Florence Cassez : une présomption d’innocence bafouée
Une arrestation-bidon, les règles de procédure violées, des témoins manipulés, un procès où ses prétendus complices ne sont pas jugés : est-ce que le 23 janvier Florence Cassez se verra reconnu son droit à la présomption d’innocence totalement bafoué ?
La mise en scène du « flagrant délit »
Genaro García Luna,à l’époque chef d’une sorte de GIGN mexicain, pour la mise en scène, faisait mieux que notre Hortefeux ou notre Guéant quand ils convoquent la presse pour une opération à grand spectacle dans une cité de banlieue. Là, c’est arrestation en direct, libération d’otages et découvertes de stocks d’armes devant les caméras de TV Azteca et Televisa ! Le matin du 9 décembre 2005 au ranch d'Israël Vallarta, la police arrête, en flagrant délit, Florence Cassez et son ex-compagnon car trois personnes kidnappées étaient retrouvées sur les lieux : Ezequiel Yadir Elizalde Flores, Cristina Ríos Valladares et son fils Cristian Ramirez Rios âgé de 10 ans. Pour les deux chaînes de télé, la française rousse est coupable, forcément coupable !
Sauf que toute cette opération est bidon. C’est le 8 décembre 2005, qu’elle a été arrêtée sur une autoroute à une cinquantaine de kilomètres de Mexico en compagnie d'Israel Vallarta Cisneros. La voiture ne contenait pas d’armes. Quant à la présence d’otages dans une cabane de jardin, elle est invraisemblable. Le jardinier et un couple voisin possédait la clé de la cabane et n’y ont jamais vu trace de personnes séquestrées.
Les témoignages sont donc les seuls éléments sur lesquels dit s’être appuyée la Justice mexicaine, après que Genaro García Luna, confondu en direct par sa victime Florence Cassez, a dû avouer le trucage de l’arrestation. Mais c’est justement peu après cette émission, où F. Cassez était intervenue téléphoniquement, que deux des témoins retrouvent bizarrement la mémoire. Seul Ezequiel Yadir Elizalde avait, d’entrée, reconnu F. Cassez ; ses versions successives et un mensonge flagrant rendaient son témoignage peu crédible. Mais, trois mois après, Cristina Ríos Valladares et son fils reconnaissent formellement F. Cassez, à cause de son accent français.
« On constate, en révisant le registre d'entrées du parquet chargé de la délinquance organisée (Siedo), que la famille y a passé toute une journée en compagnie des policiers qui ont participé au montage [de l’arrestation bidon]. Il n'existe pourtant aucune déposition datée de ce jour-là, seul motif possible de leur présence sur les lieux. Pourquoi ont-ils été convoqués par la Siedo quelques jours avant de changer radicalement leurs déclarations ? » *
Florence Cassez est donc condamné à 90 ans, ramenés à 60, pour enlèvement, séquestration, délinquance organisée et possession d'armes à feu et de munitions à l'usage exclusif des forces armées sur la base de ces seuls témoignages.
Le complice toujours pas jugé
Aussi machiavélique que certains médias mexicains la présentent, elle n’a pu faire ces enlèvements seule. Elle aurait au moins un complice avéré, son ex-amant, Vallarta (qui, au demeurant l’innocente). Les deux auraient dirigé un gang du Zodiac. « Si Vallarta a avoué être un kidnappeur, une expertise de la Commission nationale des droits de l'homme du 9 décembre 2005 indique qu'il a été torturé : multiples traces de coups, brûlures sur les parties génitales, etc. Il est accusé d'être le chef et le négociateur. Mais une expertise indique que la voix enregistrée lors des négociations n'est pas celle d'Israël Vallarta. »
Surtout, Vallarta n’a pas été jugé en même temps que sa prétendue complice. Sauf erreur, il n’est toujours pas jugé. La justice mexicaine aurait-elle voulu démontrer son iniquité qu’elle ne s’y prendrait pas autrement : elle juge la seule francesa et non l’ensemble de la bande à commencer par celui qu’on présente comme son chef.
En France, des réactions hostiles assez surprenantes
Très surprenant qu’un ex-chroniqueur judiciaire, comme Daniel Schneidermann, commette ce commentaire : « Je ne me suis pas plongé dans les méandres du dossier judiciaire de Florence Cassez. Les medias français non plus, qui mutiplient les interviews de la prisonnière, en se contentant de répéter paresseusement, pour tout rappel des faits, qu'elle"clame son innocence". Tout au plus, en épluchant la presse mexicaine (lecture obligée, puisque la presse française croirait se rendre coupable d'outrage au patriotisme en faisant ce travail), tout au plus, donc, avions-nous établi ici-même qu'il existe, hélas, des éléments laissant penser que Cassez s'est bel et bien rendue complice d'enlèvement et séquestration. Que son cas, ensuite, ait été pris en otage par l'obsession sécuritaire qui habite manifestement le gouvernement mexicain, que des erreurs de procédure aient été commises, qui méritaient la cassation, c'est possible. La Justice mexicaine a jugé le contraire. Ni l'indépendance de notre propre Justice, ni notre propre préservation de toute pratique de corruption, ne mettent hélas (encore) la France en position d'exiger quoi que ce soit, de la Justice ou du pouvoir mexicain. » (chronique matinale du 15 février 2011 d’Arrêt sur Images.) La paresse qu’il dénonçait était la sienne : un article de wikipedia donnait des références d’articles Français, comme celui Léonore Mahieux dans Libé (l’invraisemblable affaire Cassez) qui n’était pas de simples entretiens avec F. Cassez.
Non content de cela, il faisait appel à un ex-commissaire, Georges Moréas : "Les défenseurs de Florence Cassez montrent du doigt la justice mexicaine, cherchant à démontrer qu’elle est assujettie au pouvoir politique" (...)" Pourtant, les trois hauts magistrats qui viennent de prendre la décision de refuser l’amparo déposé par la jeune femme semblent des personnalités respectables du monde judiciaire, et non des béni-oui-oui du régime". Sauf que « Selon l’hebdomadaire Proceso, la justice mexicaine aurait subi de fortes pressions politiques dans l’affaire Florence Cassez. Le secrétaire du président Felipe Calderón, Roberto Gil Zuarth, aurait rencontré le président de la Cour Suprême et trois magistrats du septième tribunal de Mexico le 10 février, quelques heures avant que ce tribunal émette son verdict concernant le pourvoi en cassation déposée par la Française. "Si Cassez est déclarée innocente, cela entraînera non seulement la chute du ministre de la Sécurité Publique Genaro García Luna, mais cela contribuera à réduire à néant la lutte du gouvernement contre le crime organisé", aurait déclaré Roberto Gil Zuarth. Le journal ajoute que les magistrats nient avoir participé à une réunion de ce type. » (Courrier International)
Un rapport accablant… pour la justice Mexicaine
Le juge Zaldivar a étudié le dossier de Florence Cassez d’un point de vue juridique et constitutionnel pendant plusieurs mois, et a repris tous les éléments. Dans son rapport rendu le mercredi 7 mars 2012 à la cour suprême, il estime que les droits consulaires de la Française n’ont pas été respectés, car le consulat de France n’a pas été contacté immédiatement, ce qui constitue une violation du droit fondamental des étrangers arrêtés.
Contrairement à ce que prévoit la Constitution, Florence Cassez n’a pas été présentée à un juge d’instruction aussitôt après son arrestation mais elle a été transférée dans un autre lieu, pour la reconstitution de la fausse arrestation devant les caméras de télévision. Les notions d’immédiateté et de flagrant délit ont de ce fait disparu, la présomption d’innocence a été violée et le procès a été faussé dès le départ, puisque « les témoignages des victimes, les déclarations des policiers ne sont qu’une déformation de la réalité, induite par la police fédérale », écrit son rapport.
Le juge a estimé que les autorités ont sciemment déformé la réalité pour influencer l’opinion publique, sachant les implications négatives que cela aurait sur le procès. Malgré ce rapport, la cour suprême a rendu un 1er arrêt ambigu, sans libération de Florence Cassez.
Plus de 7 ans qu’une présumée innocente est en fait victime d’un jugement et d’une incarcération qui n’ont pour but que de couvrir le trucage d’un chef policier devenu ensuite sous-ministre. Victime aussi de télés caniveaux promptes comme il se doit, avec un brin de xénophobie, à clouer au pilori la « francesa ». Victime surtout d’une politique répressive à grand spectacle qui a totalement échoué. Faut-il rappeler à ceux, qui totalement ignorant du dossier qui la vilipende, que ce n’est pas à l’accusée de prouver son innocence, mais à l’accusation de prouver sa culpabilité. Dans le respect des règles de droit.
Le 23 janvier la cour suprême doit revoir ce dossier : le changement à la tête de l'état permet d'espèrer une décision équitable.
Pour compléter :Preuves Fabriquées/Culpabilité fabriquée (article de Proceso du 06/XII/2009)
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