Espéranto et prix Nobel
L’actualité permet un regard historique sur la relation des prix Nobel avec la langue internationale espéranto, dont l’initiateur avait refusé d’être proposé comme candidat à ce prix.
Prix Nobel de physique 1921, Albert Einstein avait été président d’honneur du 3e congrès de Sennacieca Asocio Tutmonda (SAT : Association mondiale anationale ) qui s’était tenu à Cassel, en Allemagne, en 1923. Implantée dans une cinquantaine de pays, SAT est une organisation socio-culturelle qui, dès sa fondation, à Prague, en 1921, avait adopté l’espéranto comme langue de travail. Du fait de son aversion envers le nationalisme, le militarisme et l’embrigadement, Einstein ne pouvait pas être insensible à la démarche anationale (non-nationale) et à la liberté d’esprit de SAT, une liberté qui a valu à celle-ci bien des entraves sous les régimes totalitaires.
Bon nombre de prix Nobel ont approuvé l’espéranto, ou l’ont même parlé. Prix Nobel de physique 1906, Sir Joseph Thomson, professeur de physique à Cambridge, fut le premier vice-président de l’Association internationale scientifique espérantiste (ISAE) en 1907-1908.
Prix Nobel de Médecine 1957, Daniel Bovet (Suisse, 1907-1992) était fils de l’éminent psychologue et pédagogue espérantiste Pierre Bovet ; il fut donc par son père un « natif » espérantophone.
Le prix Nobel le plus récent accordé à un scientifique espérantiste est celui de Sciences économiques 1994, remis au professeur Reinhard Selten (Allemagne, 1930-) qui est membre de l’Académie internationale des sciences (AIS, fondée en 1983) dont la langue officielle et principale langue de travail est l’espéranto.
Le pacifiste Alfred Hermann Fried (Autriche, 1864-1921, paix 1911), et le scientifique Linus Pauling (États-Unis, 1901-94, chimie 1954), le parlaient aussi.
Parmi les soutiens notables figurent :
- Henri Becquerel (1852-1908), France, Physique 1903,
- Sir William Ramsay (1852-1916), Grande-Bretagne, Chimie 1904,
- Bertha von Suttner (1843-1914), Autriche, Paix 1905,
- Rudolf Euken (1846-1926), Allemagne, Littérature 1908,
- Selma Lagerlöf (1858-1940), Suède, Littérature 1909,
- Henri La Fontaine (1854-1943), Belgique, Paix1913
- Charles Richet (1850-1935), France, Physiologie et Médecine 1913,
- Rabindranath Tagore (1861-1941), Inde, Littérature 1913,
- Romain Rolland (1866-1944), France, Littérature 1915,
- Charles-Edouard Guillaume (1861-1938), France, Physique 1920,
- Fridtjof Nansen (1861-1930), Norvège, Paix 1922,
- Ferdinand Buisson (1841-1932), France, Paix 1927,
- Lord Edgar Cecil of Chelwood (1864-1958), Grande-Bretagne, Paix 1937,
- Roger Martin du Gard (1881-1958), France, Littérature 1937,
- Lord John Boyd Orr of Brechin (1880-1971), Grande-Bretagne, Paix 1949,
- Hideki Yukawa (1907-1981), Japon, Physique 1949,
- Jaroslav Heyrovsky (1890-1967), Tchécoslovaquie, Chimie 1959,
- Alfred Kastler (1902-1984), France, Physique 1966,
- Jan Tinbergen (1903-1994), Pays-Bas, Sciences économiques 1969,
- Willy Brandt (1913-1992), Allemagne, Paix 1971,
- Camilo Jose Cela (1916-), Espagne, Littérature 1989.
En 1922, à Genève, alors que le gouvernement français s’opposait avec acharnement à ce que la question de l’enseignement de l’espéranto soit débattue à la Société des Nations, c’est un Anglais, Lord Edgar Cecil of Chelwood, qui avait appelé les délégués à se souvenir "qu’une langue mondiale n’était pas nécessaire seulement pour les intellectuels, mais avant tout pour les peuples eux-mêmes".
Lors du cinquième Congrès universel d’espéranto, qui se tint à Barcelone en 1909, le Dr Henri Dor, Suisse, fondateur d’une grande clinique de soins ophtalmologiques gratuits à Lyon, éminent ophtalmologue et grand polyglotte, suggéra que le Dr Zamenhof, l’initiateur de l’espéranto, soit proposé pour le Prix Nobel. Zamenhof s’y opposa. La proposition ne fut donc pas débattue. Ses chances étaient pourtant réelles, car il jouissait déjà d’un prestige moral sans frontières. Un mois après, il fut décoré de l’Ordre d’Isabelle la Catholique (la décoration ne lui fut remise qu’en 1911, lors du congrès universel d’Anvers, en Belgique). Il avait déjà reçu la Légion d’honneur en 1905.
La Croix-Rouge, à laquelle le Prix Nobel de la paix fut attribué en 1917 (puis en 1944, ensuite en 1963 avec la Ligue des sociétés de la Croix-Rouge ; et au HCR en 1954) avait adopté une résolution en faveur de l’espéranto lors de sa dixième conférence internationale, à Genève, en 1921.
Jean-Paul Sartre, qui a refusé le Prix Nobel de littérature en 1964, approuvait les efforts en faveur d’une langue internationale construite, à condition que cela ne tue pas les langues et les cultures nationales. Trois de ses oeuvres ont été traduites et publiées en espéranto : "Huis-clos" (Sen eliro), "La putain respectueuse" (La respektema P.) et "La nausée" (La naùzo).
Alfred Kastler avait accepté la présidence d’honneur du Centre culturel d’espéranto de Guebwiller, sa ville natale. Il avait connu l’espéranto grâce à son maître, Aimé Cotton, physicien de renommée mondiale et espérantiste confirmé, qui fut membre de l’Académie des sciences.
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