Dialogue libano-syrien ou monologue syrien ?
(les incertitudes de l’été 2008)
Le 12 juillet dernier fut marqué par la rencontre du président libanais, Michel Sleiman, et de son homologue syrien, Bachar El Assad. Cette rencontre signe le début d’une nouvelle phase dans la relation libano-syrienne pour le moins tumultueuse. Le 6 juin 1976, les troupes syriennes rentrent au Liban suite à la guerre de 1975. Octobre 1989 : les accords de Taëf sont promulgués et déclarent : « Le Liban, arabe d’appartenance et d’identité, est lié par des relations fraternelles et sincères avec tous les Etats arabes et entretient avec la Syrie des relations particulières qui tirent leur force du voisinage, de l’histoire et des intérêts fraternels communs ». En mai 1991, le traité syro-libanais de "fraternité et coopération" concrétise la suprématie syrienne. Après l’assassinat de Rafic Hariri, des centaines de milliers de Libanais manifestent contre la présence syrienne au Liban. Le 26 avril 2005 marque le départ des dernières troupes syriennes. Mais depuis, de nombreuses questions restent en suspens, entre autres, la libération des détenus libanais en Syrie, la délimitation des frontières, ainsi que la création d’ambassade. Peut-on qualifier ce sommet d’historique comme le fut, en 1959, le sommet Nasser-Chéhab qui inaugura alors de bonnes relations entre les deux dirigeants ?
Concernant la libération des détenus en Syrie (650, selon les ONG), les Libanais déplorent le refus de coopération de la part des Syriens. Le ministre syrien des Affaires étrangères, Walid Moallem a d’ailleurs déclaré à ce sujet : « cette question est épineuse et complexe, son règlement requiert la mise au jour des fosses communes dans les eaux et le sol libanais ». Ghazi Aad (directeur du comité de soutien aux Libanais détenus et en exil, SOLIDE) ajoute à ce propos : « Malheureusement après une attente, vieille de près de trente ans, la Syrie n’avoue toujours pas qu’elle détient des Libanais ». Il qualifie ce déni de « crime contre l’humanité ». Au déni, s’ajoute le mépris, celui des morts et de leur mémoire. Walid Moallem joue sur la confusion de deux dossiers, ceux des morts que l’on peut imputer à la guerre (et donc à plusieurs partis différents) et celui des détenus libanais dont il est justement question. Pourquoi salir ainsi la mémoire des morts en les renvoyant aux « fosses communes » ? Pourquoi ternir, par des propos si offensants, un sommet qui se veut « fraternel » ? La Syrie n’en a peut-être pas fini avec ses démons du passé…
Autre déception, celle-ci à propos de la délimitation des frontières. Le ministre syrien a estimé "qu’il était impossible de tracer les frontières syro-libanaises au niveau des fermes de Chebaa tant que le secteur restera occupé". Les fermes de Chebaa ont toujours constitué un lieu stratégique. En 2005 déjà, le Premier ministre syrien avait refusé la demande du Premier ministre Fouad Signora concernant une fixation précise des frontières dans la région de Chebaa. Le problème est le suivant : si les fermes de Chebaa sont déclarées libanaises, elles tombent alors sous la résolution 425 de l’ONU qui contraint Israël à évacuer tout le Liban. En revanche, si elle sont déclarées syriennes, elles restent soumises à la résolution 242, relative au territoire syrien occupé. Maintenir un flou juridique dans cette zone, au confluent des trois frontières libanaise, syrienne et israélienne, permet de justifier la lutte armée du Hezbollah au sein du Liban. Le Hezbollah peut ainsi prétendre qu’Israël occupe encore un territoire libanais pour continuer de mener sa guerre. N’oublions pas que le Parti de Dieu est largement financé par l’Iran et qu’il constitue un atout majeur pour la Syrie à l’intérieur du territoire libanais. La Syrie ne perd donc pas de vue ses intérêts. Israël non plus ne joue pas la carte de la négociation. Les fermes de Chebaa possèdent plusieurs avantages : grâce à sa position géographique, en effet, ce versant montagneux contient une station de « pré-alerte » maîtrisant l’ensemble de la région, singulièrement pratique pour un contrôle sécuritaire des voisins hostiles. De plus, le potentiel aquifère de cette zone n’est pas négligeable. Mais, Israël n’en ignore pas non plus l’importance stratégique : conserver les forces du Hezbollah, c’est justifier en partie la politique militariste d’Israël. Cette région est donc au cœur de toutes les attentions, elle exacerbe les tensions et sert de prétexte aux extrémismes israélien et islamiste.
Si l’on peut citer un point réellement positif, c’est bien l’établissement de relations diplomatiques. Une avancée historique entre deux pays qui avaient cessé de tels échanges depuis la fin du mandat français, il y a soixante ans. Mais là aussi, il faut être prudent. Le régime syrien est à bout de souffle : la stagnation de la croissance est une réalité. Ne serait-ce pas là une concession faite à l’Occident, pour que notamment cesse la marginalisation économique d’une Syrie, qui manque désespérément de capitaux pour son développement ? On peut d’ailleurs souligner à ce propos la visite à Damas de Kouchner, la première depuis le gel des relations franco-syriennes suite à l’assassinat de Rafic Hariri.
De plus, il est raisonnable de craindre à une sorte d’Anschluss : les deux ministres de l’Intérieur parlent déjà d’une fusion des ambassades à l’étranger. La création d’ambassade serait une excellente chose si on se référait à la définition communément admise. Elle serait plutôt à craindre dans le sens où semble l’entendre la Syrie, c’est-à-dire une manière de mieux contrôler son voisin qu’elle a longtemps considéré comme une province syrienne.
Nada Maucourant (Beyrouth)
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