Entre Gaza et Sderot, un très grand fossé...
Qu’y a-t-il de commun entre un vieil album d’Astérix et les tensions existant au nord de la bande de Gaza ?
Quels ingrédients Uderzo et Goscinny - le nom du défunt jouxte celui de son ami en haut de la jaquette - ont-ils trouvé pour décrire les mécanismes d’une guerre fratricide ? Sur un même territoire, les habitants d’une petite contrée passent le plus clair de leur temps à se manifester leur détestation mutuelle. On commence d’abord par tirer la langue au camp d’en face et on finit par se bagarrer sur le pré. Un étranger ne peut cependant reconnaître physiquement les partisans d’un côté au milieu de leurs adversaires. Tous sont Gaulois. Cette absence de signes distinctifs évidents a sans doute incité les plus irréductibles à creuser un fossé pour couper physiquement les deux communautés. Cette solution extrême a entraîné de nombreux désagréments : le puits collectif devenu inaccessible, le pommier dont les fruits échappent à leur propriétaire, et la hutte éventrée de Théorix, celui qui n’a pas pu choisir son camp...
Des personnages ressortent du lot commun, bien distincts de la foule anonyme. Les deux chefs de faction n’exercent aucun métier utile à la collectivité : ni chasseurs, ni pêcheurs, ni commerçants. Ils recherchent les signes extérieurs d’une puissance dérisoire et affectionnent les discours publics. L’un comme l’autre nourrissent de grandes ambitions, à la faveur d’un contexte troublé. Lorsque les orions entre les deux camps dépassent un certain stade et que l’exaspération atteint son comble grâce à leurs efforts conjoints pour souffler sur les braises, les excités en viennent aux mains. Les deux chefs restent toutefois en retrait. Un personnage les surpasse en cynisme. Acidenitrix n’ignore pas combien son physique repoussant lui ferme toute espérance de réussite. Pour voir triompher ses vues, il n’hésite cependant pas à solliciter l’intervention des Romains. Sa traîtrise n’est finalement pas récompensée, le village se rassemblant autour du fils et de la fille des deux chefs déchus. Comme dans les autres histoires d’Astérix, l’issue du grand fossé est heureuse, un mariage scellant la réunion des deux communautés...
Au Proche-Orient, un très grand fossé sépare également les habitants de Gaza de ceux de Sdérot. Une frontière parcourt l’interstice entre les villes palestinienne et israélienne. Longtemps théorique, celle-ci n’empêchait pas les uns d’employer les autres et les autres d’acheter ce que les uns vendaient. Depuis, les roquettes Kassam et les bombardements de l’opération Plomb durci ont bouleversé la région. Les échanges n’ont pas tout à fait disparu, et les ouvriers palestiniens travaillent encore en grand nombre dans les chantiers de construction de maisons pour des Israéliens de la banlieue de Sdérot. Car la ville ne cesse de s’agrandir, qui compte déjà 23.000 habitants. Mais l’armée israélienne bloque désormais les Palestiniens dans la bande de Gaza.
La fermeture de la frontière a réduit la population active au chômage de masse. L’autarcie artificiellement maintenue par Israël mécontente le plus grand nombre de Palestiniens, en créant une forte inflation. Elle satisfait en revanche les mafieux, leurs réseaux fructifiant grâce aux trafics frontaliers entre Gaza et Israël ou entre Gaza et l’Egypte. Le Hamas tire également le plus grand profit de la situation. Il assure en effet la prise en charge des nécessiteux qui viennent par la suite renflouer ses effectifs ou votent pour l’organisation islamiste. Un long reportage de Thalassa consacré à la bande de Gaza aurait mérité une plus ample publicité, le 18 décembre dernier.
La journaliste Agnès Rotivel a traversé récemment Sdérot pour mener une enquête un an après l’intervention de l’aviation israélienne dans la bande de Gaza. La ville a subi plusieurs mois durant le feu des roquettes tirées depuis le territoire palestinien, au rythme de cinquante à soixante par semaines. Les habitants croyaient auparavant être préservés des problèmes des grandes villes du nord (Jérusalem et Tel-Aviv). Le fonctionnaire municipal interrogé par la journaliste de La Croix déplore la proximité de Gaza. Pourtant, les kibboutz les plus proches ont toujours eu recours à la main d’œuvre arabe. Mais les Israéliens ont décidé de faire appel à des immigrés asiatiques.
Entre 2004 et 2006, le gouvernement Sharon a subventionné l’installation d’entreprises à Sdérot. La collectivité paie cher l’équipement des habitations...
« Depuis la fin de l’opération militaire israélienne, la ville a entrepris des travaux pour perfectionner ses protections. Par exemple : elle a équipé 4 000 appartement de systèmes d’alarme intérieure, pour les personnes âgées ou handicapées. Des abris sont construits le long des façades des immeubles anciens. Les propriétaires de villas ont dû construire ou réhabiliter leur abri particulier, selon de nouvelles normes : un carré de béton, situé près de la porte d’entrée et entièrement équipé pour soutenir un siège. La protection des écoles est renforcée. ’On rajoute des murs de 40 cm d’épaisseur, des fenêtres pare-balles’, détaille Georges Hadjaje. ’Les constructions doivent être encore plus résistantes car on redoute que la prochaine fois le Hamas n’utilise des moyens encore plus sophistiqués.’ Depuis deux ans, le ministère de la défense a dépensé 16 millions d’euros pour la protection de la ville. »
Mais les habitants ont dû se rendre à l’évidence et admettre leur vulnérabilité : quatorze tués, des centaines de blessés, et des dégâts matériels importants. L’étalement urbain coûte cher. Il ne sauve pas les Israéliens, mais les fragilise au contraire. N’importe quel projectile peut tomber sur une zone urbaine de centaines d’hectares. Combien d’habitants de Sdérot pourront-ils se construire des bunkers, en admettant même que des protections solides effaceraient totalement l’appréhension d’un bombardement ? Les moins fortunés et les plus réalistes s’éloigneront de Gaza, hors de portée des roquettes. Agnès Sotivel constate que des entreprises ont déjà jeté l’éponge, en se trouvant dans l’impossibilité de faire face à leurs frais. Les primes d’assurance ont fortement augmenté avec le risque de bombardement. La puissance publique se heurte aux réalités économiques. [source : Sderot renforce ses défenses contre les attaques venues de Gaza]
En attendant le très grand fossé se creuse entre Israéliens et Palestiniens... L’illustration de départ est tirée du Grand fossé en picard. Puissent les bonnes volontés surpasser les obstacles, comme ces médecins israéliens évoqués par le Monde daté du 24 décembre. Malgré les obstacles en tous genres posés par les autorités de leur pays, ils soignent des patients palestiniens : Consultation particulière. Espoir de cette fin de l’année 2009...
PS./ Geographedumonde sur Israël : Le puits sans fond, Une affaire de proportions… ?, Israël, tourne-toi et Comment l’historien Shlomo Sand n’a rien inventé…
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