Erreurs de casting à la DGSE...
Les conflits passent et se ressemblent. L'administration de la DGSE continue à sélectionner des profils académiques inutiles au lieu des François Vidocq qu'il nous faudrait pour contrer la guerrilla qu'on nous mène. Réflexions d'un cinquantenaire qui reçoit une lettre de convocation à un concours trente ans trop tard...
Un jour, un papier arrive dans votre boîte aux lettres. Cette lettre a trente ans de retard et plusieurs strates sociales d'écart. Vous ouvrez l'enveloppe, observez l'en-tête du ministère des armées, le numéro de candidat et l'objet : "Concours externe pour l'accès au corps des Attachés".
Les épreuves d'admissibilité ont lieu à Paris, début décembre 2020, dans le voisinage du Château de Vincennes ; là même où vous vous êtes entraîné pendant votre PMP Parachutiste, là où vous retrouviez votre pote, Yann, chaque week-end, après son service quand il fermait le café-tabac de ses parents, sur la place du Château.
Seulement, voilà, trente ans ont passé. À l'époque, quand vous sortiez de votre école de journalisme, la tête plein de faits historiques, avec encore à l'oreille les cours magistraux des profs d'Assas qui vous enseignaient les relations internationales, les cours de civilisation américaine à la fac de Censier-Daubenton, peut-être était-ce un projet envisageable. À l'époque, peut-être, avec du travail, vous pouviez espérer réussir ce concours d'entrée à la DGSE, vous fondre dans le moule d'une administration, d'une carrière de fonctionnaire catégorie A.
Mais, quand vous êtes un père de famille de 53 ans, habitant à Marseille ; que vous devez dépenser les quelques centaines d'euros nécessaires pour vous présenter à cette première session d'admissibilité parisienne, comment faites-vous pour vous projeter sur un tel avenir ? Un poste de stagiaire pendant un an, révocable, un studio quelque part en banlieue parisienne pour aller au boulot, avec l'épouse et les enfants que l'on joint par Skype et à qui on n'envoie même pas d'argent... Non, ce n'est pas envisageable, ce recrutement est destiné aux petits "bourges" qui sortent de leurs études, avec leur Master ou leur doctorat dont l'encre est à peine sèche.
J'ai lu les documents proposés par l'administration, l'arrêté du 6 juin 2017 fixant les règles, le programme des épreuves, etc. J'ai consulté les annales de l'année 2019, avec les attentes de l'administration et les "meilleures" copies. j'ai observé les graphismes de gens brillants, un peu scolaires parfois, mais impeccablement exhaustifs. Je me suis dit que j'aurais pu autrefois être un de ces singes savants qu'affectionnent les administrations, un de ces cadres A qui nous envoient systématiquement au tapis dans toutes les guerres qu'on nous fait.
À mon âge, la DGSE a formaté des types qui "en ont vu". Ils ont compulsé des milliers de documents confidentiels, ont dit trente mille fois bonjour aux gardiens à l'entrée du bâtiment, en bas, ont pris l'habitude de prendre leur café et de discuter avec les mêmes collègues. À la maison, les copains de leurs gosses ont un regard admiratif :" son père est une sorte d'espion, un truc comme ça". On prend des poses, on observe un silence de circonstance dans les conversations. Tout le monde sait qu'on est... Le secret professionnel, les "ce n'est pas racontable", et toute la mythomanie somnifère qui va avec.
Sauf que le criminologue Xavier Raufer vient d'écrire un papier intitulé : "Renseignement et anticipation, persistant problème contextuel". Cet éminent et sympathique chercheur nous dit que "la sécurité globale doit d'abord parer aux surprises", citant "la société du risque" du sociologue allemand Ulrich Beck, qui disait que tout spécialiste devait devenir prévisionniste, que l'essentiel était de savoir devancer. Beck déplorait déjà que, dans le monde de la sécurité globale, la phase de la détection précoce des menaces soit "négligée" par des "gens n'ayant pas idée de comment anticiper." D'où les navrantes guerres néo-coloniales dans lesquelles nous avons été embarqués.
Comment donc combattre l'aveuglement et agir à temps ? L'étudiant qui prépare le concours d'entrée d'analyste à la DGSE est un jeune homme ou une jeune femme qui débute une carrière professionnelle de cadre A. Sociologiquement, il ou elle appartient à une famille aisée, les études sont en rapport. Il est plus facile d'être parisien, le concours et la carrière se déroulant à Paris.
Or, ces jeunes gens brillants et propres sur eux vont se confronter à des adversaires qui ont intégré des cellules combattantes depuis l'adolescence, ont affronté mille dangers : ceux des services de sécurité intérieure de leurs pays, les traîtres, les espions, les affrontements entre factions. Il y a des viols, des meurtres dans le vécu de nos ennemis. Face à cela, qu'oppose le candidat à l'analyse de la DGSE ? Une parfaite connaissance des analyses passées. Les analyses des services de renseignement, nous dit Xavier Raufer, "cherchent dans le seul passé les références et normes de leur action future." Notre DGSE, administrative s'il en est, prépare la guerre d'hier, pas celle d'aujourd'hui, encore moins celle de demain. Le chercheur donne l'exemple de l'ONU qui prépare son plan d'action de paix au Yémen en se basant sur l'année 2012. Avec dix ans de retard.
Tout savoir du passé permet-il de contrer l'attaque de demain ? Non. Etre pratiquant de boxe française en amateur permet-il d'affronter un champion comme Buakaw Banchamek en Muay Thaï, au stade Lumpinee à Bangkok ? Non, là encore.
Alors, pour cesser de mal paraphraser Xavier Raufer et de critiquer stérilement une administration qui m'a tant fait rêver, je me permettrai de continuer mon modeste travail d'anticipation, qui sera ponctuellement lu par le ministère des affaires étrangères quand le système de veille informatisé décèlera le nom d'un groupe terroriste, le mot "djihad" et autres termes convenus du milieu. LinkedIn fera sont travail pour m'informer du passage du "ministère des armées...
Mais je n'apporterai pas ma contribution citoyenne aux réflexions des personnes en charge de la défense de mon pays de naissance. Comme ma patrie ne bénéficiera pas du concours de tant d'autres atypiques, de hors chapelles, qui, par le hasard, l'intuition, ou la sensibilité auraient pu pressentir une attaque d'un type nouveau ou préparer une attaque contre nos ennemis. C'est ainsi que l'on devrait mener une guerre, attaque ou contre-attaque, pas obligatoirement avec un coup de retard comme on le fait depuis quarante ans.
J'aurais aimé faire partie d'une cellule chargée de cibler une zone, un groupe avant qu'il ne passe à l'acte. Notre travail aurait consisté à lire toute la presse et les réseaux, à récolter au quotidien des faisceaux de présomption pour donner des cibles aux services action. Nous aurions été des Mícheál Ó Coileáin, des Michael Collins de la DGSE. Mais la DGSE ne prend pas des stratèges commis à la poste, fussent-ils de la trempe d'un Michael Collins qui a organisé la meilleure armée secrète au monde. Il faut à la DGSE des individus qui rentrent bien dans les clous, pour perdre nos guerres "selon les attentes".
10 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON