Dieu les sauve
L’incident Geremek n’est que la partie visible de l’iceberg polonais, où la politique d’une droite dure ressemble de près à celle que pourrait mener le prochain président de la République française.
Anne* est enceinte. Bonne nouvelle. Seulement, lors des divers examens de contrôle effectués, un médecin détecte une complication : si elle accouche, Anne pourrait perdre la vue. Bien que l’avortement soit autorisé dans les cas extrêmes comme celui qui la frappe, elle ne parvient pas à trouver un médecin qui accepte de lui délivrer le certificat médical qui pourrait la sauver. Finalement, Anne a mené sa grossesse à son terme, son enfant va bien. Et elle est pratiquement aveugle.
Cécile et Jacques*, un couple d’enseignants, ont déjà un enfant, qui est malheureusement touché par une maladie très rare et qui est considéré comme handicapé. Pour s’occuper de l’enfant qui nécessite une attention permanente, Cécile a dû abandonner son emploi. La vie est dure avec un seul salaire, les loyers ne sont pas donnés et l’Etat ne fournit aucune aide financière. Cécile prend la pilule afin d’éviter tout accident... et pourtant, un jour, elle tombe de nouveau enceinte. Craignant que son deuxième enfant puisse naître handicapé lui aussi, elle requiert, comme la loi l’autorise, une amniosynthèse. Son médecin lui répond, arrogant, que tout ira bien pour son enfant et il refuse de lui accorder ce droit élémentaire. Le deuxième enfant de Cécile et Jacques naîtra finalement handicapé.
Ces deux histoires vraies se sont déroulées ces dernières semaines en Pologne. La droite parlementaire au pouvoir projette d’établir une loi limitant l’accès à la contraception en en réduisant drastiquement le remboursement, et l’extrême droite, véritable cheval de Troie lové au coeur du pouvoir tenu par les frères népotiques Kaczynski, pratique un lobby intense pour interdire la contraception (l’avortement est illégal en Pologne). La contraception disparaît des manuels scolaires, et les écoliers doivent désormais s’en tenir à la version officielle (le retrait avant éjaculation) ou plus prosaïquement aux "trucs" transmis oralement, si l’on peut dire. Tout est fait pour que les Polonais retrouvent (malgré eux) les chemins dorés de la natalité, mise à mal il est vrai depuis quelques années à un niveau impressionnant. Le durcissement économique et moral du pays, qui cause de plus en plus d’expatriations - notamment des professions sensibles, par ailleurs recherchées dans les pays frontaliers plus riches d’Europe occidentale, comme les médecins et les chirurgiens -, donne le vertige aux statistiques et aux prévisions de croissance d’un pays qui veut trouver sa place parmi "les grands". L’incapacité notoire du pouvoir en place, droite dure qui manie le conservatisme et le libéralisme à la sauce populiste et ferait passer Villiers pour un enfant de choeur, enfonce le pays en le sermonnant chaque jour sur des aspects de la vie morale qui dissimulent mal les autres priorités (chômage, santé, agriculture...) : soyez plus droit que votre voisin et le pays se redressera.
Cette double manipulation (c’est de votre faute, pas de la nôtre - et soyez honnête, Dieu vous le rendra) plonge peu à peu la Pologne dans des affres que beaucoup croyaient définitivement broyées avec la chute du Mur - chute entraînée en grande partie, rappelons-le pour l’ironie du sort, par les efforts précurseurs des Polonais pour faire face au pouvoir soviétique. La Pologne revit actuellement dans le cauchemar permanent du secret, de la dénonciation "citoyenne" et de la purge. L’exemple frappant, le plus médiatisé à ce jour, est la destitution de Bronislaw Geremek de son mandat de député européen contre son refus de se soumettre à la "question", de son fichage public, auquel chaque personnalité politique doit aujourd’hui se soumettre pour prouver qu’il n’a pas fricoté avec les cocos dans les années sombres. Geremek, professeur d’histoire de centre-droit éminement respecté (il a notamment enseigné à la Sorbonne), figure incontournable du mouvement Solidarnosc, conseiller de Walesa, président de la Fondation Jean-Monnet, est aujourd’hui voué aux gémonies par le pays qu’il a fortement contribué à émanciper et qui est, aujourd’hui, sur le point de disjoncter parfaitement.
Car la Pologne disjoncte. Cécile, Anne et Jacques, comme d’autres Polonais frappés par le sort, auraient pu être heureux s’ils avaient vécu dans un pays où l’avortement est autorisé, où la contraception n’est pas regardée comme le Huitième Péché, et surtout dans un pays où leur médecin aurait pu pratiquer un diagnostic quasi vital en l’absence de toute pression sociale. Dans un pays où l’Etat leur accorderait des allocations financières répondant à leur incapacité à faire face au malheur. Dans un pays où il ne serait pas nécessaire de prendre des risques considérables en pratiquant l’avortement sous le manteau (pour ceux qui n’ont pas les moyens de le faire en Allemagne ou en Suède). Dans un pays où on ne parlerait pas de projet de loi interdisant de mentionner l’homosexualité dans les enceintes scolaires. Mentionner, juste évoquer - alors enseignants gays, tremblez ! Dans un pays où, sous couvert de moralité et de probité portées en religion d’Etat, les fonctionnaires sont (re)devenus les modèles de perfection qu’ils ont déjà été sous d’autres régimes.
Un exemple : suite à un accident, Carole* tombe dans un coma profond, qui s’éternise. Elle est la mère d’un petit enfant que le père ne parvient pas à gérer seul. Les parents du mari, bien que de condition très modeste, prennent donc en charge l’enfant par solidarité. Rapidement, la situation est intenable financièrement, et le beau-père demande donc à l’Etat de lui verser une pension comme la loi le prévoit. Face au refus de l’administration et à l’épuisement des recours, il est obligé d’intenter un procès à sa pauvre bru (dans le coma, donc) afin d’obtenir un document médical stipulant que la mère n’est pas en mesure de s’occuper de l’enfant. La procédure pour récupérer quelques zloty a duré cinq mois. C’est une histoire vraie.
Les femmes, particulièrement, sont devenues le véritable bouc émissaire de la société. Les droits des femmes sont régulièrement bafoués, le code du travail sans cesse trahi comme en témoignent les milliers de femmes dans l’incapacité de retrouver leur emploi après la maternité, les féministes qui s’affichent publiquement comme telles sont raillées par la classe politique gouvernante qui les traite d’hystériques - la liste des griefs quotidiens est longue. Le modèle de société rêvée par les frères Kaczynski et leurs coreligionnaires : un homme qui travaille dur et honnêtement, une femme au foyer qui pond des gosses en grand nombre et obéit à son mari, une famille qui tombe rarement malade (le bien-être suffit à sa peine) car les soins ne sont accessibles qu’à ceux qui le désirent. Comme aux Etats-Unis, modèle de liberté historique pour la Pologne (qui a renoncé au pacte de Varsovie pour intégrer l’Otan avant l’Union européenne, souvenons-nous en), la Santé est quasi privée. Les retraites sont quasi privées. Comme aux Etats-Unis, le chef de l’Etat lance des "Dieu vous garde" à tout bout de champ.
Cette "droite-toute" à l’américaine, que la Pologne a désormais choisi et qui la rend sans doute comme la plus infréquentable et la plus honteuse nation d’Europe, est celle que Nicolas Sarkozy veut pour la France. Bon vote à vous.
* Prénoms modifiés
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