Élection présidentielle en Russie : (2) Medvedev, la nouvelle star ou le nouvel ours de Moscou ?
Dimanche 2 mars 2008 a lieu, dans l’indifférence quasi générale des médias français, le premier tour (et probablement le seul) d’une élection pourtant importante en Russie puisqu’il s’agit de désigner le successeur de Vladimir Poutine.
La plupart des médias avaient revu à la baisse le nombre de journalistes pour se déplacer en Russie dans cette campagne terne, considérant le faible enjeu du scrutin.
Faible enjeu, élection importante... une contradiction pourtant compréhensible à la vue des sondages qui placent Dmitri Anatolievitch Medvedev largement gagnant (de l’ordre de 60%) et même adulé des enfants.
L’article précédent avait pour but de présenter (partiellement) la pratique politique de la Fédération de Russie.
Le déséquilibre entre la présidence de la Fédération et la Douma
Que tirer de l’observation de la pratique institutionnelle en Russie depuis la nouvelle Constitution de 1993 ?
D’abord, que le pouvoir présidentiel est prédominant sur le pouvoir des parlementaires.
Même si, effectivement, la nomination de chaque chef du gouvernement doit être approuvée par la Douma (ce qui a d’ailleurs fait renverser Kirienko au profit de Primakov), la politique de la nation émane clairement du président de la Fédération.
L’explication, c’est sans doute le fait que le gouvernement, pléthorique, est plus une instance d’administration et d’exécution que d’initiative et de stratégie.
En parallèle, en effet, institués à l’époque d’Eltsine, l’administration présidentielle et le Conseil de sécurité, directement reliés au président, ont une influence politique décisive (on notera que Poutine comme Medvedev y eurent un rôle prépondérant avant d’entrer au gouvernement).
Poutine, l’héritier, le protégé d’Eltsine, s’est vite débarrassé de son clan pour mettre sa propre marque et asseoir son autorité jusqu’à faire récemment adopter une loi pour interdire les manifestations en périodes électorales.
Marie Mendras, professeur à l’IEP de Paris, notait dans le journal Le Monde du 15 octobre 2006 :
"Il n’y a plus ni Parlement ni Cour constitutionnelle dignes de ce nom, le gouvernement est court-circuité par l’administration présidentielle, les juges sont soumis au pouvoir politique dès qu’une affaire devient délicate. Cela nous ramène au problème de la violence et de l’impunité (...). Désinstitutionnalisation du régime, opacité des décisions, montée de l’arbitraire et des méthodes expéditives : tout cela traduit une agitation croissante des cercles dirigeants."
Le successeur officiel de Poutine... et les trois autres
La question de la succession a été réglée dès le 10 décembre 2007 (juste après l’éclatante victoire législative de Poutine) avec le choix de Medvedev, l’un des proches pétersbourgeois de Poutine, qui a reçu également le soutien de son principal rival Sergueï Ivanov.
Dans l’élection du 2 mars 2008, quatre candidats sont en compétition.
Dmitri Medvedev (42 ans), soutenu par Poutine (donc, vainqueur largement attendu), représentant le 1er parti à la Douma (315 sièges, 64%). Il est le gage de la stabilité politique.
Guennadi Ziouganov (64 ans), le perpétuel candidat communiste, représentant le 2e parti à la Douma (57 sièges, 12%).
Vladimir Jirinovski (61 ans), le leader nationaliste, aussi ancien candidat, représentant le 3e parti à la Douma (40 sièges, 8%).
Andraï Bogdanov (38 ans), représentant du Parti démocrate de Russie, inconnu et pro-européen (aidé à l’évidence par Poutine pour obtenir ses signatures).
Absence de vrais candidats d’opposition
Ces quatre candidats sont tous "sous contrôle" du Kremlin. Les vrais candidats d’opposition n’ont pas pu ou pas voulu se présenter.
Mikhaïl Kassianov (50 ans), ancien Premier ministre et proche du cercle d’Eltsine, a vu sa candidature invalidée par la Commission électorale centrale en raison d’irrégularités dans sa collecte de signatures.
Boris Nemtsov (48 ans), ancien vice-Premier ministre, qui fut l’un des dauphins d’Eltsine, a refusé de participer à l’élection présidentielle dont les résultats seraient connus d’avance.
Garry Gasparov (44 ans), violenté par les forces de l’ordre pendant la campagne législative, a également renoncé pour cause d’ostracisme (et a regretté la trop grande complaisance du président français Nicolas Sarkozy envers Poutine).
Le programme de Medvedev
Au forum économique de Krasnoaïarsk le 15 février 2008, Medvedev a développé son programme présidentiel basé sur les quatres ‘I’ : institutions, infrastructures, innovations et investissements. Parmi ses intentions, il veut diminuer le vide juridique, ôter les barrières administratives, réduire la fiscalité pour favoriser les investissements, renforcer le rouble, et élaborer une meilleure protection sociale.
La victoire de Medvedev est inéluctable mais sera sans doute moins triomphale que celle de Poutine en mars 2004.
La véritable question, après le 2 mars 2008, c’est de savoir qui va être le véritable maître du pouvoir politique en Russie et quel va être le sort de Poutine.
Les options qui ont déjà été écartées
L’option constitutionnelle
Comme cela avait été dit dans le premier article, Poutine a décidé de ne pas réformer la Constitution pour se permettre de se présenter une nouvelle fois à l’élection présidentielle.
Pourtant, il en avait les moyens juridiques : contrôlant parfaitement les élections législatives, dès fin 2003, il avait à la Douma la majorité qualifiée (plus de 300 voix) pour une telle réforme. Sa grande popularité aurait pu en être la justification ("le peuple me redemande encore").
Pourquoi ne l’a-t-il pas fait ? Peut-être pour préserver son image internationale, qui, bien que ternie par une Tchétchénie ensanglantée et quelques bavures dans des affaires d’otages, reste encore assez élogieuse grâce à la croissance économique du pays (et la montée de son niveau de vie), à l’importance stratégique de ses ressources d’énergie et à son soutien à la lutte contre le terrorisme islamique (il a même présidé un sommet du G8 en 2006).
L’option politico-industrielle
Poutine aurait pu se retirer de l’avant-scène politique et garder une influence décisive en dirigeant par exemple Gazprom, premier groupe industriel russe et la quatrième du monde et très protégé par le Kremlin.
À l’instar d’Anatoli Tchoubaïs, ce dernier ayant été considéré en 2004 par le Financial Times comme le 54e homme d’affaires le plus influent du monde.
Cette option a été définitivement abandonnée le 4 février 2008 car le renouvellement de la direction de Gazprom laisse entrevoir que ce serait l’actuel Premier ministre Zoubkov qui deviendrait le 27 juin 2008 le prochain président de Gazprom (en remplacement de Medvedev).
L’option internationale
En décembre 2007, des rumeurs (vite tues) avaient prêté à Poutine l’intention de devenir le premier président d’une union politique entre la Russie et la Biélorussie (Belarus). Mais en fait, la Russie s’est toujours opposée cette union voulue surtout par le président biélorusse autocrate Alexandre Loukchenko qui avait eu l’ambition démesurée de succéder à Eltsine.
L’option annoncée
Le suspense est assez faible puisque, dans un jeu de duo, Poutine a annoncé qu’il envisageait de redevenir Premier ministre après l’élection présidentielle et Medvedev a confirmé qu’il le nommerait s’il était élu.
Poutine s’était présenté aussi aux législatives, et son parti ayant la majorité absolue est capable de faire la pluie et le beau temps.
Contrairement à la France, qui commence à avoir régulièrement des élections législatives quelques semaines après l’élection présidentielle, la Russie se trouve dans le cas inverse : le président de la Fédération élu en mars doit tenir compte de la majorité de la Douma élue au mois de décembre précédent. (Comme en France, le président peut dissoudre l’Assemblée.)
Mais, depuis 1993, le Premier ministre n’a jamais été qu’un fonctionnaire docile aux ordres du président. Comment pourrait-on concevoir l’avenir ?
L’option présidentielle
Poutine assumerait pendant quelques mois ou années le rôle de Premier ministre, et, à l’occasion d’un événement quelconque, il demanderait à Medvedev de démissionner. Poutine pourrait alors concourir à nouveau à l’élection présidentielle pour deux mandats encore (il a 55 ans) et garder la maîtrise de la vie politique pendant presque vingt ans (d’ailleurs, le projet Poutine fixe les priorités jusqu’en 2020 !). Medvedev serait évidemment récompensé pour sa grande loyauté.
L’option parlementaire
Medvedev resterait docile et laisserait Poutine gouverner, avec une grande part d’initiative provenant du Premier ministre. Ce dernier serait assuré d’être maintenu en raison de la majorité à la Douma. Cet attelage pourrait durer ainsi jusqu’à la prochaine élection présidentielle de mars 2012. Ensuite, cela dépendrait du résultat des élections législatives de décembre 2011.
Cette hypothèse serait sans doute une progression extraordinaire dans la voie démocratique. En effet, par nécessité et pour préserver son pouvoir, Poutine aurait besoin de transférer l’initiative politique de l’administration présidentielle vers le gouvernement qui, ainsi, se politiserait.
L’option medvedevienne
La loyauté est une chose et le réalisme politique une autre. Medvedev va probablement devenir dans quelques jours le prochain président de la Fédération de Russie aux pouvoirs très étendus.
Il est très intelligent, a une bonne image internationale d’homme libéral, est jeune (42 ans)... bref... il y a de fortes chances pour que Medvedev devienne la coqueluche des médias russes (comme cela s’observe depuis mi-décembre 2007) mais aussi de la communauté internationale.
Sa popularité pourrait lui donner donc quelques ambitions personnelles.
En France, on se souvient qu’Édouard Balladur, qui avait occupé en mars 1993 Matignon à la place de Jacques Chirac, pourtant président du parti victorieux (pour ne pas renouveler son erreur de 1986-1988), a très vite oublié sa loyauté (il avait même théorisé la cohabitation en énonçant qu’un Premier ministre de cohabitation ne devait pas être candidat) et s’est senti investi par sa popularité à se présenter à l’élection présidentielle... contre Jacques Chirac (poussé entre autres par Nicolas Sarkozy).
Medvedev pourrait donc faire exactement comme Poutine en 2000, qui a accédé au pouvoir grâce au clan Eltsine (et particulièrement Berezovski) et qui, petit à petit, s’en est détaché (voire l’a pourchassé) pour diriger lui-même le pays.
Rien n’empêchera, constitutionnellement, Medvedev de limoger Poutine.
Medvedev a déjà récusé le terme poutinien de "démocratie souveraine" pour préférer celui de liberté : "La liberté est meilleure que l’absence de liberté. Ces mots sont la quintessence de l’expérience humaine."
Poutine vs Medvedev : qui l’emportera ?
Je suis bien incapable de savoir quelle sera l’option qui l’emportera, et sans doute peut-être un peu les trois à la fois ou une autre plus innovante.
Ce qui sera en tout cas fort intéressant, c’est d’observer l’évolution de ce couple assez particulier en Russie...
La désignation de Medvedev a montré que la Russie s’installe résolument dans le vie économique globalisée (celle d’Ivanov aurait plus indiqué un repli sécuritaire).
Il n’y aura plus qu’à ouvrir aussi la vie démocratique intérieure pour achever la "normalisation" de la Russie au sein des grandes puissances du "monde libre".
Mais le pays en est encore très éloigné.
Sylvain Rakotoarison (29 février 2008)
À lire aussi :
Analyse de L’Humanité.
L’Église orthodoxe derrière Medvedev.
Medvedev victime d’attaques antisémites.
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