Du pain et des jeux
La conversation allait bon train vendredi, à la pause de midi. Elle rebondissait joyeusement des uns aux autres. On discutait cinéma, sport, on taillait un peu les collègues. Et puis je ne sais ce qui m’est passé par la tête, j’ai orienté la discussion sur l’attentat commis contre l’équipe du Togo pendant la Coupe d’Afrique des Nations cette année. Parole innocente, je m’étonnai que la compétition ait pu continuer après le drame vécu par cette équipe. Silence. Regards appuyés. Quelle ineptie avais-je donc bien pu proféré ?
Pour rappel, les faits qui ont pu nous parvenir en Europe sont les suivants. La compétition se déroule cette année en Angola, dans une zone encore peu sécurisée, l’enclave de Cabinda. Un mouvement séparatiste, le Flec-PM (Force de Libération d’Etat Cabinda – Position Militaire) est en lutte contre le gouvernement de Luanda pour obtenir l’indépendance de cette région. La conservation de celle-ci dans le giron Angolais est un enjeu de taille pour Luanda, car une part importante de l’or qu’il extrait provient de cette province. L’Angola a donc eu recours à une force militaire importante de près de trente mille soldats sur place (pour une population locale de trois cent mille personnes) pour contrer la menace terroriste durant le tournoi. En dépit de cet important dispositif, trois jours avant le début de la compétition, l’équipe Nationale du Togo est victime d’un attentat lors d’un déplacement en bus depuis Pointe Noire, au Congo Brazzaville, pour rejoindre le lieu de la compétition. Le bus est mitraillé. Deux personnes sont tuées : l’entraîneur adjoint et l’attaché de presse de l’équipe. Deux autres sont blessées, le gardien remplaçant et le chauffeur du bus de l’équipe.
Dans ce contexte tragique, quelles auraient dû être les conséquences immédiates à tirer ? Que devient une compétition sportive face à la violence qui se déchaîne, la mort qui frappe aveuglément, la perte de ses proches ? Seule une annulation de la compétition, a minima un ajournement sine die, en symbole de soutien des autres nations, et par respect pour les victimes et leurs familles, aurait dû logiquement s’ensuivre. C’est bien sûr l’option qui n’a pas été suivie. En effet, on oppose traditionnellement l’argument suivant : annuler serait signifier aux terroristes leur victoire. Il faut continuer, à tout prix. N’est ce pas plutôt lorsque la valeur des vies humaines n’a plus assez de poids pour faire pencher la balance en faveur de la dignité et du respect, face aux enjeux politiques et commerciaux que la partie est perdue ? On peut tout de même s’interroger sur le choix de cette province explosive pour disputer la compétition africaine cette année. Clairement, l’objectif est double pour l’Angola : justifier un déploiement militaire massif, et montrer à la face du monde son emprise sur cette région. Comme à l’accoutumée pour des manifestations de cette ampleur, l’enjeu sportif est largement dépassé par la géopolitique. La compétition sert de caution à des agissements à visée politique. Les joueurs sont de petits soldats de plomb, enrôlés malgré eux dans des combats dont les enjeux dépassent largement la détermination de la meilleure équipe du continent africain.
L’affaire (le cynisme ?) va plus loin. Suite à cette tragédie, un deuil national de trois jours a été décrété au Togo, et l’équipe nationale a été rappelée à Lomé, la capitale. Les joueurs n’étaient donc pas présents pour le coup d’envoi de leur match d’ouverture. Résultat : ils sont exclus de la compétition. Cerise sur le gâteau : la CAF, (Confédération Africaine de Football) annonce le 30 janvier 2010 la suspension de l’équipe du Togo pour les deux prochains Coupe d’Afrique des Nations. Double peine pour une équipe déjà meurtrie.
Bilan : une équipe mitraillée, exclue de la compétition. La CAN organisée dans une région séparatiste par Luanda pour s’en assurer un meilleur contrôle. Deux morts dont la mémoire est foulée aux pieds, sacrifiés sur l’autel de l’intérêt d’état Angolais. Les autres nations, bien loin de condamner ce calcul politique, le cautionnent au plus haut point, et condamnent les victimes à ne pas disputer les deux prochaines compétitions, puisqu’elles ont osées mettre en péril l’organisation du tournoi annuel par leur absence. A tous les joueurs africains : pour la mémoire de vos frères disparus, mettez-vous en grève ! Ne servez pas aveuglément les intérêts individualistes des états. Le mépris pour la vie humaine est trop officiel, trop limpide. Ne savez-vous pas que les gladiateurs doivent mourir ?
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