Etats-Unis : les enjeux des élections de novembre
Les élections de mi-mandat - ainsi nommées parce qu’elles surviennent au milieu du mandat présidentiel - ne soulèvent généralement que peu d’intérêt aux Etats-Unis. Le contexte actuel laisse cependant présager une assez forte mobilisation des opposants à la politique de l’administration Bush.
Les Américains ont la réputation de voter peu. D’un point de vue français, il est certain que leur taux de participation aux élections est assez bas (même s’il faut tenir compte du fait qu’ils ont beaucoup plus souvent l’occasion de voter que nous-mêmes). Ce phénomène de désaffection est particulièrement visible pour les élections de mi-mandat : depuis les années 1970, le pourcentage moyen de personnes en âge et en droit de voter s’y exprimant effectivement est inférieur à 42%.
Les élections qui se dérouleront le 7 novembre prochain pourraient cependant être marquées par un regain de participation, à l’instar de l’élection présidentielle de 2004, qui avait attiré plus d’électeurs que les élections de 1996 et 2000 (59,6 % contre respectivement 52,6 % et 55,6 %). La présidence Bush, en radicalisant les opinions politiques, a incité davantage d’Américains à venir exprimer leur opinion dans les urnes.
Les Etats-Unis ne sont pas moins polarisés aujourd’hui qu’ils ne l’étaient en 2004, mais George W. Bush a beaucoup perdu en popularité depuis sa réélection. Plus personne ne conteste sérieusement que les choses vont mal en Irak, et une proportion croissante de la population considère qu’envahir le pays était une mauvaise décision. D’autres scandales, tels que les écoutes téléphoniques et la façon inefficace dont le gouvernement a réagi à l’ouragan Katrina, ont eu un impact très négatif sur l’opinion.
Cependant, il ne faut pas perdre de vue que les Etats-Unis sont un régime présidentiel, et non parlementaire. Le pouvoir législatif n’y est pas asservi au pouvoir exécutif, comme c’est le cas en France. Le sort des parlementaires du parti présidentiel n’est qu’assez peu lié à la popularité du président, dans un sens comme dans l’autre. Les parlementaires américains jouissent d’ailleurs d’un taux de réélection extrêmement élevé, et il n’est pas exceptionnel que certains d’entre eux siègent sans interruption pendant une vingtaine d’années.
Cette fois, néanmoins, l’impopularité du président Bush et la gravité des enjeux sont telles qu’elles menacent la majorité dont disposent actuellement les républicains au Congrès. Le récent scandale Foley - un parlementaire ayant adressé des messages érotiques à des mineurs dans le cadre de ses fonctions et que sa hiérarchie se serait abstenue de dénoncer - aggrave d’autant plus la situation du parti républicain qu’il touche aux valeurs morales, chères à son électorat.
Le Congrès américain est constitué de deux chambres, qui ont essentiellement les mêmes pouvoirs. Le Sénat se compose de 100 membres, qui se divisent actuellement en 55 républicains, 44 démocrates et un indépendant (proche des démocrates). 33 de ces sièges sont remis en jeu lors des élections de novembre : 17 appartenant aux démocrates, 15 aux républicains, plus celui du parlementaire indépendant, qui prend par ailleurs sa retraite. La Chambre des représentants, quant à elle, se compose actuellement de 230 républicains, 201 démocrates et un indépendant (proche des démocrates). Les représentants ne sont élus que pour une période de deux ans et remettent donc tous leur mandat en jeu cette année.
Le Parti démocrate a des chances non négligeables d’obtenir une majorité à la Chambre des représentants. Obtenir la majorité au Sénat, où un tiers des sièges seulement sont remis en jeu, s’annonce en revanche beaucoup plus difficile. Cinquante sièges suffiraient en effet aux républicains pour garder le contrôle du Sénat, le vice-président (actuellement Dick Cheney) disposant du pouvoir de trancher les situations d’égalité. En imaginant cependant que les démocrates obtiennent une majorité dans l’une des chambres, voire les deux, quelles possibilités cela leur offrirait-il pour lutter contre l’administration Bush ?
On pense tout d’abord à la fameuse procédure de l’impeachment. Les justifications ne manqueraient pas : si George W. Bush n’est pas accusé d’avoir bénéficié de fellations extra-conjugales, on lui reproche en revanche d’avoir menti au peuple américain pour pouvoir envahir l’Irak, d’avoir espionné illégalement des conversations téléphoniques et encore beaucoup d’autres procédés particulièrement douteux. Déclencher la procédure de l’impeachment ne nécessite qu’une majorité simple à la Chambre des représentants. Cela dit, même si la partie de la population la plus opposée à Bush la réclame, il est hautement improbable que les démocrates s’engagent dans une opération qui pourrait facilement se retourner contre eux. Une procédure d’impeachment exacerberait les divisions du pays et ses initiateurs n’échapperaient pas à l’accusation de mener une stratégie purement politicienne au détriment de l’intérêt national. Du reste, l’effort serait futile puisque l’impeachment du président nécessiterait une majorité des deux tiers au Sénat, que les démocrates ne pourraient en aucun cas réunir.
Le contrôle de l’une des chambres du Congrès conférerait aux démocrates la possibilité de bloquer les lois voulues par l’administration Bush. Le contrôle des deux chambres leur permettrait théoriquement de revenir sur certaines lois antérieures, même s’ils risquent alors de se heurter au véto présidentiel. Mais, même si une large partie de leur électorat le souhaite, il est sans doute inutile d’espérer que les démocrates profitent d’une majorité parlementaire pour mener une guerre de tranchées contre le pouvoir exécutif. Une telle tactique serait mal vue par l’opinion modérée, qui critique le manque d’efficacité de l’administration Bush, mais pas ses moyens de lutte contre le terrorisme. Le cas du fameux Patriot Act est très éloquent à ce sujet : début 2006, les parlementaires ont voté sa prolongation à une très large majorité, qui rassemblait bien au-delà des seuls élus républicains (89 sénateurs contre 11 et 280 représentants contre 138).
Dans le domaine de la politique extérieure, l’influence que pourraient acquérir les démocrates à l’occasion de ces élections restera de toute façon limitée. Les déclarations de guerre ne peuvent être prononcées que par le Congrès, mais ce pouvoir a été vidé de tout son sens par la disparition de la guerre classique. Le gouvernement Bush, pour intervenir militairement contre l’Iran ou la Corée du Nord, n’aurait aucunement besoin du soutien du Congrès. Quant à l’arme budgétaire, elle se retournerait très certainement contre ceux qui l’utiliseraient. L’opinion américaine verrait d’un très mauvais oeil une diminution des fonds permettant de lutter contre le terrorisme - même si la délimitation de cette lutte est de plus en plus floue - et d’équiper les soldats se trouvant actuellement en Irak.
En cas de victoire aux élections, il est donc probable que les démocrates feront un usage modéré de leurs pouvoirs. Les élections de 2008 sont déjà le coeur de leurs préoccupations, d’autant que George W. Bush ne s’y représentera pas, et qu’ils ne bénéficieront donc pas de sa popularité en berne. D’ici là, le Parti démocrate va donc s’efforcer de décrédibiliser les républicains, tout en évitant un possible effet boomerang. Le pouvoir d’enquête et d’investigation dont dispose le Congrès pourrait se révéler une arme majeure pour convaincre l’opinion.
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