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Accueil du site > Actualités > International > Egypte : retour vers le futur ?

Egypte : retour vers le futur ?

L'Egypte s'enfonce chaque jour davantage dans une répression féroce de toutes les forces opposées au pouvoir, suscitant bien peu de réactions dans les chancelleries et les médias occidentaux.

Mohamed Morsi en novembre 2014 (AP)

Les Saoudiens se frottent les mains : ils ont vaincu le Qatar en Egypte. Dans la lutte d’influence féroce – et souterraine entre les deux puissances du Golfe, l’avantage est désormais au « grand frère » pétrolier, soutien traditionnel de l’armée, face à son concurrent qatari, ami des Frères musulmans (on peut lire à ce sujet l‘analyse d’Alain Gresh dans Le Monde diplomatique, rédigée juste après le coup d’Etat). Plus étonnant est le relatif silence de nombreux médias en France face à la radicalisation de la répression en Egypte, entre la fin de l’année 2014 et le début de 2015.

Première explication : la Syrie mobilise l’ensemble des rédactions, même si personne ne peut y aller (sauf à avoir des amis baasistes ou vouloir mourir chez l’EI, en tant qu’otage ou que djihadiste). Deuxième possibilité : les journalistes seraient gênés aux entournures. Le régime égyptien, qui est de plus en plus une copie « al sissienne » du bon vieux régime militaire du temps de Moubarak, apparaît à beaucoup comme un « moindre mal »- même si jamais le gouvernement Morsi n’était allé aussi loin dans la répression. On voit bien qu’il réprime et c’est bien ennuyeux mais, tout de même, l’Egypte a chassé les islamistes du pouvoir et les affaires reprennent. Il ne faudrait pas nuire à une possible renaissance du tourisme dans la région. Pour reprendre les termes du président égyptien lors de sa visite à Paris en novembre 2014, « « Vous n’avez rien à craindre. […] Vous ne voyez pas combien le peuple égyptien aime ses invités ! » – sauf s’ils travaillent pour Al-Jazeera, chaîne qatarie, pourrait-on lui objecter. La chronique de Daniel Schneidermann sur le site Arrêt sur images, écrite à chaud, apparaît prémonitoire : « Ah le joli coup d’Etat militaire ! Comme il est sympathique, frais et convivial ! En Egypte, un président légitimement élu est déposé par l’Armée, et la presse applaudit ». Nous nous interrogions également dans ces colonnes, en concluant que « l’Occident choisira une fois de plus les galonnés en se pinçant le nez » en cas de radicalisation violente après le coup d’Etat.

Le vent semble néanmoins commencer à tourner. La diplomatie française reste tout à fait muette puisque les affaires sont les affaires : la France espère vendre des Rafale aux Egyptiens, ses entreprises ont remporté le marché du métro cairote et on construit des navires de guerre pour la marine égyptienne. Silence dans les rangs. Le ministre des affaires étrangères égyptien Sameh Choukryou a pu sans peine s’afficher au côté des dirigeants du monde entier lors de la grande manifestation du 11 janvier après les attentats de Paris.

Du côté des médias et de certains analystes, en revanche, un certain mea culpa semble poindre sans être toutefois explicite. Le Monde, en particulier, analyse froidement les condamnations délirantes de 229 militants laïcs à la prison à vie sans aucune preuve ou encore l’ouverture d’un quatrième procès contre l’ex-président Morsi après la condamnation à mort de 183 Frères musulmans. Pour les analystes de la presse française, cette radicalité souvent risible – oserait-on dire comique, lorsqu’on voit le juge qui a condamné les militants laïcs avec ses lunettes de soleil, tout droit sorti d’un inédit Tintin en Egypte – apparaît le plus souvent comme une quasi surprise.

Le juge Chehata, à l’origine de centaines de condamnations (AP)

Comme s’ils ne s’attendaient pas à cela. Pas dans une Egypte où des millions de personnes étaient descendues dans la rue après des semaines de pétitions organisées par des anti-islamistes. Pas dans une Egypte où le président Sissi assurait vouloir rétablir la démocratie. Certes, il y est allé un peu fort en faisant tirer à balles réelles contre les manifestants non armés dès le mois d’août 2013, mais le nouveau pouvoir égyptien faisait encore semblant d’inclure des militants « laïcs » et « révolutionnaires ».

Il ne fait plus semblant, et le réveil est douloureux. Oui, la prise du pouvoir par l’armée et la destitution du président Morsi avait non seulement l’apparence d’un coup d’Etat, mais c’était bien un coup d’Etat. La répression qui s’ensuivit fut extrêmement sanglante, elle est désormais judiciaire. Les condamnations américaines n’y changeront rien, tout au plus faudra-t-il un peu plus de temps pour exécuter les militants condamnés, on peut aussi les faire croupir en prison si la réaction internationale est trop importante – Morsi sauverait ainsi sa tête mais pas la majorité de ses amis. Islamistes et laïcs, Frères musulmans, communistes et socialistes se trouvent ensemble dans les geôles égyptiennes. Il est désormais interdit de manifester, fût-ce pacifiquement, dans le pays – une militante socialiste l’a d’ailleurs payé de sa vie, quatre ans après les manifestations de la place Tahrir. Hosni Moubarak, lui, paraît devoir être bientôt tranquilisé sur son sort judiciaire. Business as usual.

Il n’est plus temps d’être naïf en matière de géopolitique : la défense de la démocratie est à géométrie variable, ce n’est pas une nouveauté – elle est fonction d’enjeux économiques, stratégiques et d’alliances géopolitiques (que l’on songe au rôle d’Israël vis-à-vis de l’Egypte, aux intérêts des monarchies pétrolières en particulier). Mais, à l’heure où la Syrie n’est plus un Etat et où les pays occidentaux présentent Bachar al-Assad comme un paria, il est parfois utile de s’interroger sur ce double langage. Faire tirer sur la foule en Egypte ou en Syrie ne semble pas avoir les mêmes conséquences diplomatiques- dans les deux cas, une partie de la population soutient ces violences, mais cela les rend-elle légitimes pour autant ? Tant mieux pour le président-maréchal Sissi et ses nombreux alliés, tant pis pour les rêves de « printemps » et de de démocratisation de l’Egypte. Requiem for a dream.

 

Publié sur Demosthene2012, blog politique.


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16 réactions à cet article    


  • sirocco sirocco 6 février 2015 01:13

    Nos merdias contrôlés dans leur presque totalité par les sionistes ne risquent assurément pas de fournir des informations objectives sur ce qui se passe de très inquiétant en l’Egypte, encore moins d’en dire du mal.

    Le régime militaire qui tient le peuple égyptien en joue est en effet un formidable allié d’Israël (lequel a contribué avec les USA à sa prise de pouvoir musclée) et un partenaire zélé dans l’élimination progressive des Palestiniens de Gaza. Moubarak s’était contenté de faire la paix avec Israël. Le nouveau dirigeant du Caire veut être plus actif contre les Palestiniens.

    Al Sissi a eu pour première décision (après l’ordre de tirer à balles réelles sur tout manifestant) de fermer les tunnels qui assuraient la perfusion de cette grande prison à ciel ouvert qu’est la bande de Gaza. Il en est maintenant à raser, à la demande de l’Etat juif, des quartiers de la ville frontière de Rafah. On comprend donc pourquoi ce grand humaniste recueille toute la sympathie de ceux qui nous gouvernent. ainsi que l’admiration muette de nos « journalistes ».

    Cela rappelle un peu la situation à Bahreïn où la minorité sunnite au pouvoir réprime dans le sang, avec l’appui militaire de cette grande démocratie qu’est l’Arabie Saoudite, toute velléité contestataire de la population majoritairement chiite. L’Empire occidental n’y trouve rien à redire, ce pays abritant une base américaine.


    • zygzornifle zygzornifle 6 février 2015 08:29

      j’ai peur pour les pyramides, ces fous de barbus sont capables de les détruites dans un accès de folie religieuse ...


      • sirocco sirocco 6 février 2015 12:47

        Vous avez deux ans de retard dans votre compréhension de la situation en Egypte et vous faites une grossière confusion avec l’Afghanistan.

        Les pyramides ne craignent pas grand chose. L’Egypte est actuellement une forteresse américano-israélienne dans le nord de l’Afrique.


      • alberto alberto 6 février 2015 10:52

        @ l’auteure,
         très joli coup de projecteur sur ce pays bien délabré : un article bien documenté...

        Dans le fil du sujet égyptien, une info entendue ce matin à la radio (qui semble réjouir les journalistes) mais qui me laisse pantois : l’Egypte serait sur le point d’acquérir 24 avions « Rafales » et une frégate multi mission !

        Voilà un pays économiquement exsangue qui achète un des avions le plus cher du monde !!!

        Pour quoi faire, rejoindre la « coalition » ? On se le demande...

        Quoiqu’il en soit, je crains que pour la garantie de ce contrat, le contribuable français serve une fois de plus de caution !!! voir :http://www.lesechos.fr/journal20150206/lec2_entreprise_et_marches/020413779 6722-negociations-tres-avancees-avec-legypte-pour-la-vente-de-24-rafale-1090653.php
         


        • bourrico6 6 février 2015 11:30

          Voilà un pays économiquement exsangue qui achète un des avions le plus cher du monde !!!

          Ce qui est bien sur totalement faux, mais on ne s’étonne plus de l’autoflagellation ni de l’autodénigrement des Gaulois... Les anglo-saxons doivent se fendre la poire de nous voir répéter et amplifier leur propres mensonges.


        • sirocco sirocco 6 février 2015 13:14

          « Voilà un pays économiquement exsangue qui achète un des avions le plus cher du monde !!! »

          Un pays économiquement exsangue ? Oui et non. Les USA octroient une aide très substantielle à l’Egypte pour que celle-ci demeure dans le clan atlantico-sioniste. Mais il est évident que cette manne financière est essentiellement destinée à l’armée pour l’oppression qu’elle exerce sur le peuple. Elle peut être assortie de l’obligation de signer des contrats d’achats d’armes avec tel ou tel Etat de l’Empire (par exemple pour sauver la mise à la France qui est devenue la risée du monde entier avec ses avions dont personne ne veut).

          Et comme les Frères musulmans, qui assuraient avant le putsch militaire l’essentiel du maillage et du soutien social auprès de la majorité pauvre du peuple égyptien, sont maintenant pourchassés de toutes parts, les petites gens continuent à mener une existence précaire et difficile, peut-être plus encore que du temps de Moubarak. Quand trouveront-ils la force (et accepteront-ils de payer le prix humain) pour mener une nouvelle révolution contre le régime qui les oppresse ? Personne ne peut le prédire pour le moment. 


        • alberto alberto 6 février 2015 14:40

          En tout cas Rafale plus cher que Gripen : http://www.huffingtonpost.fr/gerard-jouany/vente-avion-rafale_b_4475195.html

          Quant à l’économie égyptienne : là http://afrique.lepoint.fr/economie/mais-ou-va-l-economie-de-l-egypte-24-08-2014-1860507_2258.php

          Quoi qu’il en soit, je trouve qu’il y aurait mieux à faire en termes de dépenses...


        • bourrico6 6 février 2015 11:28

          Va peut être falloir vous mettre dans le crâne que dans pas mal de pays, il y a le pouvoir en place, les islamistes, et rien d’autre !
          Vous croyez que la « démocratie » est la fin de l’évolution politique, que c’est un but à atteindre, un grâal universel ?
          Et vu de l’extérieur, vous croyez que la « démocratie » à coup de GBU & d’AASM fait rêver ?
          La démocratie vu de dehors, c’est simplement la soumission totale et absolu de la société au Dieu pognon, alors comprenez que certains n’en veulent pas hein.

          La Libye et la Syrie ne suffisent pas pour illustrer la chose ?


          • Tillia Tillia 6 février 2015 12:06

            Personnellement j’apprécie le Président Égyptien Al-Sisi à Al-Azhar



            @bourrico je ne pense pas que la démocratie et le capitalisme soient le but à atteindre dans les pays où c’est le chaos actuellement, il s’agit surtout d’une guerre asymétrique contre l’Iran et ses alliés.

            • sirocco sirocco 6 février 2015 13:21

              « Personnellement j’apprécie le Président Égyptien Al-Sisi à Al-Azhar »

              ...comme vous deviez apprécier à l’époque, puisqu’ils étaient de la même trempe, le régime des Colonels en Grèce ou la dictature militaire au Brésil il y a une trentaine d’années, entre autres...
              Au moins vous affichez vos opinions politiques avec franchise.


            • Tillia Tillia 6 février 2015 14:01

              Tant qu’il pense à réformer ce coran, moi ça me va. 


            • alberto alberto 6 février 2015 14:27

              @ Sirocco : Oui mais après avoir visionné ta vidéo de Sisi sur la religion, ça change un peu l’idée que je me faisais du personnage...


            • goc goc 6 février 2015 13:56

              l’Egypte serait sur le point d’acquérir 24 avions « Rafales » et une frégate multi mission !

              Et bien sur ces avions fabriqué par la famille Dassault, seront equipés de façon a ne jamais servir contre le voisin sioniste
              donc on peut se poser des questions : a quoi peuvent bien servir ces avions


              • Tillia Tillia 6 février 2015 14:02

                « seront équipés de façon a ne jamais servir contre le voisin sioniste »


                Vous confondez avec des avions de ligne goc 

                •  Mohamed Takadoum M Takadoum alias Bouliq. 6 février 2015 16:53

                   Merci à l’auteur pour cet article. Ce qui se passe en Egypte est monstreux.


                  J’ai déja pleuré l’Egyte en octobre 2013 dans cet article sur AGORA


                  • Tillia Tillia 7 février 2015 16:54

                    Je ne pense pas que les Frères Musulmans eut été mieux, ça aurait fait une guerre de plus 


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