Côte d’ivoire : vous avez dit ingérence ?
Troisième et plus important volet d’articles sur la Côte d’Ivoire traitant de la problématique de l’ingérence dans les affaires intérieures de la Côte d’Ivoire. Cette problématique intéresse l’ensemble des pays africains car ce qui se passe en CI pourrait bientôt se produire dans d’autres pays...
Il est d'emblée suspect de voir cette communauté s'indigner alors même que d’autres chefs d’états africains ou asiatiques sont élus dans des conditions très « douteuses ». Pourquoi cette communauté serait plus crédible dans ses critiques en Côte d’Ivoire qu’ailleurs ?
La réponse à cette question est sans équivoque : l’occident/communauté internationale (ce slash est mis à escient), n’est pas plus crédible en CI qu’elle l’est en Egypte ou ailleurs quand elle se drape dans des vertus démocratiques. En effet, les pays occidentaux comme tous les pays du monde, ne défendent que leurs intérêts. Si Gbagbo arrangeait les intérêts de la France plus que Ouattara (la précision du « plus » est importante), il est fort probable que des hypothétiques condamnations françaises seraient moins fermes et que l’ONU aussi aurait eu un autre langage. Aussi, le clan LMP a raison de dire que n’eut été le soutien de l’occident à Ouattara dans cette période post électorale, il n’y aurait pas une crise de cette ampleur en CI.
Néanmoins il faut savoir garder son bon sens et son sang froid en évitant de jeter le bébé avec l’eau du bain : ce n’est pas parce qu’un menteur invétéré crie « au feu » qu’il n’y a forcément pas d’incendie. La question ici n’est pas de savoir si l’occident est crédible en accusant Gbagbo de fossoyer la démocratie, mais plutôt de se demander si ce que l’occident dit est vrai ou non dans ce cas précis. Comme le dit l’adage, il faut prendre ce qui est bon chez son voisin et laisser ce qui est mauvais. Pour avoir des éléments de réponse à cette question, le lecteur pourra lire l'article "Ouattara est-il légitime ?".
L'ONUCI est la cause du raidissement de Gbagbo ! Sans l'ONUCI et l’occident Gbagbo aurait rendu tranquillement le pouvoir et aurait appelé Ouattara pour le féliciter. Pourquoi l’occident veut-elle « nommer » le président d’un pays souverain ?
Nul ne peut savoir ce qui serait advenu si l’ONUCI n’avait pas certifié uniquement les résultats de la CEI. Par contre ce qui est sûr c’est que l’ONUCI était dans son droit de déclarer que les résultats tels que proclamés par le CC ne correspondent pas au faits (faits selon l'ONUCI), que les faits donnent ADO vainqueur et que les seuls résultats que l’ONUCI pouvait certifier étaient ceux de la CEI.
Egalement, ce que certains partisans de Gbagbo négligent ou oublient c’est que la reconnaissance d’un pays et/ou d’un président par les pays étrangers ou les institutions internationales ne se décide pas dans le pays ou par le président en question. Ce sont les autres pays qui décident de vous reconnaitre ou non, pour reprendre un mot à la mode sur les bords de la lagune Ebrié : ce sont des décisions « souveraines » des autres pays. Il n’y a qu’à prendre le cas d’école de Taiwan. Pendant des années le président de Taiwan siégeait à l’ONU comme représentant la Chine. Aujourd’hui c’est Pékin qui siège à l’ONU même si certains pays reconnaissent Taiwan et d’autres la Chine continentale. D’autres exemples similaires (sans être identiques) existent de par le monde (Palestine, Sahara Occidental, Somaliland). L’ONU et tous les pays du monde reconnaissent qui ils veulent. C’est à ces pays et ces présidents qui veulent être reconnus de faire des efforts pour l’être et non l’inverse.
Ainsi, si Gbagbo veut être "nommé" par la Communauté internationale il faut qu'il se trouve des soutiens forts (Russie et Chine) car c'est comme celà que les relations internationales fonctionnent.
Est-ce que l’occident/l’ONU s’ingère dans les affaires intérieures de la Côte d’Ivoire ?
Il convient de définir ce qu’on appelle ingérence avant de pouvoir répondre à cette question car si la reconnaissance d’un président est de l’ingérence, alors l’occident s’ingère dans les affaires intérieures de tous les pays du monde et les pays africains s’ingèrent dans les affaires de l’occident aussi.
Par contre si l’ingérence c’est l'intervention dans les affaires d’un état, sans son consentement et en violant sa souveraineté, plusieurs interprétations sont possibles, quand bien même en se concentrant sur les deux mots clés de cette définition nous pouvons démêler la situation :
a. Le premier et plus important mot clé est le consentement. Le sens de ce mot est clair et n’a pas besoin d’être défini ici.
Dans le cas ivoirien, la question est : qui a le pouvoir de donner le consentement, par exemple, pour que l’ONUCI reste en Côte d’Ivoire ? La réponse est sans équivoque : le gouvernement reconnu par l’ONU. En passant, on comprend pourquoi la Palestine se bat pour être reconnue par l’ONU où pourquoi Taiwan déverse des millions de dollars sur les rares pays africains qui le reconnaissent.
b. Le deuxième mot clé est la souveraineté, qui peut être défini comme le droit exclusif d'exercer l'autorité politique (législative, judiciaire et/ou exécutive) sur une zone géographique. Ici aussi, dans le cas ivoirien, la question est par exemple de savoir si l’ONUCI est entrain d’exercer une autorité politique en Côte d’Ivoire ? La réponse est oui. Pour prendre un exemple : l’ONUCI a des policiers dans le pays en ce moment. Egalement, en cas de crimes graves, la Cour Pénale Internationale pourra intervenir et exercer un pouvoir judiciaire en Côte d’Ivoire.
Ces deux explications permettent de mieux comprendre les termes employés et de répondre par la négative à la question de savoir si l’ONU/l’occident s’ingère dans les affaires de la Côte d’Ivoire.
En effet, les actes posés par l’ONUCI et éventuellement par la CPI ne sont pas de l’ingérence car elles sont acceptées par le gouvernement ivoirien du fait de l’adhésion de la Côte d’Ivoire à la Charte de l’ONU (et donc aux résolutions du Conseil de Sécurité) et au Statut de Rome (et donc aux décisions de la CPI) quand bien même elles violent la souveraineté de la Côte d’Ivoire. Violation de souveraineté et ingérence sont des termes voisins mais différents.
Il y a un complot international contre la Côte d’ivoire, voire une recolonisation. La souveraineté de la Côte d’Ivoire est-elle violée ?
La réponse à cette question est sans conteste « oui ». Mais cette violation n’est pas en elle-même le problème car elle a été consentie par la Côte d’Ivoire. La souveraineté de tous les pays du monde est d’ailleurs violée à un niveau ou un autre. Cependant, les états ont le droit d’y consentir ou non. C’est pourquoi par exemple Israël refuse d’appliquer les résolutions (autorité législative) de l’ONU lui demandant de revenir aux frontières de 1967. Le jour où la souveraineté de la Côte d’Ivoire sera violée par l’ONU sans le consentement du gouvernement de ce pays, à ce moment là il y aura un problème. C’est dans cette optique qu’il faut comprendre la décision du gouvernement Gbagbo de demander le départ de l’ONUCI.
Nous retombons cependant dans la problématique évoquée ci-dessus, les demandes du gouvernement Gbagbo doivent-elles être acceptées par l’ONU ? C’est en ce sens que Soro Guillaumen les qualifiait de « ridicules ». Ce n’est pas parce qu’Al Qaida demande le départ des troupes américaines d’Arabie Saoudite que cette violation de la souveraineté saoudienne est problématique.
La question qui a donc du sens est donc plutôt : y-a-t-il un complot contre la Côte d’Ivoire pour la recoloniser ? Bien évidemment ceux qui posent cette question sous entendent néo colonialisme, la France ne veut ni ne peut recoloniser comme en 1895 la Côte d’Ivoire. Donc y-a-t-il un complot contre la Côte d’Ivoire pour la dominer de manière indirecte (économiquement, culturellement). Mais avant de répondre à cette question, il convient de rappeller un cas d'école de relations internationale qu'est la relation américano-chinoise qui permet de mettre en exergue une théorie interessante de la paix internationale : le meilleur moyen de prévenir la guerre et donc de garantir le respect des intérêts de chaque pays est le commerce international.
Le paradoxe de cette relation (en la simplifiant beaucoup il est vrai) est que la Chine est le pays le plus dépendant économiquement des USA, mais est aussi le pays le plus indépendant des USA. En effet, en étant le créancier étatique numéro 1 des USA, la Chine en devient dépendante, mais peut également faire vaciller la solidité de l'économie américaine à tout moment. Dès lors, les USA ne peuvent exiger et obtenir de la Chine qu'elle dévalue le yuan, comme d'autres pays ont dû l'accepter sous d'autres cieux...
Autrement dit, le jeu des relations internationales est un jeu de qui dominera qui ? Chaque pays essayant de se renforcer tout en réduisant la menace étrangère.
Dès lors le problème ne doit pas être que la Côte d’Ivoire soit visée par un complot néocolonialiste, celà est avéré et la Côte d'Ivoire n'est pas la seule dans ce cas, mais plutôt que doit faire la Côte d’Ivoire pour réduire les effets négatifs du néocolonialisme. La stratégie chinoise n’est surement pas reproductible par la Côte d’ivoire, mais elle indique que l’indépendance ne passe pas forcément par la confrontation. Au contraire, l’histoire africaine et le bon sens montrent que l’opposition frontale d’un « petit » à un « grand » tourne rarement en faveur du premier. Rawlings du voisin Ghanéen l’a montré en rangeant sa rhétorique anticoloniale au profit d’un libéralisme intelligent et coopératif avec les institutions occidentales de Bretton Woods qui permet aujourd’hui au Ghana démocratique de Mills de dépasser la Côte d’Ivoire en PIB…
Une des voies du salut comme le rappelait le président Laurent Gbagbo en défendant le FCFA et comme l'avait clairement vu le président Houphouët en désossant la fédération du Mali et en instaurant le Conseil de l'Entente passe notamment par l'UEMOA, la CEDEAO et l'UA, dans lesquelles la Côte d'Ivoire peut être une des voix des sans voix qui compte.
Une autre voie de salut passe par l'abandon de la confrontation frontale avec les occidentaux (qui bientôt risquent d'avoir tous les arguments juridiques pour déloger Gbagbo militairement du pouvoir comme celà a été montré ci dessus) et l'utilisation de la technique du judo : utiliser la force de l'adversaire contre lui.
Quand on connait la situation démocratique intérieure de leurs pays, est-ce qu’on peut penser que le soutien des présidents africains à Ouattara est sincère ?
Il serait naïf de penser que le soutien de tous les présidents africains à Ouattara est sincère et que l’alignement rapide de la CEDEAO et de l’UA aux décisions de l’ONU, l’UE, les USA est authentique. Il y a certainement certains présidents qui ne font que suivre les injonctions de l’occident qui ne souhaite pas apparaitre comme des néo colons et pousse donc les africains à monter au créneau.
Il faut ici à nouveau faire preuve de bon sens et se demander si l’hypocrisie de ces dirigeants africains rend leurs déclarations « irrecevables » ou si, pour une fois, ils sont du côté de la vérité ?
D’autant plus que dans le lot des dirigeants condamnant l’attitude de Gbagbo il y a également des démocrates incontestables : Botswana et Ghana en tête. « On aurait voulu croire que l’époque des coups d’état et des situations ridicules comme celles de Côte d’Ivoire était révolue. […] ».
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