoire.
Si la communauté internationale semble unanime pour reconnaître la victoire de Mr Alassane Ouattara, le peuple ivoirien pour sa part parait très divisé, plus divisé que jamais entre les partisans du président proclamé par la commission nationale électorale indépendante (Mr Alassane Ouattara) et celui déclaré par le conseil constitutionnel de Côte d’Ivoire (Mr Laurent Gbagbo).
L’arbitrage de cette situation inédite semble très difficile.
La principale faute de Mr Laurent Gbagbo est d’avoir empêché ou tenté d’empêcher la commission électorale nationale indépendante de publier les résultats de l’élection avant de formuler ses recours auprès des instances compétentes pour faire observer fraudes et irrégularités dans le déroulement du vote.
En empêchant la proclamation des résultats par la commission électorale nationale indépendante, Mr Laurent Gbagbo a porté par là même une atteinte au processus électoral.
Quant à Mr Alassane Ouattara, en considérant les résultats de la commission électorale nationale indépendante comme l’aboutissement du processus électoral et en accusant d’emblée le conseil constitutionnel de partialité dans l’examen des recours probables portés par le candidat Laurent Gbagbo, Mr Alassane Ouattara a porté atteinte à l’objectivité et à l’indépendance des institutions en place en Côte d’Ivoire, lesquelles avaient pourtant démocratiquement accompagné le processus électoral en cours dans ce pays.
Ce même discours accusatoire de manque d’indépendance du conseil constitutionnel qui serait entièrement acquis à la cause de Mr Laurent Gbagbo a été repris en chœur par la communauté internationale, notamment la France, l’Union Européenne, les USA, l’ONU.
Comment devrions-nous observer les prises de position de la communauté internationale dans la crise actuelle en Côte d’Ivoire ?
1- Papa a dit : « Gbagbo doit partir »
L’intervention du président Sarkozy faisant un ultimatum à Mr Laurent Gbagbo de quitter le pouvoir avant la fin de la semaine dernière était pour le moins paternaliste, maladroite et mal reçue par ceux qui militent pour rompre ce lien d’ordre de la France à l’Afrique ou de sujétion de l’Afrique envers l’ex puissance coloniale.
On se rappellera que malgré les promesses faites par le candidat Sarkozy de changer les rapports de l’ex puissance coloniale avec les Etats africains (en gros sortir de la Françafrique), nous avons assisté à un renoncement regrettable à cette ambition, renoncement commandé, nous dit-on, par les pressions diverses, le réalisme des affaires, la préservation des intérêts français qui passe davantage par une coopération avec des dictateurs que par l’institution de gouvernements responsables et démocratiques…Voilà l’état actuel de la situation politique entre la France et l’Afrique.
Dès lors aucune voix politique française ne saurait être légitimement entendue par les peuples africains (surtout lorsqu’il s’agit simplement d’obéir aux ordres ou aux ultimatums de « papa ») tant que ne pointera pas à l’horizon un véritable changement global de politique française en Afrique.
Pour porter un message audible, la France doit définir une nouvelle jurisprudence dans ses relations avec les dirigeants africains et non avoir une politique à géométrie variable selon qu’il s’agisse de régler le problème de l’insoumission de Mr Laurent Gbagbo aux ordres de la métropole ou du maintien coûte que coûte au pouvoir de certains dirigeants dont la longévité est incompatible avec tout exercice sérieux du pouvoir ; voire le soutien aux fils d’anciens dictateurs pour assurer la continuité des rapports actuels de coopération entre la France et ces pays.
Sans une nouvelle jurisprudence, sans un nouveau discours, sans une nouvelle politique œuvrant pour le développement, la transparence et la responsabilité, l’intervention de la France en Côte d’Ivoire restera illégitime et inaudible comme elle le sera partout ailleurs en Afrique.
2- L’administration Obama ou les espoirs déçus !
L’administration Obama ne bénéficie pas à ce jour d’une crédibilité suffisante en Afrique. Les promesses faites par le président Barack Obama n’ont pas été suivies d’actions efficaces sur le terrain pour impulser un changement dans la gouvernance des Etats africains.
Les USA, tout comme la France, ont assisté passivement à la parodie électorale gabonaise, aux élections douteuses en République du Congo, aux gesticulations de Mr Paul Biya pour se maintenir au pouvoir au Cameroun, à la mise à l’écart de Mr Kofi Yamgnane du processus électoral au Togo etc.
La plupart des dirigeants africains ont maintenu leurs relations avec les USA, nonobstant le manque de transparence dans la gouvernance de leurs Etats.
Il serait peut-être intéressant d’entrevoir l’amorce d’une exigence de gouvernance démocratique dans la prise de position des USA en Côte d’Ivoire, mais c’est une intervention qui souffre de son retard et d’un manque véritable d’engagement et d’implication de l’administration Obama en Afrique.
3- Le manque de crédibilité des organisations régionales et internationales
Pour ce qui est de la CEDEAO ou de l’Union Africaine, il reste difficile de donner quelque crédit à une majorité de dirigeants composant lesdites communautés. Que vaut aujourd’hui la voix d’un président gabonais, nigérian, togolais, camerounais…pour donner des leçons à la Côte d’Ivoire ?
La voix de l’ONU est elle aussi viciée par la très grande variabilité de sa propre jurisprudence internationale. Elle n’a de force que celle dictée par les membres du conseil de sécurité, qui eux défendent d’avantage leurs intérêts que ceux du reste de la communauté internationale.
Il subsiste donc à ce jour de sérieux doutes sur l’objectivité et la sincérité de la communauté internationale à s’impliquer pour le changement des systèmes de gouvernement et le développement en Afrique.
Une acceptation de son rôle en Côte d’Ivoire ne saurait s’accepter que si elle annonce une volonté de faire échec au désordre et aux dictatures, pour préserver et faire valoir les intérêts des peuples africains d’abord avant toute autre préoccupation.
Sur les dix dernières années il y a eu de nombreuses échéances électorales en Afrique qui ont abouti à une véritable prostitution des processus électoraux conduisant au maintien des dictateurs ou à la transmission du pouvoir à leurs fils sans que l’intervention de la communauté internationale n’ait changé quoi que ce soit à ces processus.
Il serait temps d’organiser dans le cadre des Nations Unis et du G20 une véritable conférence internationale destinée à l’Afrique pour annoncer solennellement à l’endroit des dirigeants africains le rôle que la communauté internationale entend jouer pour promouvoir la bonne gouvernance, s’impliquer activement dans l’organisation d’élections transparentes et démocratiques afin d’amorcer et d’accompagner le développement nécessaire de ces pays et de leurs institutions.
Au lieu d’envoyer des émissaires douteux pour superviser les processus électoraux en Afrique, la communauté internationale gagnerait en crédibilité en envoyant des représentants de la société civile internationale, des associations et groupements luttant pour la transparence et le changement des systèmes de gouvernement en Afrique, en appuyant et en soutenant sans réserve l’action de ces derniers pour resserrer l’étau autour des dictateurs et autres usurpateurs de votes.
Dans le même ordre d’idées, la justice internationale devrait être compétente pour juger non seulement les génocides et autres exactions sur les populations mais aussi des détournements graves des richesses nationales et deniers publics au seul bénéfice des dirigeants et autres dictateurs.
Realchange
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