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Accueil du site > Actualités > International > Darfour, vers la nouvelle Arche d’Obama ? 3/3

Darfour, vers la nouvelle Arche d’Obama ? 3/3

Les deux premières parties de cet article ont présenté le conflit vu des Etats-Unis, d’Europe ainsi que le contexte historique et politique et les principaux acteurs et belligérants. Ce troisième volet se veut plutôt une analyse des perspectives d’avenir de cette région du monde et une réflexion sur ce que pourrait devenir ce pays en dehors de l’aide humanitaire. L’avenir du Darfour et de tout le Soudan est incertain, mais le pire est peut-être à venir.
Realpolitik et effets secondaires de l’intervention humanitaire

L’Arche de Zoé, ses péripéties et ses répercussions ne sont finalement que la traduction d’une analyse politique simpliste présentée de façon quasi univoque en occident par des personnalités inféodées à une idéologie ou prisonnières d’un conformisme latent. En dehors de MSF grand connaisseur de la problématique humanitaire et acteur de terrain, peu de voix ont manifesté la modération et le désir d’expertise qui sied à ce genre de conflit.
 
L’aide humanitaire n’est pas une solution à long terme. Il ne s’agit que d’un pis-aller, fort utile pour venir en aide aux déplacés et aux victimes des affrontements, mais qui ne règle en rien le conflit. La mosaïque ethnique et les intérêts des populations qui sont le plus souvent motivés par leur simple survie demandent une approche beaucoup plus fine et nuancée que celle qui est diffusée à longueur de journée.
 
De plus l’assistance des ONG et des agences des Nations –Unies, comme partout ailleurs, concerne en priorité les réfugiés au Tchad et les déplacés internes au Darfour. Certaines populations non assistées se sont paupérisées par l’augmentation du coût de la vie engendrée par la présence de l’aide et la disparition d’activités qui assuraient un revenu. Paradoxalement, le dénuement s’installe dans les zones du Darfour non directement touchées par le conflit.
 
Derrière la vitrine de l’urgence, se trouve un pays en évolution avec des besoins d’infrastructures, de gestion et de développement. Les solutions sont avant tout politiques. Et avant tout de la responsabilité des Soudanais quelques soient leurs origines. Car au Darfour, le monde extérieur apporte aussi ses mutations, certes moins rapidement qu’ailleurs. Le mode de vie nomade est en voie d’extinction. Les habitants qui vivaient de façon quasi immuable depuis des siècles et dont les seules traces de modernité étaient le fusil d’assaut et le jerrican en plastique, sont passés en environ dix ans à un autre modèle pour reprendre le thème de la conférence exposition photo d’Eric Denis (géographe et chercheur au CNRS-SEDET) et Claude Iverné (photographe documentaire) : Dar-Territoire-FOUR, la région va vers « la précipitation d’une modernité inéluctable ». Malgré les morts par affrontements et la surmortalité due à la précarité, la poussée démographique fait qu’il ne sera plus possible de vivre comme avant, là où l’on est né.
 
La disparition de nombreux cheikhs qui étaient la mémoire des terres, des coutumes et des relations entre nomades et sédentaires et leur remplacement par une classe de jeunes affairistes locaux, tant Arabes que Noirs, rend illusoire tout retour à la situation antérieure. Le monde change aussi au Soudan, il est temps de repenser le développement du pays, la répartition des richesses et des pouvoirs, bref, d’être plus pragmatique et moins dogmatique.
 
Il serait beaucoup plus judicieux d’envisager l’établissement de villes nouvelles à la place des camps avec un plan d’occupation des sols, une urbanisation organisée avec la participation obligée et conjointe de Khartoum et des Darfouris et l’établissement d’un enregistrement des faire-valoir sur les terres et des droits de passage, au lieu de renvoyer les déplacés chez eux pour y végéter dans la paix retrouvée. Le retour sur les terres d’origine ne peut concerner qu’un petit nombre d’habitants du Darfour du fait de la mutation sociétale avec la fin inéluctable du nomadisme.
 
Le problème de l’eau et de son partage consensuel entre éleveurs et agriculteurs est aussi crucial que les questions très normatives relatives à la pauvreté de cette région.
 
Le danger croît de voir s’installer au Darfour des camps de façon pérenne comme en Somalie, en Ouganda, en Ethiopie, au Congo ou aux confins du Sahara occidental où des populations croupissent en totale dépendance humanitaire depuis parfois deux ou trois générations.
 
La réponse dans l’immédiat à l’urgence humanitaire ne doit cependant pas se traduire par la pérennisation de l’habitat précaire transgénérationnel et doit mettre en œuvre des stratégies de retour des populations à des conditions de vie moins aléatoires, même si elles n’auront pas forcément lieu là où les gens sont nés.
 
Le risque de « somalisation » du Darfour et peut-être du Soudan tout entier, avec son cortège de massacres, ses factions soutenues par l’étranger et la disparition de l’Etat en tant que système régulateur est loin d’être une crainte insensée. La possibilité d’une dérive à la somalienne est envisageable ne pourrait que nuire à tous les Soudanais et déraper vers des affrontements dont on peut déjà envisager les répercussions.
 


L’accès à l’eau mécanisée dans les camps contribue avec l’éducation et la médecine à sédentariser les populations dans les camps : un poste de distribution d’eau au camp de Sakani Darfour Sud / 2008, enfants d’ethnie four

Photo Claude Iverné 


 

Six heures quotidiennes de labeur pour les enfants et les femmes au creux de puits profonds : Une femme arabe à la corvée d’eau / Wadi Kaja Darfour Ouest / 2008

Photo Claude Iverné
 

Vers la dernière tentative de réaction unipolaire américaine
 
Compte tenu des errances, aberrations et erreurs de stratégie des Etats-Unis lors de l’invasion de l’Irak, on ne peut être que très circonspect quant à la connaissance du conflit du Darfour, par une administration, qui a montré les limites de son incompétence, ou c’est selon, de sa mauvaise foi. Obama n’est pas Bush, mais aura-t-il le désir, ou tout simplement le temps de consulter de véritables experts de la sous-région avant de prendre des décisions aux répercussions déplorables ? 
Et si la méconnaissance du conflit n’est que feinte, aura-t-il la possibilité de corriger le tir du fait des intérêts en jeu ?
 
La nouvelle administration Obama laisse craindre le pire :
 
Susan Rice qui se considère comme une spécialiste de l’Afrique maintiendra au poste d’ambassadrice auprès des Nations Unies ses positions sur le Soudan calquées sur celles de Save Darfur. Dès 2006 dans le Washington Post, puis en 2007 devant le Sénat, elle prit des positions interventionnistes. Et, en février 2008, elle a n’a pas hésité à parler d’ultimatum. 
 
Qu’attendre de Jo Biden, un des premiers activistes de Save Darfur qui se positionne comme le prêcheur de la croisade contre les arabes génocidaires. 
Les Clinton ne sont pas de reste, qui ont milité avec la même ardeur et la même vision réductrice du Soudan.
 
Potentiel engagement américain au Darfour et dans la sous région :
 
L’engagement d’Obama dans la continuité de la ligne Bush et des lobbies évangélistes et des ONG américaines pro Darfour, risque d’exacerber les rivalités ethniques et confessionnelles aux Etats-Unis. 
 
L’assimilation d’une cause à une race, (la noire) malgré les dénégations d’Obama, permettra de minimiser les injustices sociales aux Etats-Unis malgré les velléités d’Obama de créer un système social maladie, de diminuer les effets des subprimes sur les propriétaires les plus pauvres. 
 
L’assimilation d’une lutte à une religion, le Christianisme contre l’Islam, avec l’aide des noirs, risque d’aviver encore plus la haine contre Arabes résidant aux Etats-Unis, même s’ils en ont acquis la nationalité. 
 
D’ailleurs, Louis Farrakan, le père de « The Nation of Islam » a montré une discrétion relative et une satisfaction a minima lors de l’élection d’Obama.
 
Il peut se créer un schisme entre Américains noirs et Américains arabes avec en arrière plan les néo évangélistes et leur désir de revival et de conversions nouvelles : « Un bon noir est un noir chrétien qui chante le Gospel ! » Et quand on sait les obligations électoralistes d’Obama de ne pas se mettre à dos les évangélistes, le pire est à craindre.
 
Obama doit aussi rester prudent au sujet d’Israël et du conflit au Moyen-Orient. Il ne faut pas oublier, qu’après le départ de Bush, les Etats-Unis resteront des alliés indéfectibles d’Israël.
 
Et s’il existe, ce qui reste à prouver, un soutien informel ou matériel des Etats-Unis au JEM, il peut être comparé avec l’appui américain antérieur, par le biais de la CIA et d’autres officines, aux groupes islamistes palestiniens pour contrer le Fatah et les mouvements laïcs marxisants, puis avec le soutien aux talibans en Afghanistan pour contrer les Russes. L’appui au JEM entrerait donc dans la logique américaine de déstabilisation du Soudan en utilisant des « religieux » radicaux.
 
Le seul bémol à une implication américaine plus importante vient de la crise économique qui oblige à une diminution des engagements militaires et financiers. De plus, la baisse actuelle des prix du pétrole est nettement moins incitatrice à un conflit pour l’or noir, du moins pour un certain temps, celui de digérer la crise.
 
Perspectives d’avenir vers une résolution du conflit
 
La seule éviction du pouvoir d’Omar el Béchir ne résoudra pas un conflit aussi long et complexe. En cela, la mise en examen du président soudanais par le procureur du Tribunal Pénal International, Luis Moreno-Campo, en juillet 2008 avec demande de mandat d’arrêt international, n’est qu’une gesticulation diplomatique. La livraison d’Ahmed Haroun et Ali Khoushayb, comme compromis n’a pas plus de chance d’améliorer la situation sur le terrain. Sacrifier deux hommes à l’instar de Kadhafi et de ses deux agents secrets est une solution proposée entre autre par Bernard Kouchner, mais qui a peu de chance de ramener la paix.
 
L’option génocidaire initialement retenue par le TPI n’a pas pu tenir. Il aurait fallu introduire un concept nouveau, celui de « génocide localisé », ce qui n’a jusqu’à présent jamais eu lieu. Car mêmes les plus farouches adversaires du régime soudanais n’ont jamais fait état de pogroms contre les Fours, les Zaghawas et les Masalits dans les rues de Khartoum et d’Omdourman ! Et puis, si le TPI a aussi impliqué des chefs rebelles qui auraient commis des exactions et enrôlé des enfants soldats, cette information n’est guère diffusée par les organisations menant la croisade anti-islamiste.
 
La résolution du conflit ne pourra aboutir sans tenir compte de la politique soudanaise dans son ensemble et des problèmes posés par l’économie, la démographie et la mutation de la société en particulier en ce qui concerne le nomadisme.
 
En cas de départ volontaire ou forcé d’Omar el Béchir, qui peut prendre le pouvoir à Khartoum ? Ni les communistes, petit groupe issu de familles aisées de Khartoum ou du nord de la vallée, ni les mahdistes à eux seuls. L’opposition démocratique au sens occidental du terme est peu représentative et la défiance de la population vis-à-vis d’une junte pro-occidentale est grande, même si les soudanais du nord ne sont pas tous unis derrière leur président.
 
L’exemple du bombardement de l’usine de médicaments Al Shifa par les forces américaines à Khartoum le 20 août 1998 est frappant. Les Américains utilisèrent déjà le prétexte de la fabrication d’armes chimiques (ce qui n’a jamais été prouvé) et un lien avec Oussama Ben Laden (qui a effectivement résidé à Khartoum) pour s’attaquer au Soudan ! Après cet acte belliqueux, même les communistes locaux ont protesté bien qu’abhorrant le régime en place. L’affaiblissement du régime actuel risque aussi d’accentuer les conflits, entre nord et sud à propos d’Abyei et dans l’est du pays en particulier chez les Béjas. La mise en accusation et la détention du président soudanais en fait paradoxalement un martyr et profitera aux plus radicaux du pouvoir qui jusqu’à présent ne l’apprécient guère.
 
Quant au conflit avec le sud, en voie d’achèvement, il pourrait être relancé autour des royalties du pétrole si le gouvernement du nord était affaibli ou en proie à de graves troubles politiques et sociaux.
 
La compréhension binaire américaine avec le concept de « force du mal » en stigmatisant un camp et en exonérant un autre ne peut en aucun cas amener les parties à la table des négociations de façon efficace.
 
Une telle approche rend impossible tout dialogue et orientation vers un processus de paix dans un conflit beaucoup plus complexe que l’image d’Epinal véhiculée par les médias américains comme entre autres Fox TV et USA Today.

Afin d’éviter de réitérer les erreurs d’appréciation qui ont mené à la fois à la pérennisation des camps et aux égarements de l’Arche de Zoé, Barack Obama devrait réfléchir à un véritable plan d’action impliquant toutes les parties soudanaises concernées et les pays voisins avant d’envisager la « punition » du gouvernement soudanais et se lancer dans une aventure militaire qui peut s’avérer être une nouvelle boite de Pandore !
 
Les derniers pourparlers du 17 février 2009 entre le JEM et Khartoum peuvent déboucher soit sur un retour temporaire à une trêve, soit plus probablement préparer l’éviction en douceur du président soudanais, pour le plus grand profit des véritables islamistes. Le mandat international du 4 mars 2009 contre Omar el Béchir a déjà débouché sur le retour en force d’Hassan el Tourabi sur la scène politique soudanaise.
 
Georges Yang, écrit en collaboration avec Claude Iverné
 
Photographies : ©Claude Iverné/elnour, site www.elnour.net
 

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5 réactions à cet article    


  • Georges Yang 14 mars 2009 11:04

    Hier, un bug a supprimé le texte de la deuxième partie de l’article pendant au moins 6 heures.
    Ceux qui seraient un peu dérouté par la lecture de la fin de cet article sont priés de bien vouloir se reporter à la partie 2/3
    Merci


    • Ahlen Ahlen 14 mars 2009 18:08

      Hélas le bug concernant la 2° partie subsiste.

      Comme si le labyrinthe soadanais, tel que vous le décrivez, ne suffisait pas, un autre larron et pas des moindre souffle avec force sur les braises déjà ardentes : Israël/AIPAC car, quand vous dites :

      Obama n’est pas Bush, mais aura-t-il le désir, ou tout simplement le temps de consulter de véritables experts de la sous-région avant de prendre des décisions aux répercussions déplorables ? 

      c’est bien ce lobbye diabolique qui a le dessus ! Le cas Charles Freedman prouve que là-bas (US) on s’en fout des véritables experts  ! 


    • Georges Yang 14 mars 2009 18:29

      Curieusement, la seconde partie a encore disparu.
      Je l’ai retrouvé par hasard sur un blog : TCOMTCHAD probablement joint par quelqu’un qui a pu lire durant l’intervalle où il était lisible

      http://tcomtchad.info/?p=4672


      • Georges Yang 14 mars 2009 18:54

        La deuxième partie fait mystétieusement des apparitions brèves sur Agoravox


        • Jojo 14 mars 2009 20:41

          Je ne comprends pas, moi je n’ai pas cessé de la voir en entier y compris lorsque Ahlen disait la voir tronquée.
          Je viens de revérifier, elle est toujours là.
          Peut être votre connexion, votre navigateur, ou les deux. Ce qui est sûr c’est que si j’ai pu la voir … Cordialement et merci encore pour la série.

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