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Accueil du site > Actualités > International > De Baghdad à Timbuktu : La Fin de l’Histoire

De Baghdad à Timbuktu : La Fin de l’Histoire

Depuis la fin de Guerre Froide, l’enjeu de consolidation des “Etats faibles ou en faillite” - “Failed states” - s’est imposé comme le prisme électif par lequel s’est formulée la politique étrangère Américaine en matière de sécurité internationale. Dès 1998, les faucons de la politique étrangère Américaine projetaient un lien de causalité entre les “Etats en faillite” et les menaces graves pour la sécurité intérieure Américaine. En 2005, la Secrétaire d’Etat, Condoleeza Rice, estimait que les “Etats en faillite” représentaient des menaces asymétriques pour les Etats-Unis. Ces menaces asymétriques se justifiaient du fait que les “Etats en faillite” servaient potentiellement de corridors aux mouvements terroristes, au crime transnational organisé, à la prolifération d’armes ou de matériel nucléaire, ainsi qu’aux groupes illicites tels que les narco-trafficants. Et en cela, ces foyers incubateurs de crimes et de conflits sapaient les efforts de promotion de la démocratie, de la bonne gouvernance, ainsi que de la stabilité économique.

Comme marqueurs d’Etats en faillite, on signalait parmi tant d’autres, les frontières poreuses entre le Pakistan et l’Afghanistan et les régions du Sahel bordant l’Afrique du Nord, telles le Mali, la Mauritanie et l’Algérie. Pour ce qui concerne le Mali, on reprochait à ce pays sahélien son incapacité à sécuriser ses propres frontières ainsi que son espace territorial devenu un havre pour les narco-trafficants.

De janvier à avril 2012, les premiers coups de canons de la rebellion touarègue dirigée par Iyad ag Ghali ont destabilisé en profondeur le Mali. Ses hommes, estimés entre 800-4000 combattants, dont la plupart venait de rentrer de la Libye, apportaient la preuve de l’hypothèse du Mali comme Etat au territoire faiblement administré. Comme prolongement de cette rebellion, s’en est suivi le coup d’état militaire qui a envoyé Toumani Toure dans son exil Dakarois. Les deux tours des élections présidentielles Maliennes viennent de s’achever. La problématique des narco-trafficants s’est dissipée dans les bancs de sable en même temps que les rebelles qui ont fait l’option de déposer les armes. La sécurité du territoire Malien est en mode de gestion privée. L’opération Serval n’a pas encore apporté la preuve d’avoir oeuvré à la stabilisation de toute la région du Sahel. Le retour progressif vers un fonctionnement normal des institutions républicaines au Mali par voie des urnes n’est pas synonyme d’une résolution de la question Touarègue qui reste intacte. Loin s’en faut ! Un détour par la voie des urnes ne contribuera sans doute pas à une sécurisation du grand Sahel. L’enjeu sécuritaire ne saurait se ramener à la somme des dividendes démocratiques. Au pouvoir depuis 2006, l’expérience démocratique du gouvernement al-Maliki peine à la sécurisation de l’Irak. Quittons les sentiers du simplisme sécuritaire en revisitant la fin de l’Histoire de Baghdad à Timbuktu. 

Les Nouveaux Auxiliaires de la Police : la privatisation de la sécurité

Aux premières lueurs du coup d’état au Mali, le 21 mars 2012, quelques remises en cause furent versées dans le registre des justifications de l’intervention armée dans les institutions démocratiques. Une batterie de manquements coupables a transformé l’ancien président Toumani Toure en victime émissaire circonstantiel. D’où un chapelet de crises sociales aiguës fut-il égrené : la remise en cause de la porosité des frontières Maliennes, le faible contrôle de la partie septentrionale du pays, le sous-equipement de l’armée, l’inféodation du territoire par les sanctuaires de narco-trafficants, et le regroupement des extrémistes d’al- Qaeda suite au démantèlement de l’arsenal militaire Libyen.

A la hantise d’un enlisement militaire comme en Irak, au Vietnam ou en Afghanistan, les rebelles du Nord Mali ont plutôt choisi de faire l’économie d’un “sahelistan” en prenant la poudre d’escampette. Ils ont fait davantage montre d’une incompétence tactique et stratégique devant la maîtrise parfaite du terrain par l’armée Française. Ce qui a offert un raccourci tout en or pour aller aux élections présidentielles.

Contrairement au scenario de la guerre en Irak, les forces de défenses du Mali ont subi un léger lifting. L’armée dans sa composante substantielle étant restée intacte. Il n’y a donc pas eu trop de mal pour une reorganisation des services de sécurité. L’opération Serval, débuté le 11 janvier 2013, a évité d’emboucher la clarinette d’une conquête aux allures d’impérialisme républicain. Paris s’est prudemment entourée de forces étrangères pour appuyer son intervention militaire. Le Mali avec ses 52.000 tonnes de gisement d’uranium ne laisse pas pour autant toute indifferente la compassion soutenue de l’Hexagone au Sahel. La France dispose d’environ 59 réacteurs nucléaires sur son sol pour couvrir près de 80% de ses besoin d’électricité. Quelque poudre d’uranium ne nuira donc pas aux besoins énergetiques du futur.

Tout comme en Irak, la privatisation de la sécurtié semble s’imposer comme un nouveau schéma post-reconstruction. En effet, une force de 12.600 soldats de maintien de la paix de l’ONU remplacera progressivement l’armée Française dans son exit du Mali. Depuis décembre 2011, on compte aussi environ 5000 agences de sécurité contractuelles en Irak pour suppléer au départ des troupes Américaines.

Baghdad sous l’ère Saddam Hussein représentait la mauvaise conscience de la communauté internationale. Il s’imposait comme un devoir éthique et moral d’exercer plus de vigilance sur l’arsenal introuvable des armes de destruction massive du régime Irakien. D’où l’intervention armée des forces de la coalition pour stopper l’ascendance militaire des forces Irakiennes dans la région par un changement de régime. La dictature du parti Baas fut troquée pour le régime démocratique de Nouri al-Maliki. Quelques progrès démocratiques significatifs sont à verser au compte du gouvernement al-Maliki aux commandes depuis 2006. Ce qui ne saurait nous faire oublier que l’Irak est loin d’avoir gagné la bataille de la sécurité depuis la fin de l’invasion Américaine. Il resterait à faire la gageure que l’élection démocratique de Ibrahim Boubakar Keita au Mali posera les jalons pour une sécurisation plus forte du Sahel.

La Fin de l’Histoire par la destruction de l’heritage culturel

Un parallélisme frappant de Baghdad à Timbuktu est sans conteste la destruction des sites historiques. On dénombre environ 14 mausolées historiques totalement détruits au Mali pendant la crise. La mosquée de Djingareyber et le monument emblematique de l’indépendence El Farouk, les mausolées de Sidi Mahmoud, Sidi Moctar et Alpha Moya ont subi la foudre de la destruction des djihadistes en juillet 2012. On estime qu’environ 4203 manuscripts du centre de recherche Ahmed Baba sont portés disparus suite à l’ire des rebelles.

Les troupes qui ont capturé Baghdad en avril 2003 n’avaient pas pour mission de protéger les sites culturels et les bibliothèques nationales de l’Irak. Un nombre important de bibliothèques à Baghdad ont simplement été livrées au pillage et aux flammes. La bibliothèque nationale de Baghdad a connu deux incendies consécutives le 10 et 12 avril 2003. Approximativement, ¼ de la collection de ladite bibliothèque fut pillée ou passée sous les flammes. Les flammes ont devoré 60% des documents royaux Hashemite et Ottoman. Des voleurs d’objects d’arts ont pillé et partiellement brulé la collection des manuscripts de Beit al-Hikma - la Maison de la Science. La bibliothèque de l’académie des sciences Irakiennes, celle de l’université al-Mustansiriya, ainsi que la bibliothèque de l’Ecole de Médecine de Baghdad ont été visitées par le pillage. La totalité de la bibliothèque des Arts universitaires de l’université de Baghdad est partie en flammes. 

En dehors de Baghdad, on note que les flammes ont ravagé la bibliothèque centrale de l’université de Basra, provoquant la perte d’au moins 70% de sa collection. Des vandales ont mis à sac la bibliothèque centrale de l’université de Mosul, provoquant la perte d’environ ⅔ de sa collection. Ils ont emporté par ailleurs près de 15000 pièces d’arts Summerien.

Sur une période de plus de deux mois, le pillage a visité les sites historiques de l’ancienne cité de Baghdad, dont le palais des Abbasid qui date du 12 ème siècle, le Madrasa al-Mustansiriya du 14 ème siècle, la mosquée Saray du 16 ème siècle. En mai 2003, l’ancienne cité Summerienne d’Ur qui abrite un des trésors archéologiques datant de plus de 6000 ans fut vandalisée. De Baghdad à Timbuktu, la fin de l’Histoire s’est invitée au forceps sur fond de destruction de l’héritage culturel du passé.

 

Narcisse Jean Alcide Nana

International Security Studies

 

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1 réactions à cet article    


  • paul 14 août 2013 19:31

    Article mi-chèvre- mi-chou qui glisse quelques quenelles pour justifier, l’air de rien, l’intervention des occidentaux au Mali, en Afghanistan, en Irak, regrettant juste quelques dégâts dans les musées ( « les troupes n’avaient pas pour mission de protéger les biens culturels ») .
    Au fait, les 2 villes citées en titre s’écrivent en français : Bagdad et Tombouctou .

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