Emergency : “Il ne faut jamais faire la guerre”. Pour la Libye, Gino Strada veut croire au grand réveil d’un pacifisme assoupi

Il Fatto Quotidiano | Wanda Marra | 20.03.2011 | Interview de Gino Strada
“La guerre est stupide et violente. Elle est toujours un choix et jamais une nécessité, le risque étant qu'elle le devienne si l'on n'a fait rien pendant des années. Et ce furent de fait des décennies”. Les mots sont de Gino Strada, fondateur d''Emergency* prononcés alors qu'arrive le feu vert de la communauté internationale pour l'attaque contre la Libye, et que commencent les premiers bombardements. Il réaffirme un “non” convaincu à la guerre comme “moyen de résolution des controverses internationales”. En citant la Constitution italienne.
Que pensez-vous de l'intervention militaire en Libye ?
« C'est ce qui se arrive quand on se retrouve face à des situations laissées en proie à la gangrène. La seule chose que je souhaite est qu'on arrive rapidement à un cessez-le-feu. La résolution du Conseil de sécurité onusien est très ambigüe dans sa formulation : elle dit que seront adoptées “toutes les mesures nécessaires pour protéger la population civile”. Cela veut dire tout et rien ».
Donc vous êtes contre ?
« Absolument. Mon point de vue est toujours opposé à l'usage de la force. Elle ne mène à rien ».
Mais alors faut-il rester bras croisés et contempler Kadhafi bombarder son peuple ?
« Je suis un chirurgien. Je ne suis pas un homme politique, ni un diplomate ou un chef d'Etat. Je ne sais par quelle manière on a tenté de persuader Kadhafi à cesser le feu. Et les nouvelles qui nous parviennent sont confuses et contradictoires ».
Cependant certains points semblent clairs : ainsi le fait que Kadhafi est un dictateur, dictateur contre lequel s'est vérifiée une révolte populaire, et qu'il est en train de massacrer des civils, par exemple...
« Il est très clair que Kadhafi est un dictateur. Et il est aussi clair qu'il est en train de massacrer des civils, mais dit ainsi c'est imprécis, car il le fait depuis des années, sinon des dizaines d'années, et nous, en tant que pays nous y avons contribué. Par exemple en lui fournissant des armes. S'il fallait partir du principe qu'il faut intervenir partout où la Démocratie est absente, alors je devrai m'attendre à que quelqu'un bombarde le Bahrein. Que devrions-nous faire ? Devrions-nous potentiellement bombarder la planète toute entière ? Il est très clair que je ne nourris aucune sympathie pour Kadhafi, mais je ne crois pas que l'usage de la violence puisse amoindrir cette même violence. Combien de dictateurs y a-t-il en Afrique ? Faut-il tous les bombarder ? En raisonnant ainsi l'Espagne pourrait décider de bombarder la Sicile, parce là-bas il y a la mafia ».
Cependant ce conflit est perçu comme une intervention humanitaire, plus que ce ne fut le cas par exemple pour l'Afghanistan et l'Irak : ne pensez-vous pas qu'en Libye la situation soit différente ?
« Chaque situation est un cas à part. Les plus grands cerveaux de la planète ont une vision politique qui exclut la guerre. Je veux m'appuyer sur les écrits d'Einstein et Russel et pas sur les mots de Borghezio et Calderoli (de la Ligue du Nord, ndr). Sarkozy ne me semble pas être un grand génie de l'humanité. Et derrière tout cela il y a toujours des intérêts économiques.
Mais alors quelle est la solution ?
« En étant arrivé là, il est très difficile de comprendre ce qui doit être fait. On affronte ici des problèmes alors qu'ils sont devenus insolubles. Et maintenant que faire ? Rien, vivre sous les bombes . Il est inconcevable que le raisonnement se fasse toujours en terme de "combien d'avions, combien de troupes, combien de bombes". Au contraire, nous aurions plutôt dû arrêter de faire des affaires avec Kadhafi ».
Que pensez-vous de la position italienne ?
« Que j'aimerai la connaitre. Il y a deux jours, Frattini (ministre des affaires étrangères, ndr) a dit qu'"on ne peut chasser le Colonel". Qu'est-ce que ça veut dire ? Qu'on ne doit pas ou qu'on ne peut pas ? Nous n'avons aucune politique étrangère, comme c'était d'ailleurs également le cas à l'époque des conflits en Afghanistan et Irak ».
Il apparait évident combien ce conflit explose sans vraie participation émotionnelle et sans aucune mobilisation de caractère pacifique, alors que la protestation contre l'intervention en Afghanistan provoqua des manifestations géantes dans le monde entier.
« À Rome nous étions trois millions ».
Et aujourd'hui où sont-ils ?
« Il faut préciser que les forces politiques qui promouvaient alors la mobilisation ont ensuite voté au Parlement pour la continuation de la guerre. Et de fait, la gauche radicale a perdu trois millions de voix dans les urnes ».
Mais au-delà de la politique, l'opinion publique se tait.
« Cette guerre est arrivée à l'improviste : si elle perdure nous assisterons certainement à une mobilisation qui demandera que cesse ce massacre ».
Inattendu ou pas le silence du mouvement pacifiste étonne.
« Le mouvement pacifique existe et porte en avant ses batailles, que ce soit sur le thème de la solidarité, la lutte contre la privatisation de l'eau, ou encore le refus des essais nucléaires. Et très certainement on entendra sa voix réclamer la fin du massacre ».
Il n'y a donc pas selon-vous un assoupissement des consciences ?
« Évidemment qu'il y en a un, et ce ne pourrait etre autrement. Nous avons un gouvernement conduit par un dégueulasse, et personne ne dit rien. Il a détruit la justice, et personne ne dit rien. Cela fait aussi des années que nous repoussons les migrants et que nous incitons à la haine raciale. Tout cela laisse des traces ».
Wanda Marra
Source | 20.03.2011 | IlFattoQuotidiano.it | Titre original Strada : “Bisognava pensarci prima. La guerra ? Non si deve fare mai” | Traduction : Olivier Manchion | Links : http://www.emergency.it | Photo : source | * Emergency lancera le mensuel “E” à partir du 6 avril 2011.
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