Faciliter l’accès aux soins dans les bidonvilles de Jakarta
Sans papiers et résidant dans des quartiers illégaux, les populations défavorisées du nord de Jakarta n’ont pas accès au système de santé indonésien. Depuis trois ans, Médecins du Monde multiplie les actions pour les aider à sortir de cette situation.
Les maisons de tôle et de bois construites sur pilotis dominent un océan d’ordures. Des abris de planches servent de toilettes de fortune. Il est midi et la chaleur est insupportable. Dans le dédale de ruelles étroites, des myriades d’enfants courent dans tous les sens en riant. Les kaki lima, petits restaurants ambulants, vendent leurs beignets frits et des hommes vêtus de blanc se pressent vers la mosquée. Bienvenue dans le quartier de Penjaringan situé dans le nord de Jakarta. Ce matin, jour de prière, une table a été installée le long d’une petite échoppe. Une équipe d’infirmières et un médecin assurent les vaccinations pour les enfants et les mamans. Permettre l’accès aux soins pour la population des bidonvilles de Jakarta, c’est la mission mise en place il y a trois ans par Médecins du Monde.
« Il faut savoir que nous sommes ici dans des zones illégales, explique Belén Pedrique, coordinatrice médicale à Médecins du Monde. Les maisons sortent du sol sans permis et les autorités ne reconnaissent pas l’existence de ces bidonvilles. Ici, il n’y a donc pas de structure officielle comme les centres de santé primaire, les puskesmas. Tous ceux qui y habitent, des migrants issus d’autres provinces ou d’autres quartiers de Jakarta, ne sont pas considérés comme des citoyens de la ville. Sans papiers, ils ne peuvent pas demander la carte GAKIN, un sésame destiné aux pauvres qui permet d’être soigné gratuitement. Pourtant, ils travaillent tous dur dans la zone portuaire toute proche. Notre rôle est de les aider en leur donnant accès à un système de soins. »
Le projet de Médecins du Monde est centré sur quatre communautés de la zone nord de la ville : Kampung Goyang, Tanah Merah Atas, Tanah Merah Bawah et Tugu Selatan. Après les inondations de février 2007, le district de Penjaringan a pu, à son tour, être soutenu par Médecins du Monde. Vaccination et suivi de croissance pour les plus jeunes, accès au traitement des maladies chroniques, appui nutritionnel aux enfants souffrant de malnutrition ou de tuberculose, formation d’agents de santé et lobbying auprès des autorités sanitaires pour que les communautés illégales aient accès aux soins. Autant d’actions de Médecins du Monde dans ces bidonvilles dont la démographie reste floue. Les autorités évoquent le chiffre de 130 681 personnes. Mais les illégaux n’étant pas recensés, les écarts entre les chiffres officiels et la réalité sont surprenants. Un exemple. Le RW17 du district de Penjaringan affiche officiellement une population de 6000 personnes. « En fait, ils seraient autour de 36 000 personnes ! s’exclame Belén. Nous le savons car nous avons mené notre enquête auprès des chefs des blocs, l’équivalant des RT dans les quartiers légaux, qui nous ont fourni leurs chiffres. » Selon les autorités, 17 % de la population des quartiers nord de Jakarta vit en dessous du seuil de pauvreté. On peut facilement imaginer un chiffre plus élevé. Et la hausse du prix des carburants depuis 2005 ne facilite pas les conditions de vie.
Conditions sanitaires déplorables
Ce matin, Médecins du Monde assure le posyandu, c’est-à-dire la vaccination et le suivi nutritionnel pour les enfants et leurs mamans. La rue ne désemplit pas. Wahyu, infirmière pour Médecins du Monde, est concentrée sur son ordinateur. Elle rentre toutes les données. Une quarantaine de femmes et d’enfants seront examinés ce matin. En face, dans une maison prêtée par une voisine, Budy le médecin, et Yuli, infirmière, se chargent des vaccinations. Au programme : DTP, hépatite B, BCG, polio et rougeole pour les enfants. Les mamans en profitent pour se faire vacciner contre le tétanos. « Je suis contente, c’est vrai que je n’ai pas les moyens d’aller au puskesmas car pour ma famille c’est trop cher, raconte une maman, un nourrisson de deux mois dans les bras. Grâce à ce posyandu, je fais vacciner mon fils gratuitement. Je me sens plus tranquille. » Pour les consultations dans les puskesmas, il faut compter 2,5 € pour l’infirmier, 0,80 € pour le dentiste et 2,5 € pour la sage-femme. Une fortune pour certains dans des dispensaires souvent en sous-effectifs. Le quartier surpeuplé de Penjaringan ne dispose que de deux médecins, deux infirmières et une sage-femme pour une population « officiellement » estimée à 55 000 personnes…
Les conditions sanitaires sont loin d’être idéales dans ces quartiers. Beaucoup d’enfants souffrent de problèmes dermatologiques dus à la mauvaise qualité de l’eau. Les quelques points d’eau du quartier crachent une eau brunâtre. Pour l’eau potable, il faut acheter des bidons à 0,20 € les quarante litres. Soit 60 fois plus cher que le prix de l’eau courante à Jakarta… Les problèmes respiratoires sont également légion. « Il y a des cas de tuberculose, explique Belén. Comme beaucoup de patients tuberculeux n’en ont pas les moyens, ils ne se font pas soigner. Si on détecte un enfant tuberculeux, on peut être certain qu’il y a un adulte malade dans la maison. Les consultations dans nos cliniques sont l’occasion de distribuer de la vitamine A qui va renforcer l’organisme et des médicaments contre les parasites intestinaux deux fois par an. On n’hésite pas non plus à diffuser quelques messages sur la nutrition. »
Impliquer les femmes
En octobre 2005, quatre cliniques ont été créées dans les quartiers couverts par Médecins du Monde et depuis, chacune est ouverte une fois par semaine*. A la même époque, l’équipe de Médecins du Monde a commencé à former des kader, des agents de santé communautaires. L’un des buts premiers de la mission de Jakarta est de donner des outils à la population pour poursuivre seule ses actions. Elles sont quarante-cinq kader à suivre régulièrement les formations. Aujourd’hui le thème retenu est la transmission du VIH. La journée se déroule dans la salle de karaoké d’un hôtel proche du quartier de Tanah Merah Bawah. Les formations ont lieu tous les trois mois et après chaque journée, les kader, toutes des femmes, repartent avec un certificat. « Leur fonction première est de participer à la clinique hebdomadaire et au posyandu, mais elles organisent aussi des séances d’éducation dans leur quartier, explique Belén. Elles connaissent parfaitement la communauté et pour nous, c’est une aide fondamentale. Ce sont nos informateurs car elles convoquent les gens quand nous faisons nos consultations. On préfère que ce soit elles qui assurent les journées d’éducation. Elles ne reçoivent pas de salaire mais nous les dédommageons en leur donnant du riz. »
Pour l’heure, les femmes écoutent attentivement une représentante de Family Health International venue leur parler de la vulnérabilité de la femme face à l’infection VIH. L’occasion de parler ouvertement de sexe. Toutes les idées reçues autour du SIDA sont passées en revue. Chacune y va de son commentaire. Les rires fusent. C’est la première formation sur ce thème et les kader sont enchantées. Les ateliers se succèdent. Pour ces femmes, c’est un moment important passé hors du quartier. Loin de leurs difficultés. Un moment pour elles qui les responsabilise. Beaucoup sont venues avec leurs jeunes enfants, faute de personne pour les garder. « Cela fait une année que je suis kader, dit Uniyati, un bébé sous le bras. Je rencontre beaucoup de femmes et me fais plein d’amies. J’apprends beaucoup de choses et je transmets ensuite mes informations. » Sa voisine est kader depuis trois ans.
Une mission à poursuivre
« J’ai vu mûrir ces femmes, annonce Belén. J’aime ce groupe, ce sont des femmes pauvres qui veulent apprendre et faire prospérer leur famille. A l’avenir, l’idée c’est qu’elles se débrouillent seules. L’influence qu’elles ont dans la communauté, c’est déjà un grand succès. Elles ont un vrai rôle de conseillères dans leur quartier. Mais notre problème fondamental, c’est que dans certains coins, nos cliniques et les kader n’ont pas accès aux gens. »
Aujourd’hui, après trois années, la mission de Médecins du Monde dans les quartiers nord de Jakarta touche à sa fin. Grâce aux consultations hebdomadaires dans les cliniques, aux campagnes de vaccination, à la prévention et à la formation faite au plus près des habitants, l’accès aux soins s’est amélioré.
Mais tout le monde souhaiterait que les choses ne s’arrêtent pas là. « Je pense qu’il y a un besoin de soutien direct, explique Olaf Valverde Mordt, coordinateur général Indonésie de Médecins du Monde, mais il n’est pas énorme. Le plus important c’est la présence physique de l’ONG au sein des bidonvilles, qui nous permet de témoigner de ce qui se passe ici. Ce vécu est fondamental. Dans ces quartiers du nord de Jakarta, il y a une injustice réelle. Le gouvernement local est coincé entre l’impossibilité de légaliser les habitations et le manque de reconnaissance légale des habitants. Il y a une volonté politique d’empêcher l’immigration des campagnes vers Jakarta, déjà surpeuplée, et ceci bloque l’accès aux droits sociaux des plus pauvres. » Malgré les efforts fournis par les équipes de Médecins du Monde et le dynamisme de ses habitants, se faire soigner dans de bonnes conditions et à moindre coût n’est pas acquis pour les habitants des quartiers pauvres du nord de Jakarta. Tant que les autorités ne reconnaîtront pas officiellement l’existence des habitants de ces bidonvilles, dont la plupart vivent et travaillent dans la zone depuis plus de dix ans, la situation ne pourra pas évoluer.
*En 2007, 12 827 consultations ont été effectuées par les équipes de Médecins du Monde.
AUTEUR : Cécilia Castilla
3 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON