Des dysfonctionnements profonds dans la gestion de la reconstruction de l’Afghanistan
Dans son rapport trimestriel publié aujourd'hui, l'inspecteur général spécial pour la reconstruction de l'Afghanistan (Special Inspector General for Afghanistan Reconstruction) met en exergue de nombreux dysfonctionnements dans le traitement et la gestion de la mission de reconstruction de l'Afghanistan qui sont loin d'être liés uniquement au contexte délicat sur place
Le rapport
Le rapport est volumineux et traite d'autres aspects de la mission du SIGAR. Il réalise notamment des audits sur les projets américains de reconstruction du pays qui comportent parfois de nombreuses failles et renseignent sur la réalité du pays. On peut relever quelques points :
-
Il relève de nombreux dysfonctionnements dans les "écoles" ou équipements financés pour partie par les USA et les organismes internationaux, des erreurs dans la conclusion des contrats, des problèmes matériels d'eaux et électricité à répétition mais aussi un manque de responsabilisation des acteurs et plus grave des lacunes dans la formation qui est apporté aux étudiants qui vont dans ces écoles pour participer effectivement à la reconstruction de l'Afghanistan. Dans un second exemple il souligne une installation pour former des afghans ou le toit menace de s'effondrer.
La responsabilité incombe au gouvernement, à l'USACE (le corps d'ingénieurs de l'US army) ou à l'USAID (l'agence américaine pour le développement international) selon le rapporteur. Il met en exergue "des lacunes dans la surveillance des États-Unis concernant l'exécution des contrat, y compris des inspections en retard ou insuffisantes, de mauvaises documentations, des décisions douteuses, et l'absence de reddition de comptes". - Il dénonce également des contrats à l'utilité douteuse comme celle de moderniser et d'apporter de nouveaux avions à l'armée afghane alors que les afghans en charge du dossier sont de nouveaux éléments (les autres ont du être tués ou blessés) qui n'ont pas toujours les compétences pour s'occuper de la flotte telle qu'elle existe. Ce programme coûte au contribuable américain 722 millions de dollars.
- "Près de deux ans après le premier rapport de la commission et plus de 11 ans depuis le début des opérations militaires américaines en Afghanistan, il semble clair que la culture institutionnelle fédéral ne parvient toujours pas à planifier et exécuter des contrats avec le sérieux que la criticité de sa mission et son coût méritent, et ne parvient pas à gérer au jour le jour les politiques départementales et les règles de surveillance sur le terrain."
-
(Associated Press via Romandie.com pour cette section) Le rapporteur se dit "profondément inquiet de constater que l'armée des Etats-Unis peut traquer, attaquer et même tuer des terroristes et leurs soutiens, mais que certains membres du gouvernement jugent impossible d'empêcher ces mêmes personnes d'obtenir un contrat". "John Sopko, l'inspecteur général pour la reconstruction, explique que l'armée n'a pas suivi son conseil de ne plus accorder de contrat à ces personnes ou ces groupes."
"Le Sigar ne donne ni l'identité ni la nature des activités de ces 43 groupes, mais précise que 80 % d'entre eux sont afghans et qu'ils représentent en tout plus de 150 millions de dollars (115 millions d'euros) de contrats. Un porte-parole de l'armée américaine a réagi au rapport en soulignant que les preuves fournies par le Sigar ne se basaient que sur des sources anonymes et des informations du département du commerce, et n'étaient pas suffisantes pour exclure les entités concernées." On peut néanmoins s'interroger sur la prudence des autorités américaines, dans une zone troublée comme l'Afghanistan autant ne pas prendre de risques dans l'octroi de contrats de cette importance. Ce n'est pas au rapporteur de rapporter la preuve formelle d'un lien avec les talibans. Mais à l'armée de s'interroger sur certains de ces liens éventuels et d'agir en conséquence. - Malicieusement il cite Thomas Jefferson quand celui ci s'inquiétait de certains aménagements fluviaux et ou Washington avait poliment décliné s'y intéressé. Celui ci avait alors déclaré : "Les entreprises publiques sont gérés de manière inconsidérée et beaucoup d'argent dépensé pour peu de choses". Le rapporteur ajoute que la préoccupation de Jefferson vit toujours à l'autre bout du monde.
-
Le rapport est parcouru de citations mises en exergue en guise de transition :
- "Nos inspecteurs généraux sont les yeux et les oreilles des contribuables au sein de chaque Agence fédérale : ils sont ceux qui protègent nos recettes fiscales du gaspillage, et ce sont eux qui révèlent les abus de pouvoir des fonctionnaires fédéraux. Leur travail est ce qui peut donner au peuple américain confiance dans le fait que leur gouvernement fonctionne comme il le devrait ».
- "Vous devez aller botter les pneus. Vous devez vous assurer que quelqu'un en qui nous avons confiance sorte et fasse de manière certaine ce pour quoi de l'argent
a été mobilisé. Vous devez vérifier que l'argent qui vous est donné pour acheter du carburant achète le carburant ". -
A partir de la page 72 du rapport de nombreux graphiques témoignent des dernières données relatives à la sécurité et aux montants en jeu dans les opérations de reconstruction (montants dont il faut se souvenir qu'ils sont parfois mal alloués) :
- On peut apprendre que si cumulativement depuis 2002 on atteint presque les 100 milliards de dollars investis cette part est en diminution cette année par rapport à 2012 et que l'engagement est clairement en déclin depuis 2010 (contexte budgétaire sans doute).
- Ces 100 milliards ont été engagés de la manière suivante : 54 milliards pour la sécurité, 26 pour la gouvernance et le développement, 7 pour lutter contre les narcotiques, 8 pour le contrôle et d'autres opérations, et 3 pour l'humanitaire.
- Signe que la situation ne s'améliore pas, l'Afghanistan Security Forces Funds demande un budget supérieur de 2 milliards de dollars à celui de l'année précédente (même si certains crédits sont conditionnels). - La stratégie d'éradication des cultures d'opiacés est pour le moment un semi-échec selon le rapport puisque la part de surface cultivable n'a réduit que de 4% depuis 2008 (elle avait diminué plus fortement avant un retour à la hausse). Tout en soulignant que cette stratégie peut être efficace car les agriculteurs peuvent en avoir peur, le rapport souligne que cela peut délégitimer les autorités locales au profit des talibans.
- Les efforts internationaux pour faire prévaloir le droit est également un semi-échec, les afghans ont la perception d'une justice totalement corrompue et utilisent pour moitié la justice "formelle" réelle, et pour l'autre moitié une justice informelle.
- La fraude et la corruption empêchent les recettes tirées des douanes d'arriver correctement. Les objectifs budgétés ne sont pas atteints depuis 2 ans.
- L'Afghanistan a échoué à améliorer ses résultats en matière de droits de l'homme dans un contexte ou le nombre de civils tués a augmenté de 25% entre fin janvier et fin avril.
-
Alors que le PIB afghan a été stimulé à grands coups de dépenses publiques internationales ces dernières années, la diminution de celle-ci dans un environnement non apaisé et "l'atténuation de la confiance des entreprises et des investisseurs" va plonger l'Afghanistan dans une profonde récession selon la Banque Mondiale sur la période allant jusqu'à 2018 (entre -4 et -6% annuel).
Etc...
2 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON