Entretien (prof. SciencesPo) sur les routes de la Soie
Cet entretien a été avec une professeur de SciencesPo (ne souhaitant pas être citée).
1/ Les futures routes de la Soie peuvent-elles nous rendre encore plus dépendants de la Chine ?
La réponse est en deux temps, selon la position géographique, stratégique des pays concernés et leur poids économique relatif. Si on considère les pays d'Asie Centrale, d'Afrique ou d'Europe dont l'économie est en crise durable, la réponse est oui. Certains pays ont dès l'origine marqué leur réticence à intégrer un réseau qui ne leur serait pas bénéficiaire. C'est le cas de l'Inde. Certains pays regardent l' OBOR avec suspicion, c'est le cas de la Russie. D'autres ont annoncé leur retrait des programmes de prêts pour financer des infrastructures en raison du poids des remboursements de la dette et de l'allégeance - de facto - créée à l'endroit d'une Chine créditrice. C'est le cas du Sri Lanka. En ce qui concerne les pays d'Europe de l'Ouest : La Grèce et l'Italie ont été considérés comme des têtes de pont des intérêts commerciaux ou des chevaux de Troie des ambitions chinoises. Il est clair qu'il s'agit du développement d'un réseau qui, s'il repose sur le soft power et l'image positive de l'ancienne Route de la Soie, ne consiste pas en une opération de philanthropie mais reste avant tout une politique systématique de projection de puissance.
2/ Quel est selon-vous, le réel souhait de la Chine à travers ce projet ?
La notion et la volonté de contrôle est moins pertinente ici que celle d'influence. Il faut remonter aux raisons qui sont à l'origine de l'initiative chinoise : améliorer et dynamiser les échanges, ouvrir des marchés, sécuriser les approvisionnements en énergie, avoir un accès aux matières premières et ressources nécessaires, le tout pour maintenir une croissance qui est aussi une garantie de stabilité sociale et politique. En ce sens, Il y a un volonté de globalisation au profit de la Chine qui cherche à assurer son hégémonie économique en Asie face aux grandes économies en place, à conserver et à accroître son emprise sur les pays d'Asie du sud est et d'Asie centrale, tributaires de leurs liens commerciaux avec elle. Pour ce qui est des pays d'Europe, le poids de la Chine n'est pas suffisant pour envisager sérieusement dominer économiquement et encore moins politiquement, à condition que l'UE présente un front uni et agisse de façon coordonnée dans les choix de partenariat avec la Chine (la recherche par exemple). En outre, la pandémie qui trouve son origine en Chine, les atermoiements des débuts de la propagation du virus depuis Wuhan, la communication-propagande autour de la lutte ont endommagé durablement l'image de la Chine au plan international.
3/ Le fait que les Etats-Unis ne soient pas concernés dans ce projet faramineux est-il désavantageux pour l'Europe ?
Il faut se référer au fait que la question qui se pose oppose les Etats Unis et la Chine mais implique également de nombreux autres acteurs, situés dans leurs sphères d'influence ou autonomes. On a beaucoup évoqué des modèles anciens de croissance et déclin des puissances : syndrome de Thucydide, chute de l'Empire romain... . Il s'agit moins d'un monde organisé au profit des Etats Unis, un modèle qui serait déclinant, avec la Chine dans le rôle de la puissance montante que d'un monde multipolaire qui se dessine dans lequel l'Europe a toute sa place, sans oublier la Russie, l'inde qui pèsent un poids considérables pour des raisons diverses. La rivalité entre Washington et Beijing laisse un espace pour les pays d'Europe, une fois encore si l' U E parvient à relancer une dynamique de coopération et de croissance. Avant même la crise du covid 19, politiques nationales et replis individuels étaient à l'oeuvre en Europe comme autant de forces centrifuges et facteurs d'affaiblissement.
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