Élection présidentielle en Russie (3) : le sacre virtuel de Medvedev au cours d’une « farce honteuse »
Comme prévu, Medvedev est élu avec une écrasante majorité, presque aussi bien que Poutine en 2004, ce qui ne signifie pas grand-chose.

Ce 2 mars 2008, le successeur désigné de Vladimir Poutine, Dmitri Medvedev, 42 ans, aurait été élu président de la Fédération de Russie avec environ 70 % des voix (70,23 % selon le président de la Commission électorale centrale, Vladimir Tchourov, sur 99,45 % des 96 000 bureaux de vote).
Les autres candidats qui participaient à l’élection sont plus ou moins sous contrôle du Kremlin.
Guennadi Ziouganov, du Parti communiste, aurait obtenu 17,77 %, Vladimir Jirinovski, du Pari "libéral-démocrate" (en fait, nationaliste), atteindrait 9,37 % et Andréï Bogdanov, candidat inconnu pour les Russes, 1,29 %.
La participation électorale serait à environ 66 % des 109 millions d’électeurs inscrits.
Je propose de revenir sur le déroulement de cette élection qui, selon certains responsables russes, relève de la « farce honteuse ».
Comment être candidat ?
Ne peuvent se présenter que des candidats présentés par des partis politiques représentés à la Douma ou les candidats ayant collecté au moins deux millions de signatures de citoyens.
Or, les élections législatives du 2 décembre 2007 ont éliminé les partis ouvertement d’opposition (ceux des libéraux Iavlinski, Nemtsov, etc.) et la possibilité de collecter plus de deux millions de signatures s’avéraient matériellement impossible à réaliser en seulement quelques semaines (rappelons la difficulté, pour certains partis non parlementaires en France, de rassembler 500 signatures d’élus locaux en plusieurs mois).
C’est ainsi que la candidature de l’ancien Premier ministre (eltsinien libéral) Mikhaïl Kassianov, le seul en mesure de faire entendre une véritable opposition politique, a été invalidée en raison de plusieurs dizaines de milliers de signatures soi-disant non conformes.
L’ancien Vice-Premier ministre (également eltsinien libéral) Boris Nemtsov et le champion d’échec Garry Gasparov avaient également renoncé pour ces mêmes raisons. Gasparov fut sans doute le plus virulent, arrêté à deux reprises alors qu’il manifestait (il a même passé cinq jours en prison en novembre 2007).
C’est pourquoi la validation de la candidature de l’homme politique farfelu Andréï Bogdanov, 38 ans, ancien responsable des relations publiques du parti de Poutine et prônant l’adhésion de la Russie à l’Union européenne, représentant un parti tout aussi inconnu, n’a pu avoir lieu qu’avec l’aide du Kremlin qui avait besoin d’au moins un candidat non issu d’un parti parlementaire.
Dans de telles circonstances, l’enjeu politique se déplaçait dans la participation du scrutin.
Une modification essentielle dans la règle du jeu
Si Vladimir Poutine n’a pas modifié la Constitution pour supprimer la limitation à deux mandats présidentiels consécutifs de quatre ans alors qu’il en avait la possibilité parlementaire depuis décembre 2003, il a quand même fait adopter deux lois importantes.
La première interdit toute manifestation pendant une campagne électorale, ce qui limitait juridiquement l’action revendicative de Garry Kasparov (le jour même de l’élection d’ailleurs, où il fut interdit de se rendre sur la Place Rouge pour protester contre cette élection sous contrôle).
La seconde, qui me paraît essentielle dans le dispositif qu’a imaginé Poutine pour conserver son pouvoir, abroge l’existence d’un seuil limite de participations pour valider l’élection présidentielle. Cette mesure est importante, puisqu’en organisant une élection avec un contrôle total des candidats, Poutine pouvait rencontrer un dernier obstacle, une forte abstention, signe d’un désaveu profond à sa politique et, surtout, rendant juridiquement impossible l’élection de Medvedev.
Cette barrière juridique étant levée, même si l’abstention reste évidemment un élément important d’appréciation de l’adhésion populaire au candidat officiel, elle n’empêche plus son élection formelle.
Une campagne électorale très inéquitable
La campagne électorale s’est déroulée ces dernières semaines avec une très grande inégalité de traitement médiatique. Seul était visible le candidat officiel du pouvoir, Medvedev, par de grandes affiches électorales dans les agglomérations, par les multiples reportages télévisés retransmettant le moindre de ses déplacements... alors que les trois autres candidats n’avaient quasiment aucune couverture médiatique.
Le Kremlin a d’ailleurs focalisé son effort sur la participation, incitant les électeurs à se rendre dans les bureaux de vote, sachant qu’une forte mobilisation renforcerait l’assise électorale de Medvedev.
Pendant le scrutin (la plupart des images que j’ai pu voir des bureaux de vote montraient des bureaux de vote plutôt vides), des responsables locaux de la Commission électorale centrale avouaient même qu’il y aurait nécessairement une forte participation, au besoin en trichant un peu (reportage sur France 2 du 2 mars 2008).
Un contrôle autoritaire peu compréhensible
Ce qui est évidemment très étrange, c’est ce plan de Poutine, minutieusement réfléchi, sans détail oublié, pour s’assurer de la victoire de son filleul.
Car même avec une candidature de Kassianov, de Gasparov et aussi de Nemtsov, même sans la suppression du seuil limite de participation pour valider le scrutin, il paraissait très probable que Medvedev eût été élu dès le premier tour et largement.
En effet, Poutine garde une forte popularité (surtout en dehors des grandes villes) car il a été celui qui a stoppé la désorganisation administrative et la jungle financière encouragées par son prédécesseur Boris Eltsine (qui reste le plus impopulaire des dirigeants de la Russie depuis Nicolas II). Il a su hisser la Russie post-soviétique au sein des grands pays industriels et retrouver une voix écoutée dans le monde, notamment sur des sujets cruciaux comme l’Iran, la Corée du Nord ou encore la politique énergétique.
Si bien que n’importe quel candidat adoubé par Poutine aurait de toutes façons été largement élu.
Les réactions
Le premier heureux est évidemment Poutine lui-même qui a insisté sur la continuité de la politique qu’il a mise en œuvre : « Une telle victoire implique beaucoup d’obligations. Cette victoire servira de garantie que le cours que nous avons suivi ces huit dernières années, sera poursuivi », relayé par le nouvel élu : « Nous allons augmenter la stabilité, améliorer la qualité de vie et avancer sur le chemin que nous avons choisi ».
Poutine a par ailleurs considéré que ce scrutin s’était déroulé « en stricte conformité avec la Constitution nationale et dans les délais prévus par la loi. (...) Cela veut dire que nous vivons dans un État démocratique, et que notre société civile devient efficace, responsable et active ».
Gasparov avait déjà indiqué dans une conférence de presse le 26 février 2008 : « Nous avons affaire à une farce honteuse » et a appelé à manifester à Moscou et à Saint-Pétersbourg demain, 4 mars 2008, pour scander « à bas la monarchie et la succession ! ».
Ziouganov et le Parti communiste ont déjà annoncé qu’ils contesteraient les résultats de l’élection, constatant de nombreuses irrégularités.
Le chef des observateurs de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, Andreas Groos, a réussi, par sa réaction, à regretter le contrôle autoritaire de l’élection tout en en reconnaissant le vainqueur : « Le résultat de l’élection présidentielle du 2 mars reflète la volonté des électeurs dont le potentiel démocratique n’a cependant pas été pleinement exploité ».
La veille d’une nouvelle échéance cruciale dans les primaires démocrates (Texas et Ohio), les candidats démocrates se sont déclarés déçus par le recul démocratique.
Barack Obama est « déçu par le fait que cette élection n’ait été ni complètement libre ni honnête, en raison de l’absence de liberté de la presse et de l’oppression dont ont été victimes les hommes politiques et les partis d’opposition » tandis qu’Hillary Clinton a affirmé : « L’élection n’a été ni ouverte ni démocratique, et le peuple russe a été privé de la possibilité de choisir ses leaders et de décider de l’avenir du pays. On ne peut décrire autrement cette élection. ».
La Russie est-elle une démocratie ?
Dans la population, certains s’inquiètent toutefois de l’autoritarisme du régime mis en place par Poutine. Voici quelques réflexions recueillies :
« La situation s’aggrave. Surtout pour les libertés politiques. Parce que la société laisse faire. Regardez la télé, elle était plus libre sous Brejnev. »
« Pour beaucoup de jeunes, exprimer son opinion à haute voix est ridicule. Les gens sont devenus indifférents, ont perdu de leur sensibilité, se sont enfermés. »
« Le FSB (ex-KGB) est partout. Il nous surveille. Ça fait peur. Dans nos geôles, il y a soixante-dix prisonniers politiques. Sommes-nous encore un pays démocratique ? »
« Poutine, ce n’est pas une dictature. C’est un régime autoritaire, avec des signes de totalitarisme. »
Comment "jauger" Medvedev ?
Un vrai président ?
Dans une conférence de presse ce lundi 3 mars 2008, Medvedev a déjà répondu sur ses responsabilités diplomatiques malgré son inexpérience : « selon la Constitution, le président détermine la politique étrangère ».
Medvedev, répondant au « pouvoir exécutif suprême » qu’incarnerait très nouvellement, selon Poutine, le Premier ministre, a déjà expliqué il y a quelques jours (dans une interview au magazine russe Itogui) que la Russie « a été et restera une République présidentielle [dans laquelle] il ne peut y avoir deux, trois ou cinq centres ».
Il a par ailleurs insisté sur la confiance qu’il vient de recevoir : « Toute personne qui reçoit l’appui de la majorité des électeurs lors d’un scrutin détient un mandat de confiance ».
Medvedev a été un juriste qui a beaucoup aidé Poutine. Travailleur consciencieux, il a été associé systématiquement à la montée en puissance de Poutine car il avait réussi notamment à lui éviter d’être au centre d’un scandale financier.
En effet, une commission du parlement de Saint-Pétersbourg soupçonnait en 1992 le premier adjoint de l’époque, Poutine, de s’être enrichi dans un marché de troc en pleine pénurie alimentaire. Une enquête judiciaire a été ouverte, mais vite refermée. Le politologue Alexei Moukhine explique que « c’est Medvedev, jeune juriste de la mairie, qui a sauvé Poutine en trouvant des failles juridiques au dossier » sans pour autant savoir si Poutine se serait vraiment enrichi ou aurait seulement été négligeant.
Et Medvedev a su se faire aimer depuis sa désignation le 10 décembre 2007. Sa campagne fut de proximité. Ainsi, il est allé féliciter la mère d’un nouveau-né en compagnie du patriarche orthodoxe Alexis II (dont son épouse est une proche) ou discuter pouvoir d’achat avec les marins de Mourmansk.
Medvedev fait aussi beaucoup de sport : natation, jogging, yoga et haltérophilie. Sa femme blonde Svetlana est très glamour et se fera sans doute vite apprécier pour les défilés de mode qu’elle organise ou ses actions éducatives.
Il est probable que Dmitri Medvedev va être apprécié de la population pour son style simple et réservé.
Il a présenté un programme économique cohérent qui me semble pertinent et auquel il semble très attaché. Son but est de renforcer l’économie russe pour faire enfin émerger une véritable classe moyenne, estimant que cette chance de modernisation est donnée seulement « une fois tous les cent ans ».
Ou une reine d’Angleterre ?
Beaucoup décrivent le caractère de Medvedev comme faible, effacé, réservé et pour lesquels il demeurerait toujours le subordonné de Poutine.
Un exemple parmi d’autres : le 20 février 2008, Medvedev et Poutine visitent le centre aéronautique de Jukovski. Les deux hommes pénètrent dans le cockpit d’un nouveau Tupolev, et Medvedev s’assoit machinalement dans le siège du copilote laissant à Poutine les commandes.
Même s’il ne déclare qu’un faible patrimoine et un revenu limité, un ancien collaborateur de Poutine, Stanislav Belkovski, explique que Medevedev « a la même philosophie que Poutine : il croit en la toute puissance de l’argent ».
La suite...
L’investiture de Dmitri Medvedev aura lieu le 7 mai 2008. Ensuite, il procédera à la nomination du Premier ministre (certainement Vladimir Poutine, puisqu’il l’a déjà annoncé) et du reste du gouvernement.
Le choix des futurs ministres donnera une première idée sur la capacité de Medvedev à assumer seul ses nouvelles responsabilités présidentielles, et sur la possibilité d’être l’otage des "tchékistes".
Faisons le pari que cette élection, bien peu démocratique, soit le point de départ d’une présidence à l’autorité sûrement maladroite initialement, puis qui s’affirmerait dans une voie de plus grande sincérité démocratique.
Loin de reprendre les thèmes de Poutine, Medvedev n’a-t-il pas martelé pendant sa campagne qu’il préfère avant tout « la liberté dans toutes ses manifestations : liberté individuelle, liberté économique, liberté d’expression » ?
Laissons-lui le bénéfice du doute.
Sylvain Rakotoarison (3 mars 2008)
NB :
Ce troisième article est la suite du premier sur la pratique institutionnelle russe depuis Eltsine et du deuxième sur les enjeux de l’élection du 2 mars 2008.
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