Darfour : « Plus jamais ça », disiez-vous ?
Le premier génocide du XXIe siècle se passe dans le silence de tous.
« Plus jamais ça. »
Elle était inaudible après le génocide des Arméniens au début du XXe siècle.
Nous l’avons à peine entendue après la Shoah, mais depuis quelques années, et en particulier à partir des commémorations de la fin de la Seconde Guerre mondiale, cette expression a été utilisée par tous les chefs d’Etats du monde dit « libre ».
Nous l’entendions parfois au sujet des Tutsis au Rwanda en 1994, même si douze ans plus tard certains ont encore du mal à reconnaître cette tragédie, plus de 800 000 personnes ont été massacrées, comme un « génocide ».
Nous l’avons entendue à chaque manifestation, Sohane, Malek Oussekine, Ilan Halimi et même, comble de l’ignominie, après le décès du supporter du PSG.
Mais, on le sait trop, les paroles ne sont pas des actes.
Aujourd’hui se déroule dans la plus grande indifférence le premier génocide du XXIe siècle.
C’est vrai, ces massacres sont loin. Qui connaît la région du Soudan nommé Darfour ? Qui sait que cette région, plus grande que la France, est le théâtre depuis des mois de violences démentes ? Et pourtant, plus de 400 000 morts, plus de 2,5 millions de personnes, des milliers de femmes violées et soumises aux pires exactions, des villages rasés, des puits d’eau empoisonnés.
Les milices pro-gouvernementales soudanaises, les janjaweeds, ne sont qualifiées ni de petit ni de grand satan. Ces bandes agissent à cheval, à dos de chameaux et en jeeps, pour massacrer leurs frères et sœurs, musulmans pour la plupart, comme eux, mais les tribus du Darfour sont considérées comme « africaines » ou « noires », alors que les autres s’affirment Arabes. Préjudice, racisme, intolérance, tout y est.
Fin octobre, le chef d’Etat soudanais, le général El Bechir, déclarait « Nous nous sommes engagés devant Dieu à ne pas laisser la souffrance des Darfouris devenir le prétexte d’ une intervention étrangère ou un sujet pour les médias hostiles. »
A ce jour, l’Union européenne respecte les paroles du dictateur. Il a simplement été demandé aux Nations unies de préparer l’envoi de casques bleus afin de protéger les civils du Darfour, sous réserve de l’autorisation du gouvernement du Soudan (sic !).
Le général El Bechir ne vous dit rien, mais imaginez la Société des nations dans les années 1930 et 1940 demander à Hitler son autorisation pour protéger les prisonniers de Dachau, Mathausen ou Buchenwald. Immoral, provoquant ?
Mais le plus grand cynisme se trouve dans la deuxième partie de la citation du général tueur. Il sait bien que les médias ne lui sont pas hostiles, ils lui sont indifférents.
Seuls quelques-uns se battent, alertent et informent. Simon Wiesenthal, Elie Wiesel, Robert Antelme, Primo Levi ont tous écrit que la plus grande des douleurs était ce sentiment d’abandon, d’indifférence.
« Keep shouting » « Wake up, stop sleeping » [Continuez de crier, réveillez-vous] exprimait une représentante des Furs (tribu du Darfour) lors d’une réunion avec les membres du Collectif Urgence Darfour.
Il faut de toute urgence envoyer une force effective de maintien de la paix dans la région pour garantir la protection de la population civile ; mais aussi créer sur la région du Darfour une zone d’interdiction de survol aérien, afin d’empêcher les repérages par les hélicoptères gouvernementaux des villages furs et des camps de déplacés.
Il faut protéger, militairement, les camps de réfugiés au Tchad, pays allié de la France, et frontalier du Darfour, où se sont exilés des milliers de personnes.
Il faut également donner les moyens à la Cour pénale internationale de procéder aux premières enquêtes, de recueillir les témoignages et de rechercher les criminels de guerre.
Si les massacres au Darfour avaient lieu à Londres, Madrid ou à Gaza, aurions-nous un tel silence, un tel désintérêt, une si incroyable indifférence...
Le Soudan a deux bons alliés au Conseil de sécurité, la Russie de Poutine, qui lui vend des armes, et la Chine, qui lui achète son pétrole.
Nous avons laissé nos dirigeants nous dire « Plus jamais ça ». Ils nous ont parlé de « devoir de mémoire ». C’est le moment de se mobiliser pour sauver des vies, c’est le moment de leur dire qu’après les « devoirs » faits tranquillement chez soi, il faut penser à se mettre en place et à agir. N’attendons pas les commémorations, les beaux discours dans vingt ans, sur les milliers de morts du Darfour.
Il y a urgence aujourd’hui.
Richard Odier
Président du Centre Simon Wiesenthal, France (http://www.wiesenthal-europe.com)
Membre du Comité exécutif du Collectif Urgence Darfour (www.urgencedarfour.org)
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