Du puritanisme illusoire
La vie politique est un spectacle fort distrayant, quelquefois l’on n’a guère besoin d’aller au cinéma pour être spectateur des plus grandes comédies, elles nous sont servies par ces acteurs, souvent plus amateurs que professionnels, qui nous racontent chaque jour de drôles d’histoires.
Elle enfle de plus en plus la rumeur, au point désormais de captiver l’attention des medias américains friands en cette période de campagne présidentielle de petits ragots qui viennent pimenter l’affrontement entre le républicain Mc Cain et son rival démocrate Barack Obama. A côté des gros dossiers que sont l’économie, la sécurité intérieure, la guerre en Irak ou la menace iranienne, l’idylle supposée du sénateur de l’Illinois Barack Obama avec l’actrice Scarlett Johannson est devenue un sujet d’actualité alimenté quotidiennement par de nombreuses spéculations. Embarrassante affaire, l’état-major du candidat Barack Obama tente de désamorcer une polémique dont il aurait pu se passer, surtout à un moment où le sénateur métis est sous le feu des (néo)conservateurs et subit le tir groupé de l’aile évangéliste du Parti républicain.
Tout a commencé par une déclaration de la jeune « star » hollywoodienne à Politico dans laquelle elle affirmait avoir entretenu pendant un certain temps une relation « intéressante » avec Barack Obama. Maladroite ou naïve, cette sortie de la jeune actrice n’a pas manqué de susciter un intérêt particulier chez les journalistes américains. Pendant que les commentateurs de la Fox y voient les prémices d’un nouveau scandale dont les démocrates ont décidément le secret[1], d’autres par contre tempèrent et estiment qu’il ne s’agit-là que du « fantasme » d’une « petite bimbo » qui peine à exister après avoir assistée au « massacre » presque à la tronçonneuse de son premier album (sans doute le dernier) par une critique impitoyable. Quoi qu’il en soit, Scarlett Johannson a lâché une véritable bombe dont les conséquences sur le vote de novembre prochain sont difficiles à estimer, d’autant plus que l’élection devrait être plus serrée que l’on ne le pense.
L’histoire tourne autour d’un échange d’emails entre le sénateur et l’actrice dont le contenu n’a pas encore été rendu publique. Naturellement, les versions divergent que l’on soit pro-Obama ou non. Du côté du candidat démocrate, il y aurait dans cette affaire plus de fumée que de feu, Barack Obama lui-même est monté au filet en livrant sa propre interprétation de l’histoire. Il s’agirait uniquement d’un email envoyé par Scarlett Johannson dans lequel elle exprime son engagement personnel dans la campagne démocrate. Sans plus ni moins. Et le sénateur affirme lui avoir répondu par un autre email en soulignant qu’il « appréciait » son geste et ses efforts. Une tentative d’explication qui, loin de calmer l’euphorie médiatique, a été vite balayée par la nouvelle « blague » de Scarlett sur le fait que Barack Obama et elle, c’était du « sérieux »[2], pour paraphraser un illustre metteur en scène politique. Provocation ou vraie déclaration ? Après le républicain Mc Cain soupçonné d’entretenir une relation extraconjugale avec une journaliste, l’affaire « Scarlett Johannson » montre une fois de plus que le monde de la politique reste profondément régit par une règle immuable, celle de la double vie et des liaisons dangereuses.
Le magazine Vanity Fair publiait dernièrement un article intéressant sur la liaison présumée de Bill Clinton - encore lui - avec la comédienne Gina Gershon. Evidemment les concernés ont vigoureusement démenti, surtout qu’à cette époque Hillary Clinton était encore dans la course aux primaires démocrates. Que les hommes politiques aient des « maîtresses » ce n’est pas un fait nouveau, au contraire. Ce qui semble déranger bon nombre de personnes, c’est que les politiciens se sentent obligés d’en faire « trop » en martelant inlassablement des discours de parfaits époux et pères de familles idéaux, alors qu’ils mènent pour la plupart des vies parallèles. Un parallélisme qui contraste avec la sincérité et la foi en des valeurs que l’on défend fermement et hypocritement. L’exemple de ce sénateur républicain qui fut contraint à la démission en 2007 pour avoir eu une attitude « indécente » dans les toilettes d’un aéroport américain. Lui qui était un féroce pourfendeur de la cause homosexuelle et grand défendeur des principes familiaux et chrétiens[3], se trouvait accusé d’avoir sollicité les services d’un prostitué « gay »[4]. Plus grave encore, ces escapades peuvent compromettre la sécurité nationale, comme la relation tumultueuse de l’ancien ministre des Affaires étrangères canadien avec une ancienne prostituée liée à un gang douteux. Il avait oublié chez sa maîtresse des documents confidentiels sur la stratégie militaire et diplomatique de la présence canadienne en Afghanistan. Acculé par l’opposition, le Premier ministre canadien, Stephen Harper, fut obligé de se séparer de ce collaborateur devenu encombrant.
La vie politique est un spectacle fort distrayant, quelquefois l’on n’a guère besoin d’aller au cinéma pour être spectateur des plus grandes comédies, elles nous sont servies par ces acteurs, souvent plus amateurs que professionnels, qui nous racontent chaque jour de drôles d’histoires. Comme celle par exemple de John Kerry, transparent candidat démocrate, qui lors de la campagne présidentielle en 2004 martelait à tous qu’il incarnerait un nouveau leadership face au « bushisme » de l’administration américaine sortante, qu’il serait l’homme du renouveau américain, en même temps son directeur de campagne reconnaissait timidement que le candidat avait un « girlfriend problem »[5]. De Morgan Fairchild à Jane Fonda, les aventures féminines de John Kerry, révélées au grand public en 2004, l’ont rendu méprisable aux yeux de nombreux Américains, pourtant considéré comme l’un des héros de la guerre du Vietnam. Ce désaveu populaire est sans doute l’une des raisons qui lui ont fait perdre la présidentielle américaine. En 2008, l’histoire est-elle entrain de se répéter ? La question reste posée. Barack Obama souhaite aussi incarner le « changement », en finir avec les pratiques de l’establishment et permettre l’éclosion d’une nouvelle conscience politique. Il faudrait d’abord qu’il se mette en accord avec ses propres convictions. Car, au-delà des discours, c’est l’image qui compte. Et comme dans tout régime qui se respecte, l’image du politique est systématiquement liée à un comportement exemplaire, à une attitude traditionnellement morale que ce soit dans l’espace public ou dans la sphère privée. D’où l’exigence du « double standard » selon la formule de Marcia Lynn Whicker[6]. Une exigence qu’aucun politique sérieux ne peut ignorer.
Les affaires extraconjugales parviennent donc à mettre à mal ce « double standard » et participe de l’érosion de la crédibilité[7] du politique face à une opinion biaisée. Face à de tels scandales il est plus compliqué de faire passer des réformes, de gouverner sereinement et d’exécuter le programme pour lequel on a été élu. Les présidents français en général, faute d’être de parfaits époux - l’homme n’étant qu’homme après tout -, se sont toujours arrangés pour que leurs « errances » ne puissent souffrir d’aucune publicité, surtout venant des médias, afin de gouverner plus sereinement. Comme l’ont souvent claironné les journalistes français, interrogés sur le déballage public de l’intimité du président Sarkozy, avec Mitterrand[8] et Chirac affirment-ils « tout le monde savait mais personne ne disait rien ». L’actuel président français lui-même n’a-t-il pas justifié cette « transparence » dans la gestion de sa vie privée en invectivant plusieurs fois lors d’interviews la mauvaise foi et l’opacité de ses prédécesseurs[9]. Mais, face à la présidence décomplexée française et newlookée qui assume pleinement ce revirement, le conservatisme voire le puritanisme américain est plus que jamais prononcé. Malgré les accusations d’infidélité répétées, le président américain George W. Bush s’est efforcé depuis des années de démentir autant que possible des révélations sur ses liaisons extraconjugales supposées dont l’une avec la secrétaire d’Etat Condoleezza Rice[10]. Si son penchant pour les femmes, la drogue et la bière avant sa carrière d’homme politique est établi, le personnage affirme avoir changé grâce à sa « rencontre » avec « Dieu ». La morale puritaine est devenue « la » mesure de tous les politiciens américains depuis la montée des responsables politiques convertis au christianisme évangélique dans les années 1800[11]. Combien de candidats se sont-ils déclarés en faveur d’une loi autorisant l’avortement ? Le mariage homosexuel ? Lorsqu’on observe comment John Mc Cain et Barack Obama courtisent les gourous télévangélistes, cette envie de grainer le moindre soutien, il est indiscutable que l’élection présidentielle se joue essentiellement là.
La culture politique américaine est caractérisée par un mouvement conservateur fort qui s’est imposé dans les années 1980 avec le président républicain Ronald Reagan, mais aussi par le télévangéliste Jerry Falwell[12]. On a assisté à une éclosion des valeurs chrétiennes et à un retour au rigorisme moral, qui se sont traduits paradoxalement par une duplicité de la classe politique américaine. D’ailleurs, le cas de Gingrich illustre à merveille cette schizophrénie des hommes politiques américains. Il a commencé sa carrière politique en 1978 avec le slogan « Let our family represent your family » reflétant son attachement aux valeurs familiales, à la même période il trompait sa femme avec Anne Manning[13], comme cette dernière l’a affirmé plus tard, en 1995. Bien avant lui, il y eut Thomas Jefferson, considéré comme l’un des plus grands présidents américains, qui entretenait une liaison passionnée avec Sally Hemings, une esclave rencontrée à Paris avec laquelle il eut cinq enfants dont un seul, Madison, put atteindre l’âge adulte. Woodrow Wilson, autre président américain avec une maîtresse avant de devenir président en 1912 ainsi que Warren G. Harding, eut un enfant avec une fille d’à peine 18 ans, Elizabeth Ann qui écrivit un livre en 1927. Warren Harding restera dans l’histoire politique américaine comme celui qui, à cause de sa relation avec une autre femme, Carrie Fulton Phillips, mit le Parti républicain dans une position délicate en l’obligeant à céder à un vraie rétorsion de fonds. En effet quand Warren Harding fut désigné pour être le candidat républicain à la présidentielle, Phillips réclama que le Comité national républicain lui payât une pension de cinquante mille dollar (à l’époque c’était une modique somme d’argent) en échange de son silence. Franklin D. Roosevelt aima tellement sa maîtresse, Lucy Mercer, qu’elle fut présente à ses côtés dans ses derniers instants, leur histoire dura approximativement trente ans. Dwight D. Eisenhower[14], John F. Kennedy[15], Lyndon B. Johnson[16], Bill Clinton, tous ces présidents américains, tous essayant de coller à l’image de ce puritanisme politique américain, qu’ils soient démocrates ou républicains, ont été dans la sphère privée souvent très distant de cet idéal revendiqué.
La polémique autour de Barack Obama et sur sa prétendue liaison avec Scarlett Johannson paraît donc conforme à cette duplicité. Marié à Michelle Obama à qui il doit « tout », jusqu’ici père de famille idéal, il avoue volontiers ces errements de jeune étudiant, consommation de drogue entre autres, dans un livre autobiographique, mais jamais de « dérapage » depuis sa rencontre avec la probable future first lady. Peut-on croire en cet angélisme presque papal ? Ou comme le présentateur du Daily Show, Jon Steward, parler d’une affaire « rocambolesque » et « artificielle » ? Surtout lorsqu’on remarque que d’autres candidats à l’élection présidentielle de cette année ne sont pas exempts de tout reproche. Le cas Giuliani, maintes fois remarié, prétendant à la vice-présidence aux côtés de Mc Cain, se passe de commentaires. Qui peut oublier qu’il annonça son intention de divorcer à sa femme Donna Hanover au cours d’une conférence de presse improvisée, sans que celle-ci n’ait été informée auparavant ? En 1979, Mc Cain, marié, faisait assidûment la cour à une jeune fille « aussi belle que riche »[17]. Il divorça de sa première femme qui s’occupa de ses enfants durant toute sa captivité au Vietnam pour convoler avec cette nouvelle fille richissime âgée de 25 ans. En 2000, George W. Bush mena une attaque d’une violence inouïe orchestrée par Karl Rove contre John Mc Cain, alors grandissime favori à la nomination républicaine, sur l’existence d’un enfant illégitime que le sénateur aurait eu avec une femme africaine-américaine. Une stratégie payante[18] qui fit gagner la Caroline du Sud à Bush, une victoire-clé lui permettant de revendiquer plus tard la nomination de son parti pour l’élection présidentielle de 2000.
Avec cette nouvelle affaire, Barack Obama, lancé dans la conquête du centre et de ses indécis, se trouve pris dans une tourmente politico-médiatique inopportune qui l’oblige à courtiser un peu plus cette Amérique profonde, blanche et fortement chrétienne envers laquelle il a récemment tenu des propos maladroits. Titillé par les médias conservateurs qui cherchent la faille dans son dispositif, après les attaques contre sa femme Michelle, les remarques sur son nom Hussein, il est à prévoir que la machine républicaine fera sortir des placards des cadavres que Barack Obama avait cru enterrés. Le « scandale » Scarlett Johannson n’étant au fond qu’une sorte de répétition générale. Et ce ne sont pas les caricatures parues dans The New Yorker qui lui faciliteront la tâche.
[1] Après le « Spitzer Gate » du nom de cet ancien gouverneur démocrate de New York qui fréquentait une call-girl, alors qu’il avait bâti toute sa carrière sur la lutte contre la corruption et les réseaux de prostitution. - Source Times.
[3] Il avait plusieurs fois refusé de soutenir la légalisation de l’avortement dans son Etat.
[4] Le prostitué en fait était un agent de la police.
[5] “After his 1988 divorce, John Kerry dated a number of actresses including Morgan Fairchild and Catherine Oxenberg of Dynasty. For example, the Drudge Report published a false rumor that he spirited one of his female interns to
[6] “A double standard of more rigorous and traditional behavior is applied to politicians and particularly to presidents, compared to private sector leaders and average citizens.” - Marcie L. Whicker.
[7] “Carrie Gordon Earll, a spokesperson for Dobson’s Focus on the Family, recently made it clear that the adultery issue hasn’t lost any of its toxicity among evangelicals. "If you have a politician, an elected official, and they can’t be trusted in their own marriage, how can I trust them with the budget ? How can I trust them with national security ?"” - Source The Newswek.
[8] “Mitterrand had two households and two families, and when a journalist dared ask him about his illegitimate daughter, Mitterrand replied : "Et alors ?" - "So what ?"” - Source The Guardian.
[9] “In 1899, Félix Faure died during (oral) sex with his mistress at the Elysées. In the 1970s, Giscard d’Estaing was well known for his gallivanting.” - Source The Guardian.
[11] "What Happened to Sex Scandals ? Politics and Peccadilloes,
[12] Paul Apostolidis, editor of the 2004 book Public Affairs ; Politics in the Age of Sex Scandals.
[13] "We had oral sex. He prefers that modus operandi because then he can say, ’I never slept with her.’" - Source Anne Manning in Vanity Fair 1995.
[14] Forgetting : My Love Affair with Dwight D. Eisenhower, Kay Summersby, 1977.
[15] “ In February, 2008, newspaper reports came forward about an illegitimate son of JFK found living in
[16] “Johnson’s former press secretary commented in a Johnson Biography "LBJ had the instincts of a Turkish sultan in Instanbul." Basically meaning that he had his own little harem of women. Although, he was much better at keeping his extramartial affairs more discreet then his predecessor JFK. One of his many sexual partners became pregnant in 1950, prior to him being in the White House. Her name was Madeline Brown and she gave birth to LBJ’s son who was named Steven.” - Source The Esquire.
[17] Nicholas Kristof – The New York Times.
[18] “In 2000 James Dobson also cautioned that McCain’s character was "reminiscent" of Bill Clinton’s—possibly the ultimate insult in conservative circles.” – Source Steve Benen.
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