Dick Marty, commissaire des Droits de L’Homme ?
En Suisse, on doit au magistrat Dick Marty entré en politique, la dépénalisation de l’avortement, l’introduction d’un Ministère public dans la Confédération et même la création du Tribunal Pénal Fédéral à Bellizone, entre autres. Mais voilà : il annonce qu’il ne se représentera plus aux élections et que par conséquent, il ne pourra plus siéger comme parlementaire au Conseil de l’Europe à Strasbourg (CE) où il a accompli un travail extraordinaire et sans concession.
Une nouvelle mission sur mesure ?
Il faut espérer que cet homme d’exception n’en restera pas là. Au Conseil de l’Europe on parle très haut et fort de lui pour la fonction de Commissaire Européen aux Droits de l’Homme en remplacement de Thomas Hammarberg dont le mandat s’est achevé et n’est pas renouvelable. Bien entendu, il faudra qu’il le veuille et que les parlementaires qui l’ont ovationné pour son départ, l’élisent, ce qui est plus que probable.
Non judiciaire cette fonction ? (cf plus haut). Certes, mais d’une portée immense sur toute la planète et à laquelle le bientôt ex-sénateur tessinois s’est magistralement préparé.
Parcourant le Monde en veilleur infatigable de la Démocratie, Dick Marty, en quelques mots confiés à « swiss.info.ch », énonce ses principes et on pourrait y déceler un programme :« Je crois que celui qui s’engage à Strasbourg partage tout au moins des valeurs communes fondamentales, à commencer par la Convention européenne des Droits humains. Face aux changements géopolitiques mondiaux - avec une Asie en forte croissance, une Amérique latine en phase de reprise et une Afrique, qui tôt ou tard, se réveillera à son tour - la défense de ces valeurs prend toujours plus d’importance.
C’est la survie même de notre culture qui est en jeu, parce que ces valeurs ont été une part essentielle de l’histoire européenne. Et aussi de celle de la Suisse. Cette dimension historique et humaniste ne peut être oubliée, même si, malheureusement, elle a pratiquement disparu du discours et des priorités des partis suisses ».Et ailleurs ?
Pas trop de discours cependant, des actes !
De son action, de ses enquêtes minutieuses, de ses révélations, deux rapports explosifs auront marqué sa carrière au CE et répandu une stupéfaction générale. Ils resteront dans les annales.
La révélation des prisons secrètes de la CIA.
Dès 2005 Amnesty International, relayé rapidement par le Washington Post dénonçait un nouvel « archipel du Goulag » (paix au géant Soljenityne) mis en place par l’administration G.W Bush, sous la forme d’un vaste réseau mondial, hors de tout cadre juridique, de prisons secrètes.
Dès juin 2006, Dick Marty remettait un rapport définitif sur les « allégations de détention secrète dans des Etats membres du Conseil de l’Europe ». Après le traumatisme du 11 septembre, la « guerre contre le terrorisme » oblige et dès lors excuse !
Trois mois plus tard, le président des USA reconnaît l’existence, hors des States et hors Guantanamo, de prisons secrètes de la CIA. Avec son talent et sa finesse habituels, il déclare, droit dans ses bottes « la source la plus importante sur les endroits où les terroristes se cachent et sur ce qu’ils préparent sont les terroristes eux-mêmes » et c’est la promulgation du Military Commission Act voté par le Congrès.
Dick Marty en analyse sans concession, les effets sur le traitement des prisonniers qui doivent parler à tout prix .
Suède,Bosnie, Royaume-Uni, Italie, Macédoine , Allemagne et Turquie et d’autres, sont impliqués pour « violation du droit des personnes ». En conclusion, il n’y aurait pas à proprement parler, dans l’Europe des 47 de « camps de prisonniers » de la CIA du type Guantanamo mais, mais, ici ou là, des « transits, déplacements, des points de rencontre, des interrogatoires ». Le travail de l’enquêteur suisse requerrait bien plus d’encre et puis, d’autres missions l’appellent.
Le Kosovo et le trafic d’organes.
A ce sujet j’ai publié ici un billet lors de la première session 2011 du CE ( cf Kosovo : d’odieuses représailles. Le Conseil de l’Europe tente de réagir).
Il faisait état du rapport de Dick Marty qui venait confirmer, après enquête approfondie, les accusations de Carla del Ponte, ex-procureure générale auprès du Tibunal Pénal International pour la Yougoslavie.
L’épilogue est en vue car un (pour le moment, d’autres suivront) procès, vient de débuter le 4 octobre. Eulex, organisme de l’Institution Européenne avec mission de justice, de police et de douane au Kosovo, précise que sept inculpés comparaissent devant un tribunal composé de deux juges européens (UE) et un juge kosovar, le réquisitoire revenant à un procureur européen, M Jonathan Ratel. Les prévenus sont accusés de « un ou davantage de délits de trafic de personnes, criminalité organisée, exercice illégal de l’activité médicale et encore d’avoir outrepassé leurs fonctions ». Parmi eux des médecins et même un intermédiaire israélien encore recherché comme un médecin turc, surnommé Dr.Frankenstein dans son pays.
En marge de la dénonciation de cette effroyable activité criminelle, Dick Marty tenait également à rétablir une vérité fondamentale et indispensable à une réconciliation souhaitée : « les crimes de guerre perpétrés par le gouvernement de Milosevic et ses sbires furent horribles mais, depuis des années, plusieurs rapports de police, des services secrets et des agences internationales, dénonçaient les crimes commis par les deux parties et la collusion entre politique et crime organisé dans la région ». Il suffisait donc de le dire tout haut !
Aveugle à la naissance, le parlementaire suisse n’a trouvé la vue qu’à l’âge de six ans.
Comme s’il avait, durant cette longue nuit, accumulé des réserves, il profite à présent d’une lucidité éblouissante. L’Europe et toute la planète gagneraient à se doter d’un tel « veilleur » sur le respect de la démocratie et des droits de l’homme.
Antoine Spohr.
Article publié également sur Médiapart.
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