De la mystification du printemps arabe à la guerre en Syrie

Sans doute, seuls BHL et Bernard Guetta pensent encore que le printemps arabe est un progrès de l’Histoire inscrit dans la longue marche vers la démocratie. Hélas, le livre de Francis Fukuyama est devenu obsolète, autant que peuvent l’être les robes sixties de Pierre Cardin. Quant à la contre prophétie de Samuel Huntington, elle n’épouse pas plus le contour de l’Histoire récente. On ne voit pas vraiment les civilisations se combattre mais plutôt l’installation d’un ordre mondial (totalitaire ?) dans lequel plusieurs blocs agissent, surtout dans la sphère économique au service d’une caste mondialisée, alors que les populations sont sous surveillance. Le cas des pays de « culture » islamique est à ce titre édifiant. En fait l’Islam n’a jamais été un bloc homogène. Quid des dissensions (euphémisme) entre l’Iran et les pays de la péninsule arabique ? Quel rapport entre le régime d’obédience alaouite (branche du chiisme) en Syrie et le wahhabisme en Arabie saoudite ? Et puis au sein des pays islamiques, beaucoup de dissensions internes. En Afghanistan, les talibans d’un côté affrontent le clan des Karzai inféodé à l’Occident. Après, on trouvera quelques spécialités virulentes et dissidentes disséminées dans le monde. Boko haram, Al Qaeda, salafistes. Et puis le Hezbollah au Liban et le Hamas à Gaza, autres dissidences politiques pouvant éventuellement jouer le jeu des alliances. Ou s’impliquer dans un conflit.
C’est dans ce contexte brouillé qu’en plein hiver 2011, des soulèvements se sont produits, d’abord en Tunisie, puis en Egypte. Rappelons que les autorités françaises étaient plutôt réservées (re-euphémisme) face à cette fronde populaire marquée par le « dégage » qui à la révolte tunisienne ce que « crs ss » est à mai 68. Madame la ministre de l’intérieur ayant même proposé ses services à Monsieur Ben Ali pour mater avec propreté et professionnalisme l’insurrection. Il y eut des morts, comme en Egypte sur la place Tahrir. Puis les dictateurs ont giclé et les commentateurs pressés ont célébré le printemps arabe et l’aspiration des peuples à la liberté. Par la suite, des élections ont eu lieu et ces pays ont viré vers ce qu’on peut appeler un régime islamique modéré, avec Ennahda en Tunisie comme principale composante et les Frères musulmans dans ce grand pays dirigé par Mohammed Morsi. On pourrait comparer cette transition de l’axe militaire vers l’axe religieux à ce qui s’est produit lentement, sur deux décennies, en Turquie. Nous avons eu dans ces deux pays du printemps une séquence historique plus ou moins lisible mais avec des tendances se dessinant plus vers un l’islam politique que vers la démocratie à l’occidentale. La Tunisie et l’Egypte semblent sous contrôle mais la situation n’est pas consolidée et un retour de l’armée n’est pas à exclure.
Autre séquence, celle-là moins lisible et trahissant quelque trouble jeu de l’Occident avec deux autres pays. La Libye et la Syrie. Avec des situations géopolitiques très différentes. La Libye était gouvernée par un Kadhafi qui, à force d’enfler et de se voir empereur de l’Afrique, a fini par s’isoler sur la scène internationale, même si un retour en grâce bien hypocrite lui fut offert, ainsi que le gazon de l’Elysée pour y planter une tente. La vengeance est un plat qui se mange froid et les Etats-Unis et la France n’avaient toujours pas digéré l’explosion du vol 772 UTA et celle du vol 103 de la Pan Am au-dessus de Lockerbie. Le cas de la Syrie est bien distinct. Ce qui explique la différence entre les deux séquences historiques de 2011 à 2013. La Syrie a un puissant allié, l’Iran, avec le Hezbollah comme appendice au Liban. En plus, la Syrie a le soutien de la Russie. Même si cette Russie afficha quelques réticences de façade pour ne pas cautionner ouvertement le régime de Bachar al Assad et ses exactions. C’était au temps où l’opinion publique était persuadée qu’il y avait un méchant qui assassine son peuple face à une armée de libération. Depuis, les informations ont évolué, avec la situation sur le terrain. Les rebelles ne sont pas ces résistants du printemps qu’on a bien voulu nous présenter avec cette grande mystification médiatique mais des gens tout aussi douteux que le régime en place.
La mystification, elle eut lieu lors de l’insurrection à Benghazi en février 2011. Dans un contexte très différent de la Tunisie et l’Egypte puisque la Cyrénaïque est une région historiquement réfractaire au régime de Tripoli. Il a suffit que le colonel Kadhafi y aille de ses menaces en affichant son intention de mâter l’insurrection pour que, à l’instigation d’un BHL devenu ministre des affaires étranges sous Sarkozy, avec l’appui de l’ONU et une résolution vite transgressée, les armées occidentales interviennent. Le colonel est mort. On ne sait pas qui l’a tué. Mais on est certain que cette mort arrange pas mal de personnes en haut lieu. Toujours est-il que la Libye n’a pas eu son printemps arabe. Juste quelques soulèvements partiels à haut risque puisque sans l’intervention occidentale, une guerre civile aurait éclaté. Les secrets de la diplomatie ne disent pas si quelque service secret aurait pu manipuler les populations à Benghazi à cette époque. La messe est dite. La Libye fait à nouveau des affaires dans un contexte politique non consolidé. Et comme ce pays était grand et assez hétéroclite, quelques mercenaires s’en sont allés avec des armes semées ça et là pour une autre séquence, cette fois au Mali. Et l’armée française de nouveau en opération sur le terrain. Les Occidentaux peuvent être satisfaits. Ils se sont débarrassés d’un régime rétif à l’ordre international souhaité par les puissances de ce monde. N’oublions pas qu’à cette occasion, l’Occident est intervenu activement en s’ingérant dans une guerre civile tout en menant une guerre contre un pays membre de l’ONU.
De 2011 à 2013, la séquence historique en Syrie a pris un tournant bien différent de la Libye, en partie pour des raisons géopolitiques ci-dessus invoquées. L’autre partie devant être reconstruite en observant les événements et les enjeux. Une chose est certaine. Dans un conflit, c’est le plus fort qui gagne. Mais être le plus fort ne veut pas dire disposer d’une plus grande force. Il faut d’autres ingrédients comme la gestion de l’information. Impératif déjà connu il y a 2500 ans et consigné dans un fameux traité de Sun Tse. Néanmoins, l’issue d’un conflit n’est pas l’essentiel. La question c’est ; à qui profite le conflit et quel est le motif de ce conflit, voire le ressort ?
Officiellement, l’Occident n’est pas intervenu dans la guerre civile en Syrie, ni aucune puissance étrangère, du moins directement. Les données qui filtrent semblent livrer une autre version des choses. Pendant la séquence du printemps début 2011, il se produisit une insurrection populaire, vite contrôlée par le régime mais la tension montant, des groupes armés se sont constitués. On les a appelés les rebelles. L’Occident a choisi son camp et le président syrien a vite été jugé indésirable. Sur le plan diplomatique, même attitude qu’avec la Libye mais au niveau stratégique, l’Occident a laissé le conflit se poursuivre. C’est sans doute courant 2012 que le visage de la rébellion est apparu sous un jour nouveau alors que des informations peu commentées dans les médias sont apparus. Une dépêche Reuters de juillet 2012 faisait état de tractations entre la Turquie et l’Arabie Saoudite pour mettre en place une sorte de base arrière pour les rebelles syriens près de la ville d’Adana, située à 100 kilomètres du nord-ouest syrien et donc pas très loin de la ville d’Alep où la rébellion tient ses positions les plus solides. Le Qatar a également été de la partie avec des fonds très spéciaux.
En 2013, le conflit est entré dans une phase plus meurtrière et pour cause. Beaucoup d’armes circulent alors que la Syrie est sur le plan militaire bien plus puissante que l’armée de Kadhafi. A noter que cette Syrie contribua aux opérations militaires pendant la guerre du golfe de 1991, consécutive à l’invasion du Koweït par l’Irak. Et que cette même Syrie de Bachar al Assad était perçue sous un regard bienveillant par l’ami Sarkozy avant le revirement du printemps arabe. Des armes en provenance de Croatie ont été retrouvées. Fortes présomptions d’utilisation d’armes chimiques sans savoir de quel type ni qui en a fait usage. Maintenant, la participation du trio Turquie Qatar et Arabie saoudite n’est plus qu’un secret de Polichinelle. Le Qatar longtemps ami de la Syrie a consommé son divorce, offrant des milliards de dollars à la rébellion. Des avions chargés d’armes survolent la région. D’aucuns pensent que le Qatar serait un gendarme ayant saisi le vent de l’Histoire tout en servant les intérêts du bloc occidental. Dernière pièce du puzzle, les missiles patriot déployés près d’Adama à la demande de la Turquie. L’objectif étant de se protéger des missiles du régime syrien en cas d’extension du conflit tant redoutée par les observateurs. Israël envoie quelques bombes mais n’a aucun intérêt à alimenter ce conflit et attend le résultat des courses. L’affaiblissement de l’armée syrienne ne lui déplaisant pas.
On peut penser que ce conflit sera marqué par une recomposition géopolitique. Ensuite, les intérêts qui gravitent sont multiples. La chute du régime syrien ne pouvant que satisfaire ceux qui veulent la « peau » de l’Iran. D’autres conflits d’intérêts géopolitiques sont évoqués. Par exemple l’opposition entre deux grands blocs, Europe Amérique d’un côté et de l’autre l’alliance de Shanghai où figure l’Iran mais juste comme pays observateur. Une bizarre tectonique géopolitique est en mouvement. Et finalement, on est assez loin du printemps arabe et du souci des populations. L’opinion publique a été parfaitement mystifiée. Bien joué les puissants. De toute façon, le temps des hippies pacifistes est révolu et les peuples occidentaux n’ont rien à cirer des équilibres internationaux. Ils ne demandent qu’un travail et du pognon pour bouffer et se distraire un peu afin d’agrémenter au mieux leur passage sur terre en CDD.
Une vision plus large pourrait faire apparaître, en utilisant un grand angle conceptuel, l’avènement d’un nouvel ordre mondial avec des grands blocs gérant de manière peu ou prou totalitaire l’ordre économique, social et entropique. L’un de ces blocs pourrait être constitué par un islam d’inspiration sunnite associant les Emirats, l’Arabie saoudite, les pays islamiques issus du printemps, Egypte et Tunisie, avec Israël comme prolongement occidental et partenaire économique indépendant. Et la Turquie comme partenaire privilégié disposant elle aussi d’une culture politique inspirée par l’islam. Comme on le pressent, le scénario ne se déroule ni vers la démocratie planétaire à la Fukuyama, ni vers le choc de civilisations à la Huntington mais en direction vers un assemblage de blocs politiques sécuritaires soumis néanmoins à des frictions inévitables au vu des tensions sur les ressources naturelles. Dans ce contexte, il y aura encore des trublions, la Corée du nord en Asie, l’Iran au Moyen Orient, le Venezuela en Amérique, Cuba pourquoi pas. Quant à l’Afrique, son avenir économique passe par la Chine.
Ces perspectives ne sont que des indications raisonnées sur une prévisible évolution géopolitique qui suit un certain cours historique assuré par les puissants bien que la mystification médiatique accorde l’initiative aux soulèvements populaires. Les connivences économiques sont déterminantes. Le bloc des pays de culture politique islamiques peuvent subir des dissensions mais c’est un peu comme l’Europe. Unie par un intérêt supérieur qui neutralise les intérêts nationaux. On retiendra le triste destin des populations syriennes laminées par une guerre étrangère à leurs intérêts. La Russie soutient ce régime pour ne pas renier ses convictions, avec un orgueil évident mais sans intérêt stratégique, surtout que l’ouverture vers la mer est maintenant possible au nord avec la fonte des glaces. Quant aux Etats-Unis, on ne peut pas dire qu’ils convoitent le pétrole vu qu’ils sont proches de l’indépendance énergétique avec l’exploitation des schistes. 100 000 morts bientôt et 200 000 si le conflit s’éternise comme on peut le supposer. Le nouvel ordre mondial est en marche. Au Moyen Orient, plus que dans d’autres zones planétaires, la haine semble être le moteur de l’Histoire.
C’était juste le portait de séquences historiques vu par un citoyen du monde ayant accès aux mêmes informations que d’autres citoyens et ne fréquentant pas les milieux autorisés qui disposent d’un peu plus d’informations et surtout de beaucoup de temps pour compulser les données.
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