Étrange incursion chez Marianne
L’assassinat d’une élue à Rio de Janeiro le 14 mars dernier a défrayé les chroniques, mais cet assassinat politique lève le voile sur un complot qui, depuis deux ans, malmène la jeune démocratie brésilienne qui a du mal à s’imposer dans un pays de castes.
Le mois dernier, je me suis insurgé à propos d’une émission de France Culture qui titrait : « Les démocraties sud-américaines face à l’héritage des dictatures militaires » et commentait la déposition de la présidente brésilienne Dilma Rousseff et l’après coup d’État parlementaire qui a secoué le Brésil en 2016.
D’emblée, les commentaires mettent en avant la condamnation de l’ex-président Lula pour corruption, discréditant quelque peu la mention au « coup d’État », laissé entre parenthèses et dans l’ombre du doute. La suite de l’émission, qui donne principalement la parole à Alain Rouquié qui, pour avoir été notre ambassadeur au Brésil, connaît bien ce pays. En effet, celui‑ci présente de nombreux aspects des évènements qui ont abouti à une intervention militaire dans la ville de Rio et, maintenant, à l’exécution d’une élue locale en pleine rue, justement alors que l’intervention avait pour but de contrôler la violence.
La question est que, par omission ou relativisme, monsieur Rouquié minimise les faits et, ‘diplomatiquement’, passe sous silence le fait qu’il y a réellement eu un coup d’État (peu importe si sous couvert de la Constitution et avec la bénédiction de la Cour Suprême), que ce coup d’État a mis ce qu’il y a de pire en termes de corruption au pouvoir, que ces gens ont mis en œuvre des réformes néolibérales de choc qui sont en train de détruire l’économie du pays avec l’appui de parlementaires à la solde des putschistes, bon nombre d’entre eux étant impliqués dans des affaires de corruption, que les accusations contre l’ex-président Lula ne s’appuient sur rien, au point qu’un livre a été produit par plus de cent juristes brésiliens qui démontent techniquement la sentence du juge Moro, que la condamnation dont il fait l’objet n’a d’autre objectif que de l’empêcher de se présenter aux élections (et mettre un terme au coup d’État), et qu’il y a actuellement au Brésil une réelle conspiration contre le peuple brésilien et les richesses du pays menée par une élite pourrie qui a été amplement décrite par le sociologue Jessé Souza dans son livre « A Elite do Atraso » (L’Élite Arriérée).
Bref, cette introduction me permet de situer l’objet de cet article qui concerne, cette fois, un article paru dans le numéro de cette semaine (23 au 29/03) de Marianne, sous la plume d’un certain Benoît Franquebalme, dont la page sur Marianne n’indique ni la qualité, ni la photo, et qui n’est l’auteur qu’un d’un seul article qui annonce la sortie d’une nouvelle série appelée « The Mechanism », sur la chaîne de VOD Netflix, série qui prétend retracer l’histoire « basée sur des faits réels » de l’opération ‘Lava-Jato’ qui a mis a nu le très gros scandale de corruption au sein de l’entreprise pétrolière brésilienne Petrobras.
Et là, on tombe dans la parodie de la parodie !
Certes, l’auteur fait la pub de la série, peut-être payé par Netflix pour la faire d’ailleurs, ou par d’autres encore, car les allusions politiques sont claires : Attention, Lula a été condamné pour corruption, ne votez pas pour lui. Et d’asséner : « Les Brésiliens en ont de la chance ! », comme si le tissu de mensonge dont est truffée la série en question pouvait être une chance pour quelqu’un !
Alors si, c’est une « chance » pour les partis politiques et les politiciens corrompus qui ont organisé le coup d’État, justement ! Avec une foule d’invraisemblances, d’insinuations mensongères et de sournoises déformations de la vérité, la série s’impose vraiment comme un monument dans le feuilleton du coup d’État qui mène le pays à la destruction sociale, politique et économique, et ce dans un contexte qui ressemble davantage à une dictature qu’à une démocratie. Les chiffres le disent déjà par le biais de l’institut de statistiques national : en deux ans, le taux de misère et de pauvreté est déjà remonté à celui de dix ans en arrière.
Et c’est ce que dénonce la présidente Dilma Rousseff, évincée de son mandat par des manœuvres malhonnêtes et des accusations fallacieuses soutenues par les grands médias nationaux, ceux-là mêmes qui ont soutenu, en son temps, le coup d’État de 1964 qui avait mené à 21 ans de dictature militaire. Elle dénonce elle-même, dans un article que j’ai traduit et que je poste en fin de cet article, les manœuvres outrageantes du cinéaste qui s’est permis de réaliser cette série. Au Brésil, en ce moment même, il y a une forte mobilisation pour le boycott de Netflix et bon nombre de personnes ont déjà résilié leur abonnement à la chaîne. Au bout du compte, il y a des soupçons que la chaîne ne soit pas innocente dans cette affaire et, dans le contexte électoral actuel au Brésil et le discrédit que la série tente de projeter sur l’ex-président Lula et son Parti des Travailleurs, l’ombre du complot plane dans tous les esprits.
D’ailleurs, et c’est pourquoi j’ai pris le temps d’écrire cet article, je trouve honteux que la revue Marianne se prête au jeu de ce monsieur qui, au milieu de références cinématographiques déconnectées, échafaude un réquisitoire pro-coup d’État, aux allusions si sournoisement subliminales que j’ai du mal à admettre que ce soit dû au hasard.
Ci-après, l’article de Madame Dilma Rousseff – (Ex)Presidente de la République du Brésil
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Le mécanisme de José Padilha pour assassiner les réputations
Le pays poursuit sa route, malgré les illusionnistes, les vendeurs de haine et les putschistes de service. Maintenant, l’histoire pro-coup d’État de 2016 prend une nouvelle teinte, avec un regard captieux sur l’histoire, entouré des tonalités typiques du fascisme latent dans le pays.
Sous le propos de raconter l’histoire de la Lava-Jato [opération ‘Karcher’ sur la corruption au sein de l’entreprise Petrobrás] par le biais d’une série « basée sur des faits réels », le cinéaste José Padilha s’engage dans la distorsion de la réalité et le colportage de mensonges de toutes sortes afin de m’attaquer et d’attaquer le président Lula.
La série « The Mecanism » de Netflix est mensongère et sournoise. Le metteur en scène invente les faits. Il ne reproduit pas des « fake news ». Il s’est lui-même transformé en producteur de fausses nouvelles.
Le cinéaste traite du scandale du Banestado, dont le délateur‑cambiste était Alberto Yousseff, sur une échelle de temps fantaisiste. Or, si la série est « basée sur des faits réels », il faut au moins s’attacher au temps où les faits ont réellement eu lieu. L’affaire du Banestado n’a pas commencé en 2003, comme le dit la série, mais en 1996, en plein milieu du gouvernement de FHC [Fernando Henrique Cardoso].
En ce qui me concerne, le metteur en scène utilise la même palette qu’une partie de la presse brésilienne pour pratiquer un assassinat de réputation, vomissant des mensonges dans la série télévisée, certains même qu’une partie des grands médias nationaux n’a pas eu le courage d’insinuer.
Yousseff n’a jamais pris part à ma campagne de réélection, ni est venu au siège du comité, comme le souligne la série dès son premier épisode. La vérité est que ce cambiste n’a jamais eu de contact avec un membre quelconque de mon comité de campagne.
La mauvaise foi du cinéaste est outrancière au point de commettre une autre extravagance : celle que je serais une proche de Paulo Roberto da Costa. C’est faux ! Je n’ai jamais eu une once d’amitié quelconque avec Paulo Roberto, démis de ses fonctions de la Petrobrás sous mon propre gouvernement.
Dans la série de TV, le cinéaste s’autorise même le culot d’utiliser les fameuses paroles du sénateur Romero Jucá (PMDB‑RR) quant à « étancher la saignée », à l’époque de l’impeachment frauduleux, pour éviter que les enquêtes ne remontent jusqu’aux putschistes. Jucá y avouait son désir d’un « grand accord national ». Ce qui est le plus effrayant, c’est que le réalisateur attribue ces déclarations au personnage qui incarne le président Lula.
Voyez cela ! Dans la vie réelle, Lula n’a jamais fait de telles déclarations. Le sénateur Romero Jucá, leader du coup d’État, a affirmé cela au cours d’une conversation avec le délateur Sérgio Machado, qui l’a enregistré, et à qui il expliquait le caractère stratégique de ma destitution.
À cette occasion, Jucá et Machado débattaient sur la façon de paralyser les investigations de la Lava‑Jato contre les membres du PMDB et du gouvernement de Temer, objectif qui sera atteint par l’arrivée des putschistes au pouvoir à partir de mon éviction de la Présidence de la République, en 2016.
Un autre mensonge, c’est la déclaration du personnage basé sur Yousseff qui affirme qu’en 2003 le ministre de la Justice d’alors était son avocat. C’est une invention. Le portefeuille était alors tenu par Márcio Thomas Bastos. Padilha fait là une attaque insidieuse à l’honneur de l’avocat criminaliste. Le juriste n’est même plus en vie pour pouvoir se défendre.
Le cinéaste n’utilise pas la liberté artistique pour recréer un épisode de l’histoire nationale. Il ment, déforme et falsifie. C’est bien plus que de la malhonnêteté intellectuelle. C’est le propre d’un lâche au service d’une version [des faits] qui craint la vérité.
C’est comme si l’on recréait au cinéma les derniers moments de la tragédie de John Kennedy en mettant en scène l’assassin, Lee Harvey Oswald, accusant la victime. Ou Winston Churchill s’alliant avec Adolf Hitler pour attaquer les États‑Unis. Ou Getúlio Vargas très ami avec Carlos Lacerda pour soutenir le coup d’État en 1954 [au Brésil].
Le cinéaste construit une fiction qui traite de l’histoire du pays, mais sans en aviser le public. Il déclare se baser sur des faits réels e tente, de ce fait, de dissimuler son objectif en inventant des passages et faussant les faits réels de l’histoire pour façonner une réalité à sa manière et selon son bon plaisir.
Je réitère tout mon respect à la liberté d’expression et à la manifestation artistique. Il y a ceux qui souhaitent créer de la fiction et ils ont entièrement le droit de le faire. Mais on se doit de reconnaître qu’il s’agit de fiction. Dans le cas contraire, ce qui est fait n’est pas basé sur des faits réels, mais sur de réelles distorsions, sur des « fake news » inventées.
DILMA ROUSSEFF
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