Déconstruction diplomatique ou démilitarisation de l’économie ?

2011 marquera le passage du cyclone des révolutions populaires couvrant par effet domino le Maghreb et le Moyen Orient. Ce cyclone dévastateur craquèle au passage, non seulement les fondations solides des colonnades de la stabilité sous-régionale, mais aussi le gyroscope stratégique du Realpolitik. Les réactions convenues des diplomaties européennes ainsi que les tensions et l’activisme diplomatiques venus des rives du Potomac ont brillé autant d’improvisations que d’un bricolage de circonstance face à la nouvelle donne qui semble avoir bien prit de cours les vétérans des Affaires Etrangères. La diplomatie Française semble particulièrement en panne et même une espèce en voie d’extinction. Le vent de relève forcée de la vieille garde à Tunis comme au Caire est venu mettre à nu les symptômes d’un malaise diplomatique profond. Les Relations Internationales charrient dans leur encre le poids des cadavres encombrants d’un monde bipolaire qui se refuse à faire ses adieux, et ce, envers et contre la fin de la période post-Guerre Froide.
Les dogmes promulgués ex-officio de plusieurs siècles d’un realpolitik confortablement arcbouté sur le socle d’un monde bipolaire furent longtemps et encore la vulgate classique indépassable dans les corridors des diplomaties occidentales. Réalistes autant que Néocons s’y sont abreuvés jusqu’à l’ivresse au point de momifier invariablement les Relations Internationales sous le sarcophage d’un manichéisme pérenne. Un manichéisme diplomatique a dessiné une cartographie délimitant les frontières et la perception des menaces réelles ou supposées des Etats ainsi que l’élection géopolitique de leurs alliés stratégiques indéfectibles. L’axe du mal, les Etats voyous ou kleptocrates, les sanctuaires d’Al-Qaeda au Maghreb et en Asie, la prolifération nucléaire et des armes de destruction massive, la psychose de la Burqa comme menace contre la démocratie et le progrès, constituent autant de versions hybrides, recyclées, adaptables à merci sur la vieille tunique mille fois taillée de la peur du Rouge Communiste qui grimace à longueur de notre histoire.
L’autorité doctrinale de Fritz C. Kramer et Henry Kissinger semble, en la matière, avoir proféré des oracles immuables pour les diplomates. Toute politique étrangère est au service de la poursuite stricte des intérêts nationaux et la diplomatie en abstraction de la menace ou de la force armée est édentée. La puissance économique n’étant pas à elle seule un substitut à la force militaire, il s’imposait d’armer les alliés stratégiques comme gage de stabilité politique et économique. Des alliés stratégiques répressifs au plan national reçurent l’onction de céroféraires dévots des intérêts géostratégiques. Autant ils servaient efficacement les intérêts stratégiques de l’Occident, autant ils desservaient les vraies aspirations de leur peuple. Autant Moubarak était un gardien de la stabilité au Moyen-Orient, autant il constituait malgré lui un pôle d’aliénation aux yeux des descendants de pharaons. Ainsi, 70 ans de Realpolitik de l’Oncle Sam et ses alliés au Moyen-Orient ont sacrifié et éclipsé l’exigence démocratique et l’émergence économique sur les autels de la stabilité gérée aux canons. Par an, les U.S.A. pourvoit presque $2 milliard de dollars sous forme d’assistance militaire et économique à l’Egypte, soit l’équivalent de $30 par personne en aide étrangère contre $4 dollars pour le Ghana. Aujourd’hui, un bilan notoire d’échec. La sous-région est une tour de Babel d’accords de paix signés sur des notes de discordes convenues, entretenues et renouvelables à perpétuité : ni paix, ni stabilité que vient renforcer un taux de chômage structurel.
Au soir de la chute de Ben Ali et de Moubarak ainsi que devant les horreurs du carnage du Boucher de Tripoli, c’est une brèche béante de remise en cause de nos crédos diplomatiques qui s’offre en spectacle au monde. Les Neocons naviguaient jadis le Moyen-Orient et l’Afrique sous la boussole d’une feuille de route aux recettes d’exigence de changement de régime par la démocratie. Le 5 septembre 2008, la visite de Condoleeza Rice sous les tentes du Guide Libyen scellait le retour de Tripoli sous les bons auspices de la Communauté internationale. La Libye faisait désormais figure d’une exception démocratique. Le monde entier convient désormais que le menu des démocraties est aussi Halal. Contre-narrative déboussolant pour la propagande violente de la nébuleuse d’Al-Qaeda qui faisait de l’Occident le seul porte-étendard de la démocratie et des droits de l’Homme. Samuel P. Huntington, dans son Clash of Civilizations nous prophétisait les orages menaçants des futurs conflits post- Guerre-Froide autour des identités religieuses et culturelles. Dans sa vision manichéenne, l’Islam partirait en guerre contre l’Occident chrétien. Et le Caire nous a servi une nuit culturelle des noces de la Croix et du Coran.
L’instrumentalisation à outrance du terrorisme et des menaces de la guerre industrielle ont fait ombrage aux enjeux profonds de la démocratie et de la sécurité nationale. Retour donc à une vérité cardinale : c’est autour des citoyens concrets, de leur bien-être et du Bien Commun que doivent graviter les Relations Internationales et non sur le postulat de l’équilibre entre les pays et les grandes alliances régionales ou stratégiques. Le diplomatiquement correct se déclinait longtemps sur une arithmétique des intérêts stratégiques égrenés sur le chapelet des peurs et menaces extérieures. La diplomatie y a trouvé longtemps son terrain de golf de prédilection. L’arsenal de communication des Affaires Internationales servait d’auxiliaire des intérêts géostratégiques. Mais lorsque le Maghreb se réapproprie les vertus de la démocratie et des droits de l’Homme, c’est du coup, l’ère d’une déconstruction diplomatique qui s’annonce pour l’Occident. Dans un monde interconnecté par les nouveaux media sociaux qui lubrifient l’accès à l’information, les diplomates d’hier se retrouvent dans un environnement de communication et de pouvoir symétriques. Au risque de s’isoler, la diplomatie est contrainte de plus en plus à déterritorialiser l’espace politique pour s’adapter aux défis de la globalisation. Un préalable incontournable. On ne peut déterritorialiser l’espace politique sans le préalable d’une démilitarisation de l’économie. Sous la balance de la politique internationale pendent de nouveaux enjeux autres que le simple réalignement cavalier et stratégique. 15 millions de jeunes entre l’âge de 15 et 24 ans sont sans emploi en Amérique du Nord et en Europe. 25% de jeunes sans emploi en France et en Italie. 45% de jeunes chômeurs en Espagne. 38 millions de chômeurs en Afrique sub-saharienne. Notre planète sera bientôt habitée par 60% de citadins, que viendront exacerber la rareté des ressources énergétiques, les maladies, les changements climatiques, le chômage et l’insécurité.
La diplomatie internationale a besoin de nouveaux cosmétiques de charme si elle veut continuer de nous séduire.
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