Essai de déconstruction du mythe de « choc des civilisations » (1)
Hier soir, en surfant sur les différents sites internet que j’ai l’habitude de consulter, je me suis attardé plus que d’habitude sur « dédefensa.org » où les articles d’une certaine Badia Benjelloune sont un véritable délice. Un véritable délice dans le sens où son écriture est tellement fluide et aérée qu’elle pénètre aisément dans l’esprit et incite à la réflexion. Cette femme (si c’est vraiment une femme) dont le nom rappelle celui d’un écrivain franco marocain, Tahar Benjelloun, est d’une clairvoyance telle que je n’ai pas manqué de lui laisser un petit commentaire pour la remercier du travail qu’elle accomplit presque quotidiennement sur ce site. Rien n’échappe à sa sagacité et à son érudition. Sa culture est certainement assez vaste pour lui permettre d’aller puiser des anecdotes même dans le passé glorieux de notre civilisation arabo-musulmane que d’aucuns veulent ressusciter en s’adonnant à un « djihadisme » qui, tout compte fait, fait beaucoup plus de mal au monde musulman que toutes les armées du monde occidental réunies.
Et, en lisant ces écrits, je n’ai pu m’empêcher de penser que le monde musulman, pour qu’il retrouve sa gloire d’antan et pour qu’il sorte de la nuit et des ténèbres dans lesquelles il végète depuis des siècles maintenant, a plutôt besoin de gens de la trempe de cette dame que de djihadistes tels le sieur Mokhtar Belmokhtar. Cette dame, par ses écrits, contribue, d’une manière ou d’une autre, à la déconstruction du mythe, apparu il ya quelques années d’abord aux Etats-Unis puis il s’est vite répandu en Europe, qui veut qu’en ce début du troisième millénaire, nous allions inévitablement vers un « choc des civilisations ». En ce qui nous concerne, et disons que nous sommes de simples citoyens c’est-à-dire n’ayant aucune autorité en matière d’analyse géopolitique, nous réfutons cette thèse. Et cela pour deux raisons principales.
Primo, les guerres qui sont menées un peu partout dans les pays musulmans par des armées de l’Occident ont-elles vraiment le caractère des croisades selon le sens classique de ce terme ? Personnellement, j’en doute. Sinon, comment expliquer ceci : on a vu, par exemple, qu’en Irak, en 2003, la coalition qui a mis fin au régime irakien de Saddam Hussein, était constituée même de certains pays musulmans (Turquie, Arabie Saoudite, Qatar…). Par ailleurs, dans toutes ces guerres[1] , il faut bien admettre que la géopolitique et l’économie en sont le moteur essentiel. Ce sont elles qui priment sur les considérations religieuses.
On a beau dire qu’à la suite de la chute du mur de Berlin, en 1989, suivie de la dislocation de l’URSS, l’Histoire a pris fin, mais non. Celle-ci a peut-être connu un petit moment de flottement où le seul bloc hégémonique qui continuait à gérer les affaires du monde était représenté par la puissance militaire et économique que sont les Etats-Unis. Elle a eu un moment de bégaiement mais elle a tout de suite repris son cours normal et, finalement, le deuxième bloc qu’est la Russie s’est reconstitué à la faveur de sa courte guerre qui l’a opposé à la Géorgie voisine. A partir de ce moment-là, il est permis de dire que l’ours a repris du poil de la bête pour user d’une métaphore assez connue s’agissant de l’ancienne URSS.. La Russie de Poutine II (on l’appellera ainsi parce qu’après un intermède de cinq ans où la présidence de cet Etat, amputé d’une bonne partie de son territoire de naguère, était assurée par Medvedev, il est revenu au pouvoir) n’a plus l’intention de laisser faire, de rester à l’écart des affaires du monde. Une mention particulière doit être faite, ici, à cet égard. Et c’est le président de la commission des affaires étrangères de la Douma, Alexie Pouchkov, qui le dit : « La Russie est en train de mettre un terme à sa dépendance de la superpuissance mondiale »2. Autrement dit, la Russie d’aujourd’hui a les moyens tant militaires qu’économiques de reprendre la place qui était la sienne avant la prise du pouvoir par Michail Gorbatchev qui, avec sa politique de Glasnost et de perestroïka ne put qu’entrainer son pays à l’effondrement. Cette période fut d’ailleurs caractérisée par des troubles (manifestations et grèves) et de révolutions colorées, certainement commanditées de l’étranger, dans la plupart des confédérations de l’ex URSS qui se trouvent actuellement autonomes et même, pour certaines d’entre-elles, dans le giron de l’Europe de l’Ouest.
Pourquoi ai-je fait une petite parenthèse en parlant de la Russie d’aujourd’hui ? C’est pour la simple raison que lorsqu’on parle de « choc de civilisations », il ne faut pas perdre de vue que l’auteur de ce brûlot qu’est Samuel Huntington, avait eu l’idée de proposer cette théorie, dénuée de tout fondement à notre sens, après l’effondrement du bloc soviétique. Il s’en était servi comme modèle pour expliquer les nouvelles relations internationales. Il « s'appuie sur une description géopolitique du monde fondée non plus sur des clivages idéologiques « politiques », mais sur des oppositions culturelles plus floues, qu'il appelle « civilisationnelles », dans lesquelles le substrat religieux tient une place centrale, et sur leurs relations souvent conflictuelles »2. Pour Samuel Huntington sans doute, la disparition du bloc de l’Est, qui a, pendant une soixante d’années, vécu sous le régime de l’idéologie communiste, équivaut à la fin de l’Histoire. En réalité, cette prophétie est de Francis FUKUYAMA. Huntington l’a reprise ensuite à son compte et l’a largement développée. Or, il nous semble, qu’au vu des évènements politiques et historiques actuels qui mettent le monde sens dessus-dessous, que rien n’est moins faux. Ne peut-on pas penser qu’il y avait certainement confusion dans l’esprit de cet auteur en assimilant l’idéologie à l’Histoire ? Une simple supposition de ma part qui, j’en suis conscient, peut être tout à fait farfelue. Mais, essayons quand même d’analyser le problème sous cet angle. Le jeu en vaut la chandelle. La fin d’une idéologie quelle qu’elle soit signifie-t-elle la fin de l’Histoire ? Certes, les idéologies peuvent avoir une fin, mais ce n’est pas du tout le cas de l’Histoire qui, elle, ne finira qu’avec l’extinction de l’espèce humaine puisque c’est l’Homme qui fait l’Histoire et non l’inverse. Le temps et les guerres qui ont eu lieu ces dernières années, malheureusement toujours dans la sphère arabo-musulmane, ne sont-ils pas entrain de contredire de façon éclatante cette théorie ? Car, même si l’ennemi, contre lequel on oppose toute une armada et des armes sophistiquées, est musulman, force est de reconnaître qu’il ne s’agit pas du tout de guerres opposant des civilisations différentes, l’Occident et le monde musulman. D’ailleurs cet Occident qui intervient ici et là, du Maghreb au Moyen-Orient et même plus loin, ne le fait pas de façon cohérente. Si la première guerre de ce siècle débutant a commencé en Afghanistan sous la conduite de la première puissance mondiale, les Etats-Unis, a été motivée par une idée noble en soi, la lutte contre le terrorisme islamiste, il est aisé de remarquer, qu’ailleurs, ce même Occident encourage si ce n’est qu’il appuie ces mêmes islamistes à s’emparer du pouvoir. Pourquoi dans ce cas cette politique de deux poids de mesures ? La réponse est simple. Là où les islamistes font le jeu de l’Occident et ne s’opposent pas à ses intérêts économiques, ils sont considérés comme modérés et donc aptes à composer avec lui, c’est-à-dire avec l’Occident d’une façon générale, et là où les islamistes se manifestent de façon bruyante contre ses intérêts, ils sont tout de suite taxés d’extrémistes, de terroristes qu’il faut combattre par tous les moyens. L’islamisme politique est une calamité, une catastrophe d’abord pour les musulmans eux-mêmes. Ces premières victimes furent d’abord en Algérie, au début des années 90 lorsque le FIS a été, ayons quand même le courage de le dire, spolié de sa victoire électorale par le pouvoir algérien de l’époque. Mais, à cette époque-là, les puissances occidentales ont laissé faire, elles ne sont pas intervenues pour aider le peuple algérien estimant probablement que le problème ne les concernait pas du tout. Plus que ça, nous avions même eu droit à une injonction de la part d’un certain François Mitterrand sous la forme de « il faut que ». En fait, si à cette époque ni les américains ni aucun autre pays du bloc occidental n’est intervenu en Algérie, c’est parce la nouvelle doctrine du « siècle américain » n’était pas encore née. Elle était, certes, dans les tiroirs des Think tank américains mais son application sur le terrain n’a commencé qu’avec l’arrivée au pouvoir de W. Bush, particulièrement depuis l’attentat, par la nébuleuse islamiste El Qaîda, qui a détruit les twin tawors. Du jour au lendemain, l’on vit alors fleurir des qualificatifs tels « Etats voyous » à propos d’un certain nombre de pays (Soudan, Irak, Libye…) et « axe du mal » (Irak-Iran). Tout cela pour dire que l’Irak de Saddam Hussein était déjà dans l’œil du cyclone et il devait, un jour ou l’autre rendre des comptes avec ou sans ADM (arme de destruction massive). Cette doctrine appelée « Doctrine Powell » consiste à donner les moyens militaires aux Etats-Unis pour qu’ils puissent intervenir partout dans le monde et défendre ainsi leurs intérêts.
Notes.
[1] Guerre dont le motif avoué est la lutte contre le terrorisme islamiste et particulièrement « El Q aida » tenue, jusqu’à présent, pour responsable de l’attentat du 11 septembre qui a détruit les tours jumelles de New York. Rappelons-nous que cet attentat a mis le monde entier en émoi à tel point que le slogan du jour qui fut inventé était « nous sommes tous américains »)
2 Voir le site dédefensa.org : http://www.dedefensa.org/article-le_timon_du_monde_est_rompu_04_02_2013.html  ;  ;
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